Après «
Mes seuls dieux », un recueil de nouvelles, le deuxième ouvrage d'Anja
Appachana est enfin traduit en français. Quelle merveille que ce livre, dont on ne veut tout simplement pas sortir, et ça tombe bien, car il fait 589 pages !
Avec
l'Année des secrets, nous sommes plongés au coeur de la société indienne, ses traditions, ses coutumes, ses archaïsmes, ses évolutions – toujours dans la douleur – ses rebelles, ses martyres.
Ce sont en quelque sorte les coulisses de la société puisque les narratrices sont uniquement des femmes et que les femmes, ce livre nous le démontre encore une fois, n'occupent pas le devant de la scène dans la société indienne.
1 histoire de vie, 6 femmes de 3 générations différentes pour le raconter, avec chacune son angle de vision, sa personnalité, les faits qu'elle connait, les secrets qu'elle détient. Comme chaque narration constitue une sorte de long monologue, l'interlocuteur privilégié de chacune de ces femmes/fillettes reste son imaginaire. le réel semble si contraignant et si inflexible pour toutes ces femmes, le passé si inexorablement inchangeable et le futur si immuable qu'une bonne partie des dialogues et des situations consiste à défaire les noeuds inextricables de ce qui s'est passé hélas hélas hélas…réinventer une autre fin… et si ? et si ? La marge de manoeuvre de l'imagination semble d'autant plus large et libre que les entraves sociales de ces femmes sont immenses.
On rentre dans cette atmosphère de huit clos en demi-teinte, on s'y trouve bien, comme lovée dans des bras maternels enveloppants. Après tout, l'histoire a beau se situer en Inde dans une société hyper patriarcale, les préoccupations de ces femmes nous touchent aussi et on peut s'y reconnaitre dans certains passages. Ce serait comme un miroir grossissant de nos sociétés occidentales plus évoluées ou plus hypocrites…
Les personnalités sont étudiées, analysées avec subtilité et intelligence ; les femmes semblent surtout différer de par leur appartenance à des générations différentes. L'espoir de ce livre, ce sont les petites filles et leur vision pas encore conditionnée : elles voient les choses telles qu'elles sont et non pas – encore – biaisées par le prisme patriarcal. La grand-mère, elle, étonne de par sa manière pragmatique et pourtant avisée de considérer la situation.
Quant aux hommes, ils sont loin, très loin, émotionnellement, affectivement…à tous les niveaux. Ce qui prédomine dans cette société, c'est l'inéluctable incommunicabilité des deux sexes.
Une histoire pleine de rebondissements et suspens mais imprégnée de la solitude et du ressassement intérieur de ces femmes livrées à leur destinée humaine, luttant parfois malgré elles contre des traditions millénaires : ce sont les parias qui feront bouger la société indienne, voici l'une des possibles clés de ce livre, mais à quel prix !!!