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EAN : 9782252041321
160 pages
Klincksieck (09/06/2018)
4.17/5   3 notes
Résumé :
Depuis que le Louvre en fit l'acquisition en 1974, Le Verrou de Fragonard n'a cessé de fasciner les spectateurs, au point d'incarner aujourd'hui, dans l'inconscient collectif national, le XVIIIe siècle à son paroxysme, juste avant la Révolution. Bon nombre des grands textes littéraires de l'époque, en France comme en Italie et en Angleterre, semblent émaner rétrospectivement de ce tableau qui compte parmi les oeuvres les plus reproduites pour illustrer la littératur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Essai. Lecture-analyse d'un tableau extrêmement connu, emblématique du XVIII ème siècle et du libertinage.

L'intérêt, classique, de ce travail consiste tout d'abord à croiser les regards de l'auteur avec ceux d'analystes et de critiques d'art qui se sont penchés sur cette oeuvre magistrale de Fragonard, emblématique de l'érotisme et du libertinage avant la Révolution. L'auteur fait une lecture à la fois technique et historique du tableau, replace l'artiste dans son siècle, met en valeur les influences qu'il a reçues (Antiquité, baroque, rococo), celle qu'il a pu exercer (précurseur du romantisme, annonciateur de l'art moderne). Il resitue le tableau dans le continuum du travail du peintre et met en valeur l'évolution qu'il représente.

Son approche est originale en ceci qu'il amène le lecteur à regarder différemment le tableau, cessant de se focaliser sur sa construction par la diagonale lumineuse de la pomme (à droite) au bras tendu et au verrou (à gauche) pour en découvrir les replis et les contenus plus secrets :

« on jouit d'autant plus des subtilités de la toile que l'on échappe à son emprise structurale. C'est cette liberté que j'ai voulu suggérer ici au lecteur en bouleversant le dispositif même de la lecture, pour qu'il aborde le tableau sous un autre angle. » 

Les étoffes constituent en effet plus de la moitié de la surface peinte totale, selon certaines lectures on peut y voir des allusions aux sexes féminin et masculin, voire de la blancheur nacrée du sperme rendue par le tissu de satin blanc...

L'auteur aborde plusieurs thèmes dans son analyse : la théâtralisation, l'époque de Louis XV étant le triomphe du théâtre, du bal masqué. L'important est de se « désennuyer » à tout prix. de retour d'Italie, en 1762, Fragonard adapte « plastiquement » des sujets de théâtre, il en termine avec les sujets « obligatoires » d'avant, tels que l'Antiquité. le lit du Verrou est une vraie scène de théâtre. La diagonale lumineuse participe d'une vision baroque, elle impose la lecture du tableau de gauche à droite contrairement à celle de l'  « Adoration des Mages ». qui lui fait pendant (amour sacré/amour profane).
La construction en losange du lit, d'une simplicité à l'Antique. Une brune/une blonde dans ce diptyque. Ici, la forte tension émane plus de l'opposition ombres /lumières que de l'expression des personnages. La construction rococo suggère une intimité douillette, « cosy ».

L'époque : le 18ème siècle, climat de désir. Aucun message spirituel, il s'agit d' « être » tout simplement. Aucun poids moral, aucun symbole, aucun poids sémantique, de la frivolité toute pure !
Les maîtres de Fragonard, Chardin et Boucher. Inspiré par la Nouvelle Héloïse, une vague lyrique,d'inspiration sentimentale , Replacer Fragonard dans son époque, annonciatrice du romantisme. Faire le rapprochement avec "Les liaisons dangereuses", quasi contemporaines du tableau.

Dans le Verrou, existe « une harmonieuse discordance entre le sujet et et la forme » qui suscite l'émotion, par la magie de la touche, de la lumière, du jeu de couleurs:

La technique : la « touche » : Fragonard est connu pour son pinceau léger, désinvolte et moderne (le « fa presto »), qui s'oppose à une facture soignée, sévère, héritée des peintres hollandais. Dans le Verrou, après des tableaux exécutés à une vitesse extrême, il adopte une facture plus « serrée », le pinceau s'assagit.
La lumière : Fragonard retient le mystère, sans la mélancolie des intérieurs hollandais, avec leurs clairs-obscurs. Ici, il utilise le faisceau lumineux d'un projecteur.
La couleur : Fragonard exerce son talent de coloriste,emploie abondamment le jaune-blanc (couleurs « vaticanes » selon Sollers) pour les tissus des jupes et jupons, de rouge - sang de boeuf des rideaux. Avant le Verrou, on a parlé de « ragoût de couleurs ». A son retour d'Italie, pour le Verrou, il estompe, nuance (cf les Hollandais), annonce David. Il a été influencé par la technique de ses prédécesseurs, Chardin, Watteau, van Loo et surtout Boucher, Rubens aussi pour l'évocation des chairs féminines. Fragonard est « le peintre du jaune », tandis que Boucher est celui du bleu et du rose. (cf Pierre Rosenberg).

L'amante a-t-elle déjà échangé baisers et caresses sur ce lit manifestement défait, espéré et redouté à la fois que les choses aillent plus loin ? La tête penchée vers le lit, le regard éperdu, elle pose la main sur la bouche de l'amant, geste tendre ou ultime résistance ? Au bruit sec que fait le verrou, les dés semblent jetés. La symbolique pène - tige du verrou ne laisse aucun doute sur le désir et la suite probable. Mais la discussion oppose les tenants de la tentative de viol à ceux de l'amour consenti in fine, après une résistance de bon aloi. Quant à l'hypothèse émise d'une tierce personne, mystérieusement cachée dans le lit mais dénoncée par un semblant de genou au pied du lit, pour ma part elle me semble assez farfelue. Qu'aurait donc besoin le peintre de sombrer dans l'obscénité et la vulgarité ? de légère et délicieusement érotique, son oeuvre deviendrait graveleuse. Chacun jugera.

Quant à l'amant, bras décidé, étreinte sans possibilité d'esquive, fesse musclée et rebondie, il manifeste un ferme désir de passer à la phase ultime et son bras tendu vers le verrou ne laisse augurer aucune échappatoire. Pour autant, on ne lit rien de sauvage ni d'agressif dans ce qu'on voit de sa figure. Une chaise renversée, un vase jeté sur le lit, un châle noir par terre, pourtant laissent penser qu'il y a eu une certaine effervescence. Faut-il y voir les marques d'une lutte ? D'une passion irrépressible ? A chacun de se faire sa propre lecture et c'est tout l'intérêt du rapport à l'art, quel qu'il soit.

Un livre intéressant, qui permet d'entrer au plus près dans l'oeuvre. Il aurait été judicieux d'ajouter une bibliographie et des références précises, cela manque réellement, même si on dispose de certaines connaissances sur le sujet.
Au final, un livre comme on aimerait qu'il en existe davantage pour « apprendre à lire » . Un grand merci à Babelio pour cette découverte.





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Le simple fait de commenter sur 150 pages une seule oeuvre d'art, en l'occurrence le tableau le Verrou peint par Fragonard vers 1778, et d'y consacrer tout un livre mérite à lui seul un grand coup de chapeau et suscite ma plus grande admiration. Il est toujours étonnant de voir à quel point l'art a le pouvoir de déclencher une abondante production littéraire.

De fait, ce livre n'échappe pas à certains travers liés à l'excès de commentaires. Ceux -ci ne sont pas toujours d'une clarté éblouissante et sonnent parfois un peu creux. D'autant que le livre de Lucien d'Azay, constitué d'une suite de courts chapitres qui abordent le Verrou de Fragonard sous différents angles, est un patchwork assumé qui rassemble d'innombrables citations et emprunts à divers textes antérieures comme ceux de Sollers ou de Daniel Arasse. Ces références omniprésentes collées les unes aux autres et forcément limitées en longueur sont à mon avis un obstacle à la pleine compréhension des propos de l'auteur. Par sa construction en patchwork, ce texte relève moins de la critique d'art que de l'oeuvre littéraire, biais d'ailleurs tout à fait assumé par Lucien d'Azay. Ainsi les références faites à d'autres peintres du XVIIème (Boucher, Watteau, Greuze) sont le plus souvent assez elliptiques.

Ces réserves étant émises, ce livre s'avère néanmoins fort intéressant, aidé en cela par son sujet à savoir un tableau sur lequel il y a beaucoup à dire. Ce sont d'abord les aspects plutôt techniques comme la construction selon axe lumineux oblique comme si un projecteur éclairait la scène , l'utilisation du clair-obscur, le travail sur les couleurs, les effets de contraste, le rendu du mouvement. Lucien d'Azay attire également notre attention sur les détails de la composition qui ne sont évidemment pas fortuits : le bouquet de fleurs au sol au tout premier plan à droite, une rose à peine visible sur le lit à la frontière entre étoffe rouge, drap blanc et robe jaune, le fauteuil renversé, la pomme… Il s'attarde un long moment sur le lit, quasi anthropomorphique (cuisses, genoux, seins, sexe), qui occupe de façon étonnante plus de la moitié de l'espace. Il analyse les deux personnages, leurs positions et postures respectives et imagine leur origine sociale, leur caractère, le jeu social auquel ils sont soumis Enfin il aborde longuement la signification de ce tableau allégorique en le replaçant dans le contexte du libertinage vivant ces dernières années avant le séisme révolutionnaire.

