Ce livre est superbement ecrit, bravo et je souhaite une longue carriere a ruby.
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C’était bon de n’avoir d’autre souci que d’assortir sa robe et ses accessoires, de se regarder dans la glace et de s’y voir bien habillée, mise en valeur et, finalement, plutôt séduisante. Elles riaient comme des ados et laissaient les sols jonchés d’affaires essayées puis rejetées. Cela leur rappelait leur enfance, le temps où elles se déguisaient des heures entières, fabriquant des masques, tressant des rubans, taillant dans des vieux tissus. Le résultat fut beaucoup plus réussi qu’à l’époque, June ayant su conseiller Alona pour choisir des vêtements dont les coupes, tissus et modèles la mettaient vraiment en valeur.
D’une beauté naturelle, elle avait seulement besoin de belles harmonies de couleur pour rehausser son teint hâlé, de formes simples mais élégantes pour souligner ses courbes et d’une longueur de robes adéquate pour attirer l’œil sur le galbe parfait de ses jambes.
Cette jolie jeune femme était bien différente. Elle lui avait fait penser à une Indienne avec ses formes menues, la raideur soyeuse de ses longs cheveux noirs et ses pommettes hautes. Après cette première impression, une seconde y avait ajouté sa note d’étrangeté, diffusée par ses yeux étonnants. Grands, un fin halo foncé faisant ressortir la clarté de leur couleur vert amande, et d’une forme s’étirant exquisément vers les tempes, ils étaient tout simplement fascinants. Il se reprit pourtant au beau milieu de sa rêverie. Il n’avait pas l’intention de se laisser attendrir par qui que ce soit, encore moins par une représentante de la gent féminine.
Tous ces faits étranges auxquels elle n’avait pas prêté attention devenaient les pièces d’un puzzle qu’elle reconstituait aujourd’hui. Avec ce flot de souvenirs se forma en elle une de ces vagues qu’elle connaissait trop bien depuis quelque temps. C’était une émotion déferlante qui prenait source au milieu de sa poitrine et allait bientôt monter vers son visage en y faisant jaillir des larmes qu’elle ne saurait plus arrêter. Elle savait que, pour contenir le séisme qui se préparait, elle devait se concentrer sur sa respiration et pratiquer de profondes inspirations, jusqu’à ce que son ventre, sa gorge et toute sa tête se décrispent un peu.
Leur vie d’enfant s’était déroulée paisiblement jusqu’à la catastrophe qui allait marquer pour longtemps les mémoires de toute une ville. Alona avait dix ans. Cette nuit-là, un incendie s’était déclaré dans la petite maison où elle vivait avec ses parents. La fillette en était absente, étant restée dormir chez une amie de classe pour une pyjama-partie. Un vent violent s’était levé. Il avait pris une telle ampleur que, très vite, il avait attisé les flammes avec une vigueur démoniaque, réduisant les pompiers à l’impuissance devant la maison embrasée dont il n’était bientôt plus rien resté.
À force d’y réfléchir, elle s’était rendu compte combien elle avait été sotte de ne se poser aucune question sur certains comportements étranges de son compagnon dont elle partageait le quotidien depuis quinze ans. Les premières années, elle avait écouté avec l’admiration de sa jeunesse ses belles théories sur l’amour et la liberté. Puis, au fil des ans, elle s’était assoupie dans l’habitude d’une cohabitation tranquille dont elle n’avait plus pensé à remettre en cause les fondements.