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EAN : 9782226477033
288 pages
Albin Michel (03/05/2023)
3.9/5   26 notes
Résumé :
Afin d'échapper à son milieu, Tristan entreprend des études d'Histoire de l'art. Il découvre un artiste fascinant, Lorme, sculpteur de génie, disparu en 1913, sans laisser de traces... Il se fait alors engager chez le galeriste le représentant pour tenter de se rapprocher de son oeuvre, mystérieuse.

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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Il y a des livres qui n'arrivent pas par hasard dans votre vie. Car certaines épreuves vous amènent ailleurs, dans des contrées aussi noires que vraies. le gardien de l'inoubliable, le titre est déjà une petite merveille, la couverture aussi poétique que puisse l'être ce roman qui bouscule les frontières entre imaginaire et réalité.

Tristan Karadec est un jeune enfant singulier, à l'imagination débordante. Totalement incompris par ses parents dépourvus d'amour pour cet enfant étrange, Tristan va grandir grâce à des rencontres charnières. Résilience et imagination sont à mon humble avis les plus importantes armes que l'on puisse offrir à un enfant afin qu'il se construise dans les marécages de la vie.  Les souffrances de cet enfant incompris sont palpables, ses envies de rêver, de faire de ses rêves la réalité m'ont laissée songeuse. Ses refuges feront de lui le gardien de l'inoubliable.

« Enfant, les parents me disaient toqué, mais je suis certain que si je ne l'avais pas été, ils m'auraient rendu fou. Pour de vrai. »

En grandissant, dans ses études d'histoire de l'art, Tristan s'intéressera à un sculpteur Charles-Félix Lorme, mort depuis environ un siècle.

Ses recherches vont nous amener dans des contrées très complexes, sur la rive de la mythologie grecque par exemple ou encore dans des tirades des Métamorphoses d'Ovide. J'avoue que mon état actuel et ma petite concentration m'ont rendue peu encline à suivre l'enquête de Tristan.

Cette frontière borderline entre imaginaire et réalité n'a pas été toujours très simple à suivre. C'est un livre ici onirique, très poétique, initiatique certainement puisqu'on suit l'évolution de Tristan, ses amis partis trop vite mais tellement présents dans son coeur, dans sa tête, sa grand-mère qui l'accueillera et lui donnera un peu de valeur et puis son frère qui n'aura de cesse de veiller sur ce petit frère incompris.

J'ai rencontré dans ce livre des passages de toute beauté qui ont fait jaillir chez moi de fortes émotions. Certains écrivains ont cette faculté à parler de nous, petites gens avec une précision poétique spectaculaire. Marie-Laure de Cazotte en fait indéniablement partie. Je vous suggère d'aller les lire sur mon blog.

Je vous recommande ce livre si vous êtes un petit ou grand matelot attiré par les vagues, si vous vous sentez attirés par les mirages dans le murmure du vent face à une enfance piétinée, par le parfum des rêves quand ils viennent vous bercer pour vous tenir debout.

Orphée, le Minotaure, le labyrinthe de Dédale et d'autres mythes vous tiendront en attention si ces sujets ne vous effraient pas.

N'hésitez pas à découvrir ma page consacrée aux livres relatifs aux traumas de l'enfance, dans chacun d'eux, il y a peut-être un peu de vous, de votre enfant intérieur. 

https://coccinelledeslivres.be/trauma-de-lenfance/
Lien : https://coccinelledeslivres...
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«Si j'avais été un véritable artiste»

Dans son nouveau roman Marie-Laure de Cazotte imagine un jeune homme quittant la Bretagne de son enfance pour Paris où il se passionne pour l'oeuvre d'un sculpteur. Jusqu'au jour où il relève quelques incohérences dans les documents. Un roman sur l'imagination, l'art et le mensonge.