A cet égard, je trouve qu'il est intéressant de relier ce tableau aux manifestations récentes de libération de la parole des femmes face au harcèlement sexuel. le Verrou est le témoin d'une époque où à l'homme appartient l'audace alors que la résistance de la femme face aux assauts masculins est vue comme une hypocrisie nécessaire. Il convient pour la femme de respecter les règles de bienséance et de ne pas accepter d'être conquise sans combattre, pour ne pas s'exposer à la honte et au déshonneur. Il est de bon ton pour la femme aristocratique du XVIIème siècle de faire croire à la persécution avant de s'abandonner au plaisir et à la volupté. Ceci reflète les paradoxes et les contradictions de cette époque qui associe libertinage et vertu, à ceci près que cette dernière est le plus souvent une apparence fictive à laquelle hommes et femmes ne croient pas vraiment.
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J'ai reçu ce livre dans le cadre de l'opération « Masse Critique » ; je remercie Babelio et Klincksieck éditions qui m'ont permis de recevoir ce livre. Appréciant tout particulièrement les oeuvres de Fragonard et n'ayant lu que des ouvrages généraux sur ce peintre, j'ai apprécié cet « essai » traitant de l'une de ses oeuvres majeures, le Verrou ; ma lecture a été très agréable.

Cet essai se dévore presque comme un roman : Lucien d'Azay se propose de guider l'oeil du spectateur, de façon plaisante et experte, pour découvrir sous différents angles ce fameux Verrou. L'auteur s'efforce d'être clair, précis mais peu accessible aux non connaisseurs du fait de la multiplication des références culturelles et artistiques et des notions picturales parfois complexes.

Ce qui fait à mon sens l'intérêt de cet essai est la multiplication des points de vue choisis pour aborder l'analyse de la toile : les différents contextes autour de la toile, les couleurs, la lumière, le mouvement, la théâtralisation de la toile, les inspirations du peintre – pour n'en citer que quelques-uns. Il est passionnant de voir de quelle manière l'auteur s'attache à mettre en lumière les liens qui existent entre le Verrou et l'époque dans laquelle il est né : les contextes historique, social, artistique, littéraire se répondent, s'inspirent mutuellement et sont indissociables…Une véritable immersion au coeur du XVIIIe siècle !

Enfin, plaisir pour ma part mais qui peut être un frein pour certains : l'omniprésence de références culturelles et artistiques. L'auteur montre l'évolution artistique de Fragonard et ses inspirations : il se réfère fréquemment à d'autres tableaux, d'autres peintres et il est parfois nécessaire d'avoir internet à portée de main pour d'éventuelles recherches. J'ai pu ainsi redécouvrir certains tableaux que j'apprécie.

Ce livre est donc un bon guide pour celui qui voudrait découvrir cette peinture de façon complète, avec un point de vue original. A emmener avec soi lors d'une flânerie au Louvre…
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Soudé au corps de l'amant, il semble à la fois qu'elle s'agrippe à lui et qu'elle s'en défende. Rien ne prouve qu'elle regimbe; on ne sait guère si son corps le repousse , si son geste le retient, ou si le mouvement de sa tête renversée l'attire : c'est qu'elle mise sur les deux tableaux. Ainsi semble-t-elle consentir aux projets de l'amant (elle a déjà un pied dans la tombe voluptueuse; son corps et son ventre se cabrent et se cambrent comme s'ils voulaient se donner; ses mains parlent, sa tête s'incline, conciliante - elle chancelle, elle titube, elle vacille, elle chavire - se montrerait-elle encline au vertige de la pente? - ; cette équivoque façon de hocher la tête paraît sous-entendre un malicieux tu viens ?). Et elle a en même temps l'air de se rebiffer au nom d'un simulacre de vertu auquel elle aspire, ou tout au moins se doit de paraître aspirer.
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Videos de Lucien d' Azay (7) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Lucien d' Azay
François : le message caché dans les fresques d'Assise Chiara Frugoni Lucien d'Azay Éditions Belles lettres Collection Histoire
François d'Assise, mort en 1226, ne connut jamais la basilique qui lui fut consacrée ni son célèbre cycle de fresques. Entrepris dès 1260, cet absolu chef-d'oeuvre, véritable témoignage de foi, mit à contribution les plus grands peintres italiens de l'époque : Cimabue, Giotto et les Siennois Martini et Lorenzetti. Fruit d'une vie entière de recherche, ce livre magistral nous en révèle tous les aspects. Ancienne élève de l'École normale supérieure de Pise, Chiara Frugoni compte parmi les plus grands médiévistes italiens contemporains. Elle est spécialiste de l'histoire de l'Église et notamment de saint François d'Assise. ©La Procure 2020
https://www.laprocure.com/francois-message-cache-fresques-assise-chiara-frugoni/9782251451428.html
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