L'eau était partout. Elle courait le long des murs humides, rigolait derrière les planches qui masquaient les fenêtres abîmées. A l'extérieur, dans un silence souverain, elle frappait le sol sans discontinuité.
Cette immersion dans cet univers aquatique était oppressante. Parfois, la femme avait l'impression de se noyer. Elle relevait alors la tête, comme pour la maintenir hors de l'eau, puis réalisait, abasourdie, où elle était. Les couleurs, dans sa tête, n'étaient alors plus assez flamboyantes pour lui épargner la vision affligeante de son corps prisonnier.
Don Pratt n'aimait pas ce qu'il voyait. Maddie Rawland avait été une belle jeune femme. Sur la photographie que l'on avait collée à la va-vite sur un panneau mural en liège, elle souriait à la vie, ses yeux verts pétillants de malice. Son visage étroit révélait une multitude de tâches de rousseur qu'une chevelure auburn rehaussait d'un éclat lumineux. Tout chez la femme hurlait l'envie de vivre. Pourtant, aujourd'hui, Maddie Rawland était morte.
Sous le cliché témoin de son bonheur passé, d'autres photographies avaient été ajoutées, des images en noir et blanc que la lumière blafarde d'un petit matin rendait presque irréelles...
Nul animal ne sortait jamais de cet univers en vase clos: il mourrait là où il naissait, sans espoir de rédemption, hormis ces rares moments où les rayons du soleil parvenaient à altérer la force de ces démons invisibles. A qui savait l'accepter, ce milieu pouvait être supportable, voire presque satisfaisant. Mais gare à qui osait se rebeller ou juste clamer haut et fort son malaise! Ici, la pitié et la faiblesse n'avaient pas leur place, ou plutôt elles ouvraient les portes du désespoir et de l'échec. Nul ne l'ignorait et tous combattaient, avec une hargne mêlée de folie, vainement le plus souvent, pour survivre...
Son costume noir dessinait une silhouette sportive et alerte qui n'avait certainement jamais connu la dépravation. Quoique, à y regarder de plus près, l'homme n'avait rien d'un saint. Il portait juste sur lui des certitudes envahissantes. Marion détestait ce genre d'hommes, surtout quand ils cachaient, dans la poche intérieure de leur veste, une plaque qui luisait plus que la sienne.
Elle avait renoncé à crier. C'était inutile, elle en était consciente. Elle devait être perdue au milieu de nulle part, sans âme qui vive à plusieurs kilomètres à la ronde. Le bayou était l'endroit parfait pour celui qui voulait se cacher...