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Yutaka Makino (Traducteur)
EAN : 9782742771509
173 pages
Actes Sud (19/01/2009)
4.01/5   571 notes
Résumé :
LE POINT DE VUE DES ÉDITEURS

Un homme étrange s'est engagé au sein d'une équipe chargée de construire un barrage en haute montagne. Perdu dans la brume, tout au fond d'une vallée mal connue et difficilement accessible, se révèlent les contours d'un hameau. Les travaux ne sont pas remis en question par cette découverte : le village sera englouti sous les eaux.
Au cours du terrible chantier, alors que la dynamite éventre la montagne et ébranle le... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (143) Voir plus Ajouter une critique
4,01

sur 571 notes
Apaiser les blessures du passé…

« le convoi de l'eau » d'Akira Yoshimura est une pépite japonaise, un court récit de moins de 200 pages, totalement immersif. le narrateur, un personnage étrange, quelque peu violent, est sorti de prison depuis peu. Il avait tué sa femme à coup de bûches, devant ses propres petites filles, par jalousie, sa femme le trompant. Afin de fuir les lumières de la ville, trop vives pour son âme encore tourmentée, il s'engage dans un chantier de construction d'un barrage au fin fond d'une vallée isolée en pleine montagne où vivent des hommes et des femmes totalement coupés du monde.

« Au fond du ravin bordé par les versants dénudés de la montagne serpentait un torrent aux reflets métalliques. Et le long de cette eau resplendissante, nous apercevions tout en bas, discrètement blotti, le groupe de maisons dont nous avions entendu parler. le hameau existait bien et se trouvait réellement à nos pieds ».

Une vallée nimbée de brume, constamment noyée de pluie, d'un calme apaisant, qui n'est pas sans lui rappeler les murs humides de sa prison dans laquelle paradoxalement il a vécu ses années les plus propices à la réflexion et à la méditation.
Le barrage à construire conduira à submerger le hameau et donc contraindra la population à l'exil, population avec laquelle les ouvriers ne se mêlent pas. Et en effet, les deux camps s'observent, se regardent, les ouvriers sont fascinés par le calme, l'organisation, la persévérance et la discipline de cette communauté humaine malgré le sort qui les attend …frontière bien étanche entre les deux groupes, les ouvriers restent entre eux, les habitants du hameau entre eux, chacun vivant de son côté sans se côtoyer… jusqu'au moment où un ouvrier abuse d'une jeune fille du village. Cet incident aura de lourdes répercussions et va perturber notre narrateur.

« le souvenir du visage de la fille empreint de honte me faisait ressentir la douloureuse solitude des femmes. Même si elle avait été violée, à partir de l'instant où elle avait cédé, le poids de l'homme s'était-il installé à demeure tout au fond de son corps ? ».

Cet homme se sent en symbiose avec ce hameau et d'étranges échos, telles des réminiscences, vibrent en lui. Comme ce jour émouvant où les villageois se rendent au cimetière pour déterrer les morts et manipuler les cranes « avec autant de précaution que s'il s'agissait de précieuses porcelaines » afin de les placer dans de petites boites dans la perspectives de l'engloutissement de la vallée, de son côté le narrateur nettoie les cinq petits morceaux d'os des doigts de pied de sa femme qu'il a déterrés à sa sortie de prison. Cinq petits orteils qui cliquètent dans leur boite au fond d'un sac à chaque pas du narrateur, lui rappelant sans cesse son crime.
Son acte fut un acte de vengeance extrême et inouï pour profaner sa tombe et lui faire du mal même au-delà de la mort, alors que les villageois témoignent au contraire d'une immense dévotion et d'un profond respect pour leurs morts. le narrateur est ainsi conduit à réfléchir de nouveau à son comportement. La symbiose et la connivence vont s'amplifier après l'incident, il va alors faire preuve de beaucoup de sang froid, de courage et d'humanité, apaisant les blessures, immenses, du passé, reverdissant son âme noire.

« Dans cette gorge constamment ravinée par la pluie, la vitesse à laquelle germaient les bourgeons printaniers était stupéfiante. Au début c'était comme si tout se couvrait vaguement d'une fine couche de poudre vert-de-gris, mais de jour en jour la couleur devenait plus foncée, et bientôt les couleurs fraiches du feuillage printanier se répandaient dans toute la vallée ».

Au-delà de l'histoire personnelle de cet homme, le livre traite d'un sujet délicat, celui de l'expropriation d'habitants d'un village installés sur cette terre depuis des centaines d'années en contrepartie de grosses sommes d'argent dont ces gens, coupés de l'extérieur, n'ont que faire ou ne sauront pas bien utiliser. Les chasser, c'est ainsi les condamner à mort.

Et si cette vallée n'était-elle que symbolique ? N'est-elle pas représentative des tréfonds de l'âme de cet homme ? Les tombes du cimetière, nombreuses et surdimensionnées, ne représentent-elles pas l'obsession du narrateur pour la tombe de sa femme ? Et si ce convoi de l'eau n'était au final que le convoi de son âme vers la rédemption ? La construction du barrage, la construction de ses propres barrières afin d'arriver enfin à expier l'horreur orchestrée ?
Telles furent les questions que je me suis posée à la lecture de ce beau livre très poétique dans lequel nous avons, nous aussi, l'impression de flotter dans une brume légère d'où brillent des moments de beauté suspendus inoubliables. A noter une fin sublime que j'ai parcourue bouche bée…oui inoubliable !

« L'air au-dessus du hameau était pur, les mousses des toits brillaient de couleurs vives comme des algues vertes. Et dans les rayons lumineux du matin, il s'en élevait un peu de vapeur qui semblait ramper ».
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Un personnage étrange, le narrateur, une vallée mystérieuse, difficile d'accès, perdue dans la brume quelque part au Japon.
Il est sorti de peu de prison et s'est engagé dans un chantier de construction d'un barrage dans cette dite vallée, où vivent des hommes dans un hameau isolé de toute civilisation. Une vallée qui avec son calme et son humidité considérable lui rappelle les quatre murs de sa prison et son passé peu reluisant. Bien qu'ayant une mystérieuse fascination pour la lumière, qu'il éprouve depuis l'enfance et qui lui donne la sensation réelle de paix, paradoxalement, dans cette vallée sans cesse noyée sous la pluie ou le brouillard, il s'y trouve bien. La suite le renforcera, liant son destin à celui du hameau condamné.
Alors que les travaux commencent, s'initie une étrange dynamique entre les habitants du hameau et les ouvriers du chantier. Notre homme observe, le coeur violemment remué par le calme et la discipline de ces habitants qui ne cillent pas face à ces ouvriers venus détruire leur hameau et qui sera bientôt enseveli sous l'eau. Bien qu'un terrible incident chamboule temporairement cette dynamique, les habitants, impassibles, continuent à vivre à leur manière......
Un sentiment de malaise indéfini pèse sur cette histoire qui semble hors du temps. Un sujet révoltant : de quel droit peut-on exproprier les habitants d'un hameau de montagne installés sur une terre depuis quelques centaines d'année, on leur donnant simplement une forte somme d'argent pour quitter les lieux.....ces gens qui ne sauront comment utiliser cet argent pour planifier leur futur ?
“Les chasser de la vallée équivalait à les condamner à mort .”........

J'ai lu et relu les dernières pages, retenant mon souffle, la gorge nouée....
Un texte magnifique d'une noirceur et d'une poésie infinies. Glaçant et Sublime !


“Les silhouettes des habitants du hameau genoux fléchis se diluèrent comme de l'encre de Chine dans la brume”.
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Le narrateur fait partie d'une première équipe d'une soixantaine de travailleurs recrutée pour la construction d'un barrage dans une vallée perdue du Japon de l'immédiat après-guerre.
Cet homme a signé ce dur contrat de travail non pas pour le salaire alléchant mais pour fuir un passé détestable marqué par une enfance compliquée et un récent séjour en prison pour avoir fracassé à coups de bûche la tête de sa femme adultère.
Bien que ses nuits soient peuplées des cris de ses deux petites filles qui ont assistées à la terrible scène sanglante, six ans après les faits il n'arrive pas à pardonner la trahison de sa femme.