Tristan Karadec est un garçon sage qui aime la mer et les bateaux et les vacances. La première rencontre qui va durablement le marquer est celle de Marc Kurosawa, un Japonais qui débarque dans classe et s'installe à côté de lui. Après avoir pris la défense de ce jaune, il devient vite son meilleur ami. Et puis un jour, il lui offre un livre de contes japonais dans lequel, il a écrit au revoir. Tristan va alors compenser l'absence avec un ami imaginaire sortant du livre: «J'ignorais où peut mener le manque d'un ami et, l'aurais-je su, que peut-être n'aurais-je pas cru en ce personnage en kimono qui surgit, s'installa sur mon lit et avec lequel je me mis à bavarder en l'appelant «monsieur Kurosawa». Sa présence qui devint une habitude m'éloignait de la villa Ulysse, de l'irascibilité de ma mère, de la dureté de mon père, des absences de mon frère, de l'odeur des lessives, de l'école.»
Jacob sera sa seconde bouée de sauvetage. Avec lui, il apprendra la voile et, quand il retournera en Australie, lui laissera Bel Ami, son bateau en gage de reconnaissance.
Après le passage de la tempête Lothar, le voilier ne sera que partiellement touché, mais il abrite un petit chien qui va devenir très vite un compagnon inséparable que le cancer finira par emporter. Mais grâce à son galet magique, «le gardien de l'inoubliable», il continue à converser avec ses amis.
C'est alors qu'au hasard d'une lecture Tristan découvre l'oeuvre du sculpteur Charles-Félix Lorme et décide de suivre des études à la Sorbonne tout en participant aux recherches afin d'établir le catalogue raisonné de l'artiste. À la galerie d'art François Courtin, il va se plonger avec passion dans cette oeuvre à travers les archives - papiers, lettres et dessins préparatoires - et finir par noter quelques incohérences.
À partir de là Marie-Laure de Cazotte va nous entraîner dans un tourbillon où le mensonge, le secret et l'art vont s'associer dans un épilogue étourdissant.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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J'ai du m'y reprendre à deux fois pour lire ce roman. J'avais entamé sa lecture en faisant le choix de ne pas lire la 4ème de couverture. Grave erreur. Pour bien entrer dans l'histoire il faut savoir que Tristan est un menteur à l'imagination débordante, sinon on a l'impression que ça part dans tous les sens. Il va habiter chez sa grand-mère et étudier l'histoire de l'art à la Sorbonne et s'intéresser à l'oeuvre d'un sculpteur Charles Félix Lorme.
Même si la partie « recherches » a plus retenu mon attention je n'ai pas vraiment accroché à l'histoire si singulière
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Tristan est un jeune garçon sensible et imaginatif, à la personnalité bien éloignée de celle de ses parents, un couple bourru et agressif, qui passe leur temps à le rabaisser et lui procure un sentiment d'abandon, de solitude et de manque d'amour. Attiré par l'art, Tristan décide de se lancer sur les traces d'un peintre nommé Charles-Félix Lorme. À Paris, il vivra avec sa grand-mère, qu'il ré-apprendra à connaître, puisque souvent dénigrée par ses parents, qui ne lui faisaient pas bonne presse aux yeux de Tristan. Passionné par son travail et ses recherches, Tristan va mettre le doigt dans un mystérieux engrenage autour de ce peintre et de son oeuvre, qui semblent être l'un comme l'autre, l'ombre d'un faussaire. Toute une enquête se met en place avec comme inspecteur préposé : Tristan.

Je ne m'attendais à rien de spécial en commençant cette lecture, mais j'ai quand même été déçue, puisque les quelques avis que j'avais lu étaient tous plutôt positifs. Je n'étais peut-être pas forcément dans un état d'esprit adéquate pour découvrir ce roman : le fait est que je suis passée à côté de l'histoire. C'est un livre qui se laisse lire, assurément, mais avec lequel je n'ai pris aucun plaisir. Je n'ai trouvé aucun intérêt à l'intrigue, que j'ai trouvé bien peu rationnelle et je n'ai pas accroché aux personnages, hormis un peu de tendresse ressenti envers Tristan et sa grand-mère, vilains petits canards aux yeux du reste de la famille en raison de leur originalité d'état d'esprit et de pensée.

