En 2014, le français
Franck Ferric rejoint la prestigieuse collection Lunes d'encre avec son roman
Trois Oboles pour Charon. Logique donc de le voir débarquer chez Albin Michel Imaginaire où officie le même directeur,
Gilles Dumay, en apportant dans es bagages un nouveau roman de fantasy aux allures guerrières.
Le chant mortel du soleil, de son doux nom, constitue le premier roman français édité chez Albin Michel Imaginaire et arrive pile après la publication de la Cité de l'Orque, une science-fiction pure et dure. Si le plaisir réside dans la variété, on peut dire que
Franck Ferric apporte un vent nouveau pour la collection.
L'avalanche gronde
Dans le monde du chant mortel du soleil, la montagne lutte contre la plaine.
Sur la première, des montagnards aux allures de géants regroupés sous la bannière d'un Tyran qui a jadis unit les tribus pour renverser les derniers Dieux de cette terre âpre, sur la seconde, le peuple de la Première Flamme, fervents croyants en un Dieu mourant qui accable les hommes de son autorité et de ses rites par l'intermédiaire de prêtres intraitables.
Araatan , le Grand Qsar (sorte de roi barbare à mi-chemin entre Attila, Gengis Khan et Conan), a décidé de mener l'ultime assaut contre le peuple druje des plaines et de transpercer les murailles de leur dernière cité, Ishroun, pour mettre fin à l'existence du dernier Dieu connu des Montagnards.
De l'autre côté du monde, Kosum, ancienne esclave sukaj libérée par Dulkem, l'un des cavalier-flèches sous les ordres des Montagnards, accompagne Urtaï, Burgen et Namgun pour trouver le berceau des Dieux.
Car si Araatan et L'Avalanche poursuivent la Toute Fin, celle qui verra les Dieux rayés du royaume des mortels, Kosum chevauche vers le Tout Début, celui qui a vu naître les divinités haïes et leur dispersion de par le monde.
C'est donc un roman de fantasy à deux visages que nous présente
Franck Ferric. L'un sera épique avec ses batailles et ses morts par centaines, l'autre sera philosophique et intimiste avec ses doutes et ses remords.
Deux visages, deux plaisirs.
Athée-vous
Principale originalité de ce chant mortel du soleil, la conviction du peuple des montagnes envers les Dieux. Loin de les vénérer, ceux-ci se sont lancés dans une quête d'oblitération totale, recherchant la vengeance pour des éons de servitude et de psalmodies. L'Avalanche et Araatan semblent tout droits sortis d'un fantasme d'athée militant, prêts à tout pour éteindre le feu de la foi et voir crever les inepties des prêtres.
Franck Ferric démonte la religion et le dogme avec virulence, la charge et la déconstruit dès qu'il le peut.
Pourtant, bien loin de ne constituer une équipée pour tuer les dieux et abattre des murailles, le récit s'attache aux contradictions de cette avalanche. Un roi qui accueille finalement un sorcier masqué pour le guider, des drujes ralliés à l'avalanche mais qui vénèrent encore le Ciel et surtout cette équipée vers le Tout Début qui n'en finit pas d'expliquer au lecteur que l'homme, bête de croyance, ne tuera jamais définitivement ses dieux. Que ce soit à Hadrut, petit village où règne un prédicateur apocalyptique ayant réduit ses concitoyens à l'état de loques terrifiées, ou loin à l'horizon où les serviteurs de Shar attendent encore l'avènement d'un Dieu qui les fera sortir de l'ombre.
Franck Ferric explique avec malice que malgré l'Apocalypse, les dieux survivront tant qu'il y aura des hommes. Il oppose ainsi le travail de sape d'Araatan d'une part et les découvertes de Kosum de l'autre, comme un écho dans le temps, chacun remontant son bout d'Histoire. du fait, l'entreprise de Grand Qsar se révèle vaine, condamnée à finir dans le sang surtout lorsqu'un peuple voit disparaître sa principale raison d'être.
L'homme peut-il survivre à un ciel vide de Dieux ?
La fin de l'Histoire et de l'humanité
Tandis que les Vandales saccagent Rome, Kosum et ses comparses s'interrogent sur le sens du temps. Après la chute du Mur de Berlin et du bloc soviétique, certains historiens ont avancé l'hypothèse que l'histoire était finie. Avec
le chant mortel du soleil,
Franck Ferric, sous couvert d'affrontements barbares et souvent sanglants, démontre que l'Histoire ne se termine pas avec la chute des grands empires. Elle remonte des cendres froids de la bataille, des pierres écroulées et de la boue pour accoucher de nouvelles civilisations, de nouveaux conflits, de nouvelles horreurs. L'autre caractéristique du roman de
Franck Ferric, c'est le désenchantement constant face à une humanité qui retombe invariablement dans ses travers, qui classe les hommes sur une échelle de valeur, désigne des sous-hommes (les sukajs) et des sur-hommes (les Montagnards)… et ces échelles changent selon le peuple que vous croisez. L'homme qui se sent si petit face à Dieu se doit de trouver pire que lui et son insignifiance. le passage des couvins, plongée dans l'horreur d'un génocide qui ne dit pas son nom, achève de convaincre que le roman du français va bien plus loin qu'une fantasy épique résonnant des murs que l'on renverse. Il raconte comment l'athée ne vaut pas forcément mieux que le religieux à la Toute Fin des choses, comment l'humain reste humain quoique l'on y fasse. Voir des signes dans un levée de soleil ou dans une flamme, voir son destin dans une prophétie et un Tyran omnipotent qui purgera le monde des infâmes, au final, quelle différence ?
Grâce à une plume remarquable,
Franck Ferric livre le roman de la maturité qui dépasse la simple fantasy guerrière pour fouiller dans les démons de l'homme, du religieux à la discrimination en passant par le racisme et la violence banale des forts contre les faibles.
le chant mortel du soleil aurait pu rester un récit épique mais décide d'aller plus loin — bien plus loin — et c'est surement pour ça qu'il s'avère si grand à l'arrivée.
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