Au fond de la vallée existe, depuis on ne sait combien de temps, un hameau où vivent plusieurs centaines de personnes mais l'ordre est donné aux ouvriers, d'éviter tout contact avec les autochtones. Les baraquements sont donc construits sur un promontoire rocheux qui surplombe le village.
Un certain nombre de faits graves en rapport avec les travaux du barrage perturbent la vie paisible du hameau et les travailleurs, de leur poste d'observation, assistent médusés aux réactions souvent stoïques des villageois. Le narrateur est bien le seul à ne pas rire des blagues que lancent entre eux les ouvriers du chantier sur la supposée bêtise des gens du coin.

Le jour où les villageois se rendent au cimetière pour déterrer les morts et manipuler les cranes « avec autant de précaution que s'il s'agissait de précieuses porcelaines », le narrateur nettoie de son côté les cinq petits morceaux d'os des doigts de pied de sa femme qu'il a déterrés à sa sortie de prison.
De plus en plus en symbiose avec le village condamné, c'est par une action courageuse et d'une grande humanité que le narrateur entreverra enfin un début de rédemption.

« le convoi de l'eau » est un court roman de toute beauté, empreint de poésie.
Akira Yoshimura signe là une fable où deux histoires – celle du narrateur et celle des habitants du hameau voué à la destruction – évoluent en parallèle pour finalement se rejoindre dans un dénouement chargé d'émotions.

Quelle est belle cette humanité cachée au tréfonds de l'âme humaine capable de soudain se réveiller et de franchir… le plus résistant des barrages !
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Je ne suis pas familière de la littérature japonaise. Aussi ai-je abordé avec curiosité le roman de Akira Yoshimura : le Convoi de l'eau. Une fable assez déroutante pour moi en tout début de lecture par son atmosphère. L'eau sous toutes ses formes, la brume, la mousse, la forêt sont omniprésentes et constituent un décor un peu irréel, souvent oppressant par son caractère inhospitalier : "La vallée était sans cesse noyée sous la pluie ou le brouillard".
Dans cette nature pas toujours bienveillante évoluent des hommes qui n'appartiennent pas aux mêmes mondes. Les premiers, à commencer par le narrateur, sont les représentants de ces technologies avancées qui sont l'apanage de notre civilisation moderne. Ils sont là pour construire un barrage sur la rivière K. Les seconds sont les "habitants du hameau" celui même situé au fond d'une vallée qui constitue "une forme naturelle idéale pour un lac de retenue". Vous l'aurez compris, ce village doit être détruit et ses habitants devront le quitter dès que les autorités chargées de la construction du barrage l'auront décidé. La thématique sous-jacente à cette histoire est donc bien celle liée à la spoliation des droits des peuples autochtones face à une civilisation plus agressive que la leur et qui n'hésite pas à détruire tout ce qui fait obstacle au progrès, au profit et au confort...
Ce qui m'a beaucoup plus dans ce court roman c'est justement le traitement de cette thématique. Pas de condamnation directe, pas de jugement mais un regard, celui du narrateur, derrière lequel on sent la présence de l'auteur. Ce narrateur va, en effet, à la suite des résonances avec son histoire personnelle, être amené à observer avec intérêt ces "habitants du hameau". Et au fur et à mesure qu'avance l'histoire nous allons découvrir avec lui que ce petit groupe de femmes, d'hommes et d'enfants, fait preuve d'une humanité qui force notre respect.
D'abord profondément surpris et décontenancé par leur obstination de fourmis à reconstruire sans se lasser ce qui a été détruit par le dynamitage des rochers surplombant leurs habitations, il va découvrir petit à petit les valeurs qu'ils partagent. L'importance, par exemple, des rituels liés à la mort et qui dégagent à la fois une familiarité et un respect déconcertant pour les défunts et leurs restes. le narrateur va être aussi confondu par le soin et l'intelligence dont ils font preuve dans la gestion de leur environnement à savoir l'eau et la forêt. La cohésion et la solidarité de leur groupe seront également très présents dans l'organisation de leur départ...
Peu à peu et tout comme le narrateur nous passons de l'étonnement à une admiration sans réserve pour ces femmes et ces hommes qui font face à leurs "ennemis" mais sans la moindre agressivité ou précipitation.
La fin du roman est superbe, à la fois par son caractère hallucinatoire mais aussi solennel, onirique et symbolique. D'un symbolisme qui nous parle beaucoup à nous, femmes et hommes du XXIe siècle ! Mais je n'en dirai pas plus...
Je me rends compte en terminant cette chronique combien j'ai été impressionnée par la force de l'évocation de l'auteur face à ces "habitants du hameau". C'est une lecture sélective que j'assume mais qui n'est pas la seule possible;
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Convoi de l'eau ou convoi de l'âme ?
Construction d'un barrage au fond d'une vallée ou expiation d'un carnage du fond d'une destinée ?

