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EAN : 9782369140252
435 pages
Libretto (12/09/2013)
4.18/5   115 notes
Résumé :
En hiver 1997, un tigre de Sibérie chasse et dévore les habitants d’un petit village isolé dans les forêts de l’Extrême-Orient russe.
Iouri Trouch et ses hommes de « l’inspection Tigre » sont appelés pour enquêter sur les attaques du félin, et pour décider de son sort. Il ne s’agit pas d’un animal ordinaire : tous les tigres sont doués de mémoire, ce qui les rend extrêmement dangereux, mais celui-ci semble engagé dans un véritable processus de vengeance. John... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (28) Voir plus Ajouter une critique
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En 1997, à l'extrême bout de la Russie, un peu au nord de Vladivostok, un tigre de Sibérie se transforme en mangeur d'hommes, faisant preuve d'une véritable vindicte contre les habitants de la région. Une équipe russe, aguerrie aux dures conditions de la taïga et spécialisée dans la protection de cette espèce animale en voie de disparition, se lance sur les traces du fauve, avec l'autorisation exceptionnelle de l'abattre. Mais pourquoi cette bête s'est-elle soudain démarquée du comportement habituel de ses congénères, qui, à quelques accidents près, ont toujours vécu à bonne distance des hommes ?


Cette histoire vraie est d'abord le récit haletant d'une traque dangereuse et éprouvante, qui fait prendre toute la mesure de l'impressionnante puissance de ces fauves respectés, voire vénérés, depuis des millénaires par les populations autochtones. Elle est aussi l'occasion d'une fascinante découverte de la taïga et de ce territoire de l'Extrême-Orient russe, où les habitants vivent dans les rudes conditions d'un monde de neige et de glace, aggravées par l'isolement et la misère que la chute du communisme a porté au paroxysme avec la fin des industries locales. Réduits au plus complet dénuement, les hommes tentent tant bien que mal d'y survivre en usant de tous les expédients possibles : braconnage, exploitation illégale de la forêt, autant de trafics encouragés par la proximité de la Chine, notamment convaincue des vertus aphrodisiaques des produits dérivés du tigre…


Récit d'aventure donc, mais surtout enquête admirablement documentée et souvent étonnante sur un territoire singulier et sa dévastation accélérée depuis l'ère post-soviétique, ce livre montre, sans jugement ni parti pris, l'inéluctable évolution qui a peu à peu transformé un mode de vie ancestral où chacun trouvait sa place, en une confrontation pour la survie, où l'homme et les espèces sauvages parviennent de plus en plus mal à partager les mêmes espaces.


Lors de l'écriture de cet ouvrage en 2010, on estimait à 500 le nombre d'individus sauvages de la sous-espèce des tigres de Sibérie, aussi appelés les tigres de l'Amour. Cette même année, une dizaine de pays se réunissaient lors d'un sommet en Russie et s'engageaient à doubