MESSE DU DIMANCHE
Extrait 2
Parfois quelqu’un tombait évanoui alors
l’on ouvrait un carreau pour que l’air du dehors
vienne un peu oxygéner l’atmosphère épaisse
pendant que lentement pieuse la grand-messe
avançait, avançait jusqu’à la communion
où l’on se bousculait mais pas en rangs d’oignons :
c’est par de longs détroits qu’il nous fallait atteindre
le banc pour recevoir l’hostië sacro-sainte.
Enfin l’on arrivait à L’Ite missa est,
le prêtre bénissait la foule, alors c’était
une autre cohue pour sortir de la chapelle
où le peuple en coulant de partout s’interpelle :
on s’arrête, on se parle et ça n’en finit pas
de fort s’entrechoquer et de marquer le pas,
et pourtant l’on eût dit que toute cette foule
jouissait d’avoir été prise par la houle
formidable qui a rompu pour ce dimanche
le cours inexorable de son existence.
la ‘matière’ n’est pas le tout d’un cours…
la ‘matière’ n’est pas le tout d’un cours, il y a aussi la ‘manière’, certes, j’ai eu des moments où dans mon discours quelque chose devait mettre en alerte, c’était imprévu et cela sortait parce que cela n’était pas prévu et donc entrait pour cette raison très en avant dans un cœur non prévenu, l’adolescent se souviendra longtemps d’une trace qui est entré en lui et qui a fait fleurir un important écho qu’il écoute encore aujourd’hui, peut-être ainsi lui était-il arrivé de recevoir Dieu sait quelle chose qui depuis lors est restée ainsi rivée dans son âme où elle s’est enclose.
AU PRINTEMPS
Extrait 3
Au printemps il est temps de faire des allées
et venues pour quêter de nouvelles giclées,
sortir sur le pavé des rues mal éclairées,
retrouver dans des bars nocturnes de quoi boire
et imbiber encor notre improbable histoire
d’envols, de parousies dans des ciels pleins de gloire.
MESSE DU DIMANCHE
Extrait 1
Ce pain n’a aucun goût, on dirait de l’ouate,
ce café est mauvais, mais qu’est-ce qui se passe ?
pourquoi donc ce matin tout me paraît infect ?
serait-ce pour n’avoir pas été à la messe ?
C’est vrai que jadis tous les matins de dimanche,
on allait à la messe même si la blanche
neige glacée couvrait le gravier de la route,
et on allait à pied à cause qu’alors toute
la gent humaine était dépourvue de voiture,
l’on marchait résolument sur la terre dure
et l’on était à jeun, c’était obligatoire
si l’on voulait recevoir l’hostie du ciboire.
Ça papotait beaucoup, l’on se disait bonjour
avant d’entrer dans la chapelle des maristes
où l’on s’entassait aux effluves méfitiques du peuple
qui puait de toutes ses vêtures.
Et pendant qu’on chantait le Kyrie eleyson
on voyait arriver encor quelques personnes
qui s’étaient attardées et dérangeaient beaucoup
le père Billmeyer harnaché jusqu’au cou.
Quant au père Flamengh, un gros Luxembourgeois,
assis à l’harmonium il agitait ses doigts,
il pédalait et suait pour produire l’air
et que le grégorien remplisse l’univers.
…
LE SOURIRE
Extrait 1
« Vous ne souriez jamais ? « me dit-il
et il leva vers moi son regard souriant alors
j’ai tout de même esquissé un sourire et il
a semblé content devant mon effort alors
après lui avoir pesé sa portion de viande
et fait payer le client qui l’a demandée
(c’est-à-dire moi-même) alors cette demande
commence à descendre dans ma tête bornée,
alors je commence à réaliser combien
mon être malgré tout existe dans le monde
et bien que j’aie l’impression de n’être plus rien,
j’existe malgré tout dans le regard du monde,
et qu’il me veut du bien, à moi pauvre échoué
au fond de cette fosse abjecte, malgré tout
le monde ne veut pas tout à fait me flouer
et que je sois enseveli au fond du trou,
on voudrait même que je quitte cet air morne
sans cesse qui empreint les traits de mon visage
tant qu’on va jusqu’à me demander sans vergogne
s’il m’arrive parfois de sourire au passage,
au passage de quoi ? je voudrais le savoir !
et vous Monsieur qui me demandez de le faire
en tripotant la viande là sur ce comptoir
pourquoi vouloir que je me retrousse la lèvre ?
…
Avec douze écrivains de l'Anthologie
Avec Anne le Pape (violon) & Johanne Mathaly (violoncelle)
Avec Anna Ayanoglou, Jean d'Amérique, Camille Bloomfield & Maïss Alrim Karfou, Cyril Dion, Pierre Guénard, Lisette Lombé, Antoine Mouton, Arthur Navellou, Suzanne Rault-Balet, Jacques Rebotier, Stéphanie Vovor, Laurence Vielle.
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2023 proposent 111 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. La plus jeune a 20 ans à peine, le plus âgé était centenaire. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique corrosive des frontières. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie de notre époque. Avec notamment des textes de Dominique Ané, Olivier Barbarant, Rim Battal, Tahar Ben Jelloun, Zéno Bianu, William Cliff, Cécile Coulon, Charlélie Couture, Jean D'amérique, Michel Deguy, Pauline Delabroy-Allard, Guy Goffette, Michelle Grangaud, Simon Johannin, Charles Juliet, Abdellatif Laâbi, Hervé le Tellier, Jean Portante, Jacques Roubaud, Eugène Savitzkaya, Laura Vazquez, Jean-Pierre Verheggen, Antoine Wauters…
Mesure du temps
La fenêtre qui donne sur les quais
n'arrête pas le cours de l'eau
pas plus que la lumière n'arrête
la main qui ferme les rideaux
Tout juste si parfois du mur
un peu de plâtre se détache
un pétale touche le guéridon
Il arrive aussi qu'un homme
laisse tomber son corps
sans réveiller personne
Guy Goffette – Ces mots traversent les frontières, 111 poètes d'aujourd'hui
Lumière par Iris Feix, son par Lenny Szpira
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