« Pour moi inhumer cette jeune femme était quelque chose d'important qui apaisait ma blessure du passé. »

Brume des sentiments et brouillard des agissements sont éclairés, clarifiés par les mots poétiques d'Akira Yoshimura.

L'eau comblera la vallée et avalera le passé du hameau qui ne sera plus porté que par la mémoire des hommes, véritable barrage à l'oubli des âmes.

On ne part jamais pour rien : certains pour oublier, au mieux pour estomper, faire taire les relents d'avant, d'autres y sont forcés par des intérêts d'état ou des tas d'intérêts.

Akira Yoshimura mêle avec esprit et malice le parcours d'un homme blessé et la bravoure d'un hameau sacrifié.

Tout en finesse, ce chassé-croisé m'a emporté et je suis parti avec eux, au plus profond de la forêt des êtres.

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critiques presse (1)
Actualitte
14 novembre 2011
Il nous a été difficile d'entrer dans ce roman d'Akira Yoshimura : la lecture laborieuse nous a semblé laborieuse et le texte haché, un peu lourd, peu enthousiasmant. Puis, les pages ont défilé sans qu'on les retienne : elles tournaient toutes seules, nous entraînant à leur suite dans les souvenirs de cet homme meurtrier, subjugué par ce village presque fantomatique et ses habitants aux us étonnantes, aux maisons inouïes et à l'impressionnant comportement collectif.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (96) Voir plus Ajouter une citation
Mon bras se tendit naturellement pour fouiller au fond de mon sac qui contenait mes effets personnels. Je sentis le contact de la petite boîte. Je grimaçai et retirai aussitôt ma main. Tant que cette boite serait là, il serait absolument impossible pour moi de connaître la paix. Ceci dit, l'idée de la jeter ne me venait pas non plus à l'esprit. Bien au contraire, j'étais dominé par le sentiment agacé de vouloir obstinément la garder.
Et jusqu'à notre arrivée dans la vallée, à chaque pas j'entendais un léger bruit provenir de la boite. Un cliquetis comme celui de la bille de verre qui ferme les bouteilles de limonade ou de coquillages s'entrechoquant, que je ressentais dans mon corps. Ce bruit qui martelait des reproches pendant que je continuais à marcher. Je ne cessais de marcher en attisant ma haine envers ma femme.
Cinq petits morceaux d'os des doigts du pied de ma femme...Posséder une partie d'elle me donnait le plaisir de profaner son cadavre. Il était impensable que je les jette, mais si je les jetais, ce serait uniquement en les lançant dans un égout d'eau croupie.
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L'appel se terminait enfin lorsque nous avons aperçu quatre silhouettes humaines avançant vers nous sur le lit du torrent noyé dans la brume blanche de la pluie.
Ils s'approchaient en marchant sur les pierres qui bordaient le torrent gonflé par les eaux. Trois d'entre eux avaient une pèlerine de paille et un chapeau de laîche. La dernière silhouette, vêtue de blanc, était battue par la pluie.
Ils commençèrent à gravir la pente qui menait au camp où nous nous trouvions. Je finis enfin par comprendre que la silhouette blanche battue par la pluie était celle d'une jeune femme. Et cette femme, en plus, marchait pieds nus.
Nous avons échangé des regards. C'était la première fois que des gens du hameau venaient jusqu'ici, nous sentions que l'aspect de cette femme n'était pas ordinaire, si bien que nous les regardions approcher, le corps raidi.
Les pieds de la fille glissant sur l'herbe mouillée de la pente, elle faillit tomber plusieurs fois. Une grande quantité de boue maculait l'ourlet de son vêtement blanc, et ses petits pieds nus en étaient recouverts.
