Il y a toujours deux côtés dans une histoire.
En littérature, lorsqu'un auteur se met au défi de raconter une histoire en se plaçant des deux côtés de la trame, cela apporte une nouvelle dimension au récit.
Edward P. Jones revisite le thème de l'esclavage, passablement et largement abordé, avec beaucoup d'intelligence et d'originalité, car il décide de faire ressortir un fait peu connu à ce sujet.
Son récit se situe en Virginie autour des années 1850 où l'esclavage fait encore rage. L'auteur mettra en lumière une coutume fort fait peu connue: certains esclaves noirs affranchis possédaient eux-mêmes des esclaves.
Edward P. Jones excelle dans la façon de traiter l'intense complexité morale de cette coutume.
Tout sonne juste dans ce roman.
Son écriture, parfois un peu sèche, au style heurté, est pourtant dense.
Il capte à merveille le débit, le rythme, l'intonation du discours parlé, ainsi que ses particularités individuelles, les tours de phrases, rengaines et gaucheries, agrémentant ainsi les dialogues.
La structure non-linéaire n'est pas si facile à suivre, mais les détails historiques et fictifs sont admirablement amenés. Chaque personnage possède son histoire unique et authentique, ils humanisent l'indicible.
L'atmosphère est vraiment crédible, on s'imagine trimer des les champs avec les esclaves tout autant que dans les salons à boire des rafraîchissements avec les maîtres.
L'écrivain américain aime s'adresser directement au lecteur et lui « spoiler » ce qu'il adviendra de certains personnages dans le futur.
L'émotion est palpable au fil du récit.
On en ressort un peu secoués et incrédules face à la réalité de l'esclavage et une sorte d'enclume, puissante, forge au fer rouge dans nos consciences les mots compassion et dignité.