Car Tristan est quand même touchant : il vit dans son propre monde, aux côtés d'un ami imaginaire qui l'épaule, le conseille, le suit dans ses aventures ; les souvenirs d'amitié passées ; et son défunt chien, à qui il pense souvent avec tendresse. Entre rêve et réalité, le jeune garçon est constamment balancé entre deux mondes qui l'assaillent et font de lui un être parfois distrait, qui peut sembler benêt mais qui souffre d'être incompris aux yeux des autres. Heureusement, sa grand-mère est le pilier qui manquait à sa vie, présente pour le soutenir, l'aider dans tout ce qu'il entreprend et lui redonner confiance en lui.

De la Bretagne à Paris, un voyage initiatique qui navigue entre rêves et réalités, que je n'ai pas réussi à apprécier à sa juste valeur. Un protagoniste sensible et touchant, mais une histoire qui manque de saveur et de profondeur.
Lien : https://analire.wordpress.co..
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Tristan est un incompris. Cet enfant à l'imagination débordante est grondé, houspillé, brimé par des parents indifférents, qui le traitent de menteur, lui qui ne fait que vivre dans son imaginaire.

Bien sûr il y a les voisins, la famille Kurosawa avec qui il s'entend si bien. Mais un jour ils quittent la ville et Tristan se retrouve seul.
Heureusement, il y a ce cailloux trouvé au bord de la mer.
Il y a cet ami, apparu lorsque les voisins sont partis, ce monsieur Kurosawa qui est son confident, son guide, son ami intérieur.
Il y a le pouvoir de l'imagination, la puissance de résilience dont Tristan est capable pour continuer à vivre a vie normalement, loin de ces parents mal-aimants qui infligent des souffrances dont ils ne semblent même pas être conscients.

C'est décidé, il quitte la ville pour étudier l'art ; il part à Paris travailler dans la galerie qu s'occupe d'un artiste mystérieux dont l'oeuvre l'a totalement subjugué. Chance inouïe, tenter de comprendre la vie et l'oeuvre d'un artiste. Il y passe ses journées avec un bonheur évident.

Là, à la rencontre d'une grand-mère qui l'héberge, la seule qui le comprend, il se lance sur la piste de l'artiste…. mais n'est-ce pas plutôt sur une fausse piste que le galeriste souhaite l'envoyer ?

Et de fil en aiguille, ou plutôt d'enquête en suspicion, c'est sur la piste d'un faussaire que le jeune Tristan s'embarque !

Un brin de fantastique, pas mal de poésie, une piste artistique savoureuse, et quelques notion de japonisme, voilà un roman qui fourmille de références à l'art sous toutes ses formes.

Si l'intrigue attendue se fait parfois attendre, si les notions artistiques foisonnent mais sont un peu noyées sous les références mythologiques, c'est malgré tout une lecture tout à fait intéressante, en particulier sur la notion de maltraitance des enfants par leurs parents. Et pour cette approche de l'art et des faussaires très bien présentée ici.

