«
L'écrivain raté » est un tout petit livre de
Roberto Arlt, traduit par Geneviève Adrienne Orssaud (2014, Editions Sillage, 64 p.) dont 19 d'introduction et bibliographie. Ecrit à la première personne par un écrivain quelque peu mégalomane, qui pourrait être
Roberto Arlt lui-même, et qui connaît à présent une passe durable et profonde de doute. « Je me souviens » et « Mes vingt ans n'étaient pas abimés et laids comme certains lutteurs impitoyables. Mes vingt ans promettaient la gloire d'une oeuvre immortelle ». « Je me voyais déjà en haut de l'affiche » chantait
Aznavour. Mes les affiches se décollent et les cheveux se décolorent. « Les hommes de tente ans me regardaient avec une certaine rancoeur ». Trentenaires, mais déjà des vieux. Avec une poignée d'autres écrivains, ou « écrivassiers répondant au qualificatif de pondeuses ou larbins de la littérature », ou encre « engrossés de la littérature », il va essayer par tous les moyens de donner le change, ne serait-ce que pour se rassurer lui-même. Mais il n'arrive plus à écrire. La panne de la feuille blanche, non par faute d'encre, mais d'inspiration. « Des trompettes d'argent exaltaient ma gloire dans les murs de la ville grossièrement badigeonnée et les nuits, dans mes yeux, se paraient d'un prodige antique, connu de personne. »
C'est la phase « Tous des mauvais, il n'y a que moi…. », phase classique du rejet des autres et du déni. Cela arrive à tous les créateurs, artistiques ou scientifiques. Chez ces derniers c'est encore pire, car ils ont, en principe, travaillés et donnés le meilleur d'eux même, parfois sur des fausses voies ou des idées qui évoluent en fonction des avancées technologiques. Je me souviens avoir pris l'ascenseur à Jussieu en compagnie d'un professeur célèbre, qui avait été président d'une société savante très renommée. Arrivée sur le parvis de Jussieu, la porte de l'ascenseur s'ouvre, et un tag apparait « Mort aux cons ». Réaction du vieil homme « Vous voyez, ils m'en veulent ». Etait-ce un pluriel de noblesse, comme s'exprimaient les rois ? Etait-ce une lecture erronée due à une vue vacillante qui avait confondue l'adressage avec son patronyme ? Pauvre homme, déchu de son auréole de savant.
Puis vient la phase de résistance. « Si nous, nous ne sauvons pas l'art, qui le sauvera ? ». L'écrivain dans le rôle de l'homme providentiel, du Messie. Après avoir été écrivain, il peut devenir homme politique, prenant la tête du pays. Il n'y a que sa foi qui le sauve. Puis vient la régression au stade anal, et au pipi-caca. « Latrines ambulantes », « Nous chiâmes sur l'archevêque », « notre bannière fut suivie et défendue par des jeunes gens que la pratique de la pédérastie active et passive n'empêchait pas de boxer admirablement » on ne voit pas très bien le rapport). Il devient « hystérique comme un pédéraste », et même les femmes de lettres « criaient à gorge déployée qu'elles préféraient coucher avec des femmes plutôt que faire ça avec des hommes »
Et il conclut par un « Et je sais que j'ai raison ». Les gesticulations dans le vide, à force d'être puérils, finissent tout de même par lasser. « L'homme finit par se fatiguer de tout, même de cracher à la figure de son prochain. Il faut convenir ici que nos insultes procédaient d'une bonne intention, mais il n'est pas possible d'être généreux éternellement, et nous nous dispersâmes. »
Brillante satire de « La République des Lettres », entièrement imprégnée d'humour noir. Tout d'abord pour monter la futilité d'écrire, l'absurdité de consacrer toute sa vie à la littérature, et enfin le dégoût des milieux littéraires « La vie, ça n'est pas de la littérature. Il faut vivre... Ensuite écrire ».
C'est à se demander si avec son Écrivain raté (1932),
Roberto Arlt ne souhaitait pas régler quelques comptes, après
Les Sept fous (1929) traduit par Isabelle et
Antoine Berman (1981, Belfond, 384 p.) et «
Les Lance-flammes » (1931) traduit par
Lucien Mercier (1983, Belfond, 384 p.) qui l'ont fait découvrir en tant qu'écrivain « réussi ». Régler aussi quelques comptes avec le « milieu » et surtout avec lui-même. « C'est au fond le public qui décide, tout est récit du lecteur donc tout est fiction. Forgent le canon ceux qui lisent ».