Mémoire fourragère
Fétu d'abord dans la grossesse des vents. Puis les jeux d'une enfance
herbagère. Je grandis à l'école des pailles et j'eus le premier Prix de
fenaison. Après quoi, je quittai l'été.
Je me souviens de deux ou trois orages sur ma tige. Des envolées de la
poussière soulevée par l'Impondérable. De nos fous rires avec l'ivraie.
Je me souviens d'un trèfle à quatre feuilles écartelé dans le printemps.
De l'affolement des luzernes apprenant l'arrivée de l'automne.
Puis vint le temps des engrangeurs.
Je me souviens de l'ennui des silos, des cryptes endormies où veillait
l'invisible encens de l'été.
Je me souviens, penché sur moi, du mufle de l'hiver. Je me souviens
de la nuit ruminante.
//Jacques Lacarrière (1925 – 2005)