https://domiclire.wordpress.com/2023/06/22/le-gardien-de-linoubliable-marie-laure-de-cazotte/
Lien : https://domiclire.wordpress...
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critiques presse (1)
SudOuestPresse
19 juin 2023
L’historienne de l’art réfléchit, dans ce quatrième roman, à ce qui fait d’une mystification une tromperie ou, parfois, une vérité qui appartient à celui qui l’a élucubrée.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Un dimanche de la mi-août, un homme grimpa les marches de l’autel de l’église Saint-Gildas. Il se signa, se retourna vers l’assemblée, et lança vers les voûtes :
– Were you there when they crucified my Lord ?
Les notes basses, vibrantes, tragiques emplirent la nef, et lorsqu’il répéta :
– Were you there when they crucified my Lord ?
d’une voix plus haute, plus impérative, plus douloureuse encore, mes jambes devinrent flasques et des larmes me montèrent aux yeux.
Une inconnue à mes côtés me chuchota :
– Étais-tu là quand ils ont crucifié notre Seigneur ?
J’ignorais qu’elle ne faisait que traduire les paroles. J’avais neuf ans, je connaissais le catéchisme et tout le saint-frusquin des étapes vers la crucifixion, mais pas l’anglais.
Sa question me tarabusta. Avais-je été là quand le Seigneur avait été cloué par les mains et les pieds à deux morceaux de bois ?
Stupéfié par ce chant et cette langue, troublé par l’intérêt que cette dame me portait, je regardai le Christ endormi sur sa croix et fis un immense effort pour tenter de me rappeler la nuit du Golgotha, l’odeur acide émanant des aisselles du pauvre Judas s’apprêtant à trahir, l’insomnie de Jésus, sa solitude, les ronflements des apôtres, l’aube et tout ce qui s’ensuivit, mais j’avais beau creuser mes souvenirs, non, je ne m’étais pas tenu sur le chemin de croix, non, je n’avais pas assisté à ce moment terrible où le Christ presque nu, sanguinolent, subit sa Passion, la sueur dévalant sur son visage, avec, autour de lui, sa mère se tordant les mains et les femmes geignant, s’évanouissant.
Je répondis à ma voisine :
– Non, madame, je n’étais pas là quand ils ont crucifié Jésus.
Mon père, pensant que je venais de proférer une insolence, m’envoya du revers de sa main un soufflet sur la joue et ma mère me fit les gros yeux.
En ravalant ma honte, j’en conclus immédiatement que je venais de mentir en pensée et en paroles, alors, pour faire acte de contrition, je dis à l’inconnue :
– Excusez-moi, je me suis trompé, j’étais là.
Les yeux indignés de cette femme sur papa, la façon si douce dont elle posa une main apaisante sur mon épaule m’ébranlèrent plus fort encore que la gifle.
Elle donnait tort à mon père.
Tort !
Je savais que le Christ aimait les petits enfants, qu’Il me connaissait, puisque madame-caté nous l’assénait. Il était au-dessus de nos têtes, voyait chacun de nos faits et gestes, lisait dans nos pensées, et, si ce n’était Lui, c’était son Père. Nous étions, enseignait-elle, un troupeau de brebis, plus ou moins égarées selon un principe dont les règles m’échappaient. Dans le même temps, on nous faisait apprendre par cœur la fable du « Loup et de l’Agneau » de La Fontaine :
– Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
– Je n’en ai point.
– C’est donc quelqu’un des tiens
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens…
En regardant la télévision, ma mère s’énervait :
– On nous prend vraiment pour des moutons !
Tous ces ovins semaient un grand désordre dans mon cerveau.
Ce ne fut pas une décision que je pris, dans cette église, de reléguer mes parents dans une grotte de mon esprit. Cela m’advint. De ce moment, monsieur Kurosawa, mon ami intérieur, a pris le pouvoir. Il devint mon héros, mon Jésus en kimono, mon protecteur contre l’ennui et la tristesse, le biais par lequel toute conscience que j’avais du monde, toute confiance que je pouvais bâtir envers autrui, tout jugement, passèrent désormais.
Il savait mieux que moi ce que je faisais sur terre.
Monsieur Kurosawa n’aurait pas franchi le pont de l’Ailleurs si un garçon japonais n’était apparu un matin de septembre dans la petite école de mon village de Bretagne, dont la géographie n’a d’importance que pour la façon dont il s’attache à l’océan. Tout y est de mer, de conséquences de mer, de travaux ou loisirs maritimes ou s’y ramenant. Le cœur en est l’église romane juchée sur une hauteur et surveillant de son portail les villageois dont les noms s’égrènent dans le cimetière. Notre nom Karadec n’y est pas plus haut qu’un autre. De ce cœur, tout dévale vers le port ventru, modeste, aux quais bellement dallés bordés d’anciennes capitaineries, de deux jolies auberges-restaurants, d’une boulangerie rutilante, de tout un exotisme d’antan, en bref, qui attire les touristes en été.
Nous vivions, mon père médecin, ma mère infirmière et mon frère Gaétan, né douze ans avant moi et qui allait devenir vétérinaire, à l’extérieur du village, dans un lotissement bourgeois bâti l’année de ma naissance, en 1985, en bord de mer, près d’un bois de pin. Les demeures y étaient vastes, les jardins larges, des colonnes doriques en soulignaient les perrons et leurs noms, villa Jason, villa Circé, villa Pénélope, s’accompagnaient à côté de la boîte à lettres de moulages de bas-reliefs. La nôtre, la plus proche de l’océan, se nommait villa Ulysse et s’ornait d’une sirène à queue de poisson. (J’ignorais à l’époque que les sirènes de l’Odyssée étaient des oiseaux à tête de femme et l’aurais-je su que cela n’aurait rien changé au cours de cette histoire.)
N’importe quel enfant obéissant aurait été heureux dans la villa Ulysse à la baie coulissante donnant sur une pelouse, des hortensias, une table en bois et une cabane.
Je n’étais pas obéissant et je n’étais pas heureux.
Mes parents proclamaient partout que j’étais un paresseux et un menteur. Pourtant, je faisais beaucoup d’efforts pour échapper à la maussaderie des heures en plongeant dans l’infini des événements extraordinaires qui auraient pu se produire, et je ne croyais pas mentir lorsque je racontais qu’à la boulangerie j’avais assisté à un hold-up, que j’avais vu un sous-marin sortir des eaux, un léopard sur un toit, un diable cornu dans un bosquet, puisque c’était arrivé à la télévision, à la radio, dans l’un de mes livres de gosse, sur un chapiteau de l’église ou dans ma tête.
Pour moi, les aventures appartenaient à tout le monde.
Ma chambre s’ouvrait sur la lande de pins ; du salon, nous apercevions par bouchées la plage qu’enserraient des bras de rochers. Une mince route goudronnée et peu fréquentée nous en séparait. Au-delà de cette langue de sable qu’envahissaient du printemps à l’automne des bateaux à voile, le pays était de falaises et de criques désertes.
À la frontière de cette sauvagerie, de ce désordre de vents, d’herbes rases, de joncs et de genêts, dans une bâtisse dite le Manoir (pour sa tourelle et ce que nous lui supposions de fantômes), s’étaient installés, en juillet 1993, les Kurosawa, un couple de Japonais et leur fils. Nous les pensions venus pour la saison, comme les Américains de l’année précédente, et l’été était un tel branle-bas de combat, surtout au centre médical de mes parents, que personne n’y prêta attention.
À la rentrée scolaire qui fut celle de mes huit ans, je trouvai, assis dans la classe à côté de moi, « le Jaune » – tel fut le sobriquet dont les élèves l’affublèrent immédiatement – en chaussures de cuir souple, chemise blanche immaculée, les cheveux plaqués en arrière que divisait comme un trait de craie une raie.
Nous étions une trentaine sous la houlette de la maîtresse, mademoiselle Micheline, une vacharde, et quand j’écris vacharde je me tiens à l’échelon bas de sa pestilence. En observant ses lèvres s’agiter pour faire l’appel, j’ai tout de suite vu qu’elles étaient de la race bec de corbeau, et pas du tout faites pour embrasser.
– Karadec Tristan.
– Présent, mademoiselle.
– Kurosawa Marc.