Arrivés en haut de la montée, ils se dirigèrent sans hésiter vers l'endroit où nous nous trouvions. Etait-ce parce qu'ils portaient une pèlerine ? Les épaules des hommes paraissaient larges et vigoureuses.
Leurs yeux perçants sous les chapeaux de laîche nous lançaient des regards noirs.
Il y avait un vieillard bien charpenté au menton tanné, un homme d'âge mûr aux lèvres épaisses, et un jeune homme au teint pâle.
Pétrifiés, nous observions le visage des gens du hameau que nous découvrions de près pour la première fois.
Le chef d'équipe s'avança l'air méfiant :
- Vous désirez quelque chose ? leur demanda-t-il d'un ton courtois.
Mais ils continuaient de nous transpercer du regard en silence, le visage parfaitement immobile. Ensuite, brusquement, le vieillard secoua violemment la fille par l'épaule.
Elle releva la tête. La pluie roulait de ses cheveux vers ses joues et coulait dans son cou. Elle avait le visage blême, les lèvres bleues. J'eus instinctivement le souffle coupé devant ses traits nettement dessinés. Son visage aux cheveux collés des joues vers la bouche était d'une beauté incroyable, presque insoutenable.
Les yeux de la fille, comme si on l'y poussait, commencèrent à se déplacer sur nos visages. La pluie qui tombait dru et bruyamment rejaillissait aussi en vapeur blanche sur sa tête et ses épaules.
Soudain, ses yeux s'arrêtèrent sur un point. Sa main dont on voyait la peau en transparence du tissu détrempé s'éleva lentement pour indiquer une direction.
J'ai tourné la tête. Au bout du doigt de la fille se trouvait le visage apeuré d'un ouvrier de petite taille sous son ciré.
Je dirigeai à nouveau mon regard vers le visage de la fille. Elle fixait l'ouvrier d'un oeil plein de colère. Son corps frêle était pris de tremblements, qu'elle paraissait supporter en serrant les dents. Mais aussitôt son visage s'abaissa vers ses pieds dans un mouvement brusque. Je vis sur son profil, mélangée à la peur, une légère nuance de honte.
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Après avoir progressé pendant un certain temps, nous sommes arrivés au sommet d'une petite cascade. Nous l'avons descendue en nous agrippant aux rochers, et continuant plus avant, au détour de la vallée, notre vue se dégagea et nous vîmes s'élever d'épais nuages de vapeur.
- C'est là, cria l'homme de tête.
Nous avons couru vers la vapeur en nous disputant à qui serait le premier.
La source jaillissait du lit peu profond. Le sable fin dansait au fond de l'eau, étincelant comme des paillettes.
Nous nous sommes précipités pour y tremper l'extrémité de notre main. C'était chaud. Nous poussions des cris de joie. Et quand nous avons découvert dans un coin une vasque naturelle comme une grande baignoire en plein air, notre excitation monta d'un cran.
Quelques-uns d'entre nous se débarrassèrent de leurs vêtements pour y plonger tout nus. Ils s'aspergèrent avec ardeur, riaient comme des fous.
Le chef d'équipe était lui aussi d'excellente humeur. Jusqu'alors nous avions fabriqué un bassin en bois que nous remplissions d'eau chaude, et dans lequel nous ne pouvions nous laver qu'une fois tous les quinze jours. De plus, nous étions nombreux à l'utiliser, il se salissait vite, et l'utilisation de l'eau chaude était rationnée.
- Bon, on va en faire une vraie station thermale, proposa le chef d'équipe.
Nous sommes retournés au camp en courant. Du bois fut transporté sans tarder, des planches franchirent le torrent, un solide escalier fut construit à l'endroit de la petite cascade.
Dès que l'accès du bain fut aménagé, nous nous sommes plongés dedans. L'eau devait provenir d'une source légèrement alcaline, car au bout d'un moment, elle rendait la peau toute douce.
Nous nous y trempions à tour de rôle, nous nous lavions puis, assis sur les rochers, nous regardions les parois qui se dressaient de chaque côté. Ici où là, à mi-pente de l'escarpement, poussaient des sélaginelles qui étalaient leurs branches, à un endroit ruisselait le filet d'eau qui tombait en cascade, et de temps à autre, au gré du vent, des gouttelettes arrosaient la vasque au creux des rochers.
- Des bains aussi luxueux, on n'en trouve pas si facilement, hein.
Ils contemplaient avec satisfaction la paisible vallée.
Ce jour-là, après le dîner, à la lumière d'une lampe-tempête, nous sommes descendus le long du torrent tous ensemble comme des curistes. Ainsi pendant deux ou trois heures avons-nous discuté joyeusement, ce qui apaisa notre humeur chagrine.
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Je suis entré sous une tente située un peu à l'écart et me suis aussitôt enroulé dans ma couverture. J'étais épuisé par une marche de cinq jours en montagne, et la fatigue remontait des profondeurs de mon corps.
J'ai fermé légèrement les yeux. De rudes ronflements résonnaient déjà autour de moi.
Alors, soudain, une voix très claire a jailli au creux de mon oreille :
"Puissiez-vous vivre des jours paisibles..."
J'ai brusquement rouvert les yeux. Aussitôt la pièce environnée de murs blancs, lumineuse dans les rayons du soleil, réapparut avec fraîcheur en mon coeur.
Se découpant sur l'éblouissante fenêtre vitrée, derrière un grand bureau, un homme maigre et pâle était calé sur son siège. Sa voix de directeur qui s'échappait de ses lèvres gercées se voulait cérémonieuse. Et je ne pouvais qu'en ressentir le vide administratif, dans la mesure où il adressait habituellement ces mots à tous ceux qui sortaient de prison.
Puissiez-vous vivre des jours paisibles...
J'avais l'impression de regarder autour de moi. Et je me rappelais aussi la peau mince et fendillée des lèvres du directeur dans le halo blanc du soleil qui entrait par la fenêtre. Le murmure du torrent qui me parvenait au milieu du profond silence avait-il réveillé en moi ces paroles complètement oubliées ?
Sous la tente, une lampe-tempête était allumée, de sous laquelle provenait le claquement des cartes hanafuda. La fatigue n'avait-elle donc aucune prise sur eux ? Les yeux injectés de sang des ouvriers assis en rond fixaient un point sous la lampe.
J'eus un sourire amer. Les paroles du directeur de la prison me paraissaient creuses et même comiques. Des jours paisibles, ça n'avait vraiment rien à voir avec moi.
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De fait, la vallée était d'une humidité déconcertante, et une fois par jour, la pluie se faisait une règle de venir la visiter avant de s'en repartir.
La direction d'où venait la pluie était toujours la même, le sommet du pic qui se dressait à l'ouest de la vallée se mettait à blanchir, cela s'élargissait en un clin d'œil, et bientôt la nappe descendait le long du ravin en frôlant dans un bruit de marée la cime des arbres qui se dressaient à flanc de montagne. Ensuite, après avoir éclaboussé la vallée pendant un certain temps d'une poussière de gouttelettes, la nappe remontait à toute vitesse avec son cortège de pluie le long du flanc opposé.
Dans la vallée après le passage de la pluie, de grandes quantités d'eau cascadaient un peu partout sur les pentes de la montagne. Et un brouillard épais chargé d'humidité avait l'habitude de stagner au fond de la vallée.
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