Le Mur de Planck, tome 2 : Le Temps imaginaire

L’invention des androïdes, autrement dit de l’Intelligence Artificielle, repose sur le postulat que rien ne doit être refusé au génie humain, qu’il faut le laisser s’exprimer comme bon lui semble, sans le brimer, car ce génie est de toute façon porteur d’une éthique qui serait contenue à l’intérieur du magma neuronal générateur de progrès. Cette confiance aveugle dans l’autorégulation morale du Progrès a déjà été démentie par le passé, ne serait-ce qu’avec l’invention de la bombe atomique. Cette confiance est en fait une escroquerie conceptuelle, le moyen de se débarrasser des questions d’éthique en disant aux opinions publiques : Faites-nous confiance, mais par pitié, laissez-nous pousser le bouchon toujours un peu plus loin.

Il comprend que sa mission d’agent secret est en train d’être neutralisée, tout comme d’ailleurs ce statut professionnel qui perd progressivement la bataille face au statut purement humain de Travis, purement soi-même. Il pourrait se dire que Vanian est à l’extérieur, planqué dans sa voiture à surveiller la sortie de Vésale, mais en vérité il ne pense plus du tout à Vésale, pas plus qu’à Vanian. Ce qu’il veut, c’est parler de son expérience, à n’importe qui, parce que dans le fond n’importe qui fait l’affaire quand ce qui compte c’est avant tout de s’en parler à soi-même.

Un homme d’Église, tout de même, ce n’est pas rien. Vésale n’est pas allé parler à des voyous du coin, mais à un être qui a fait vœu de proposer à ses frères et à ses sœurs la voie du pardon et de la rédemption, alors que fait cet homme de Dieu avec un type qui est soupçonné de parvenue à son comble, laisse la place à autre chose que Travis et Vanian ne verront pas, puisque Vésale et son contact pénètrent dans l’église qui les cache, comme de bien entendu.

Il faudrait juste que je sache où je dois aller. L’enfoiré ne me l’a pas dit, il a fait exprès de ne pas me le dire. Comme si on était rivaux en plus d’être coéquipiers, comme si dans le fond ça l’arrangeait bien que je foire aujourd’hui ou qu’il soit seul à assurer cette filature. Et c’est pas vrai qu’il m’a laissé deux messages, c’est pas vrai.

Après le Où suis-je ? de rigueur devant une décoration intérieure qui ne lui dit rien, sa seconde préoccupation est de se demander Où devrais-je être ? les deux questions s’annulant l’une l’autre dans une contagion d’ignorance.