Elle prononça Ku-ro-sa-wa avec un je-ne-sais quoi de dénigrant dans la voix qui fit ricaner toute la classe, sauf moi, trop mortifié que j’étais d’être le voisin de cette plante exotique dont le nom, par-dessus le marché, jouxtait le mien dans la liste alphabétique. Plaindre autrui n’était pas dans mon caractère, mais le ton moqueur de cette sorcière me révulsa et je reconnus dans le geste que fit le garçon de rabattre ses cheveux en frange sur son front, comme s’il cherchait à disparaître, un mouvement qui m’était familier. À la récréation, menacé par une meute qui s’apprêtait à lui faire payer la blancheur de sa chemise, sa petite taille et ses yeux fendus, il s’est caché derrière mon dos, me désignant ainsi comme son protecteur. Dans la cour cimentée, s’étalait une immense souche d’arbre. Celui qui s’y perchait le premier était le roi du moment. Je l’ai entraîné, nous nous sommes ensemble juchés et ma main sur son épaule signala à tous notre alliance. Je n’étais pas un caïd mais le fils du docteur Karadec qui-voit-ta-mère-toute-nue, ce qui me donnait un sérieux avantage sur la bande qui nous cernait.
La vacharde saisissait toute occasion de se moquer des accents métalliques de mon camarade. La dégueulasserie de ça. Chaque fois qu’elle le faisait, je criais : « Ça ne se fait pas ! », ce qui me valait d’être fichu à la porte, mais je n’en démordais pas. Je crevais ses pneus, jetais des boules puantes sous sa chaise. En pensée.
Des légions de rumeurs circulaient sur les Kurosawa : ils étaient des millionnaires qui allaient transformer notre côte en golf avec atterrissage d’hélicoptères ; faire une culture d’algues de leur pays sur nos plages ; l’avant-garde d’une horde qui nous esclavagiserait comme les fourmis esclavagisent les pucerons ; des bouddhistes qui mettraient à mal nos traditions chrétiennes.
Comme j’étais le seul enfant à être invité au Manoir, on m’interrogeait :
– Qu’est-ce qu’ils font, les bridés ?
Je répondais au hasard : ils mangent, ils dessinent, ils font des poteries, ils lisent des livres.
– Tu as bien dû voir autre chose ?
– Ils ont un chat et une Vierge Marie.
– En quelle langue parlent-ils ?
Cette question m’embarrassait. Les Kurosawa s’adressaient à la dame qui les servait et à leur fils, devant moi, en français, mais ce français n’était pas fluide, pas de notre pays, il était plein des silences qu’y creusait l’absence d’articles définis ou indéfinis, et modeste en intentions.
Dans ma famille, toute phrase naissait dans un consta
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Mon ami intérieur est indissociable de mon chien Sultan. Des mois séparent pourtant leurs arrivées dans ma vie, mais je ne les vois pas l’un sans l’autre, de même que je leur associe Jacob et son voilier, les mules mauves de madame Kurosawa, les marches en planches autour du chêne, le livre de contes, mon porte-crayon, mes séances chez le psychiatre Donnadieu et ma découverte de la pierre-esprit de l’inoubliable.
Tout cela ne fait pas une chronologie, mais un tout d’enfance.
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Je collais des images de Pégase et d'arbres, je dessinais mon bateau et sa voile rouge pour oublier les complaintes parentales qui toutes commençaient pas : "Moi à ton âge" ou "Tu es une pierre dans notre sac à dos".
- Tu es une pierre dans notre sac à dos, Tristan, il faut te porter, tout le temps te porter.
Un jour de ras-le-bol, je leur dis :
- Je suis peut-être une pierre, mais vous vous êtes des menhirs, et moi je ne suis pas Obélix.
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Aboyer, il me restait cela pour le rejoindre, mais il est si douloureux d’imiter les voix de ceux que l’on a aimés.
Imiter une voix, c’est entendre de trop près l’absence.
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Je pense que nos mémoires sont des cieux dans lesquels nos immenses bonheurs et nos grands cataclysmes sont des étoiles, des repères de navigation.
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Retrouver l'émission complète : https://www.web-tv-culture.com/emission/marie-laure-de-cazotte-ceux-du-fleuve-52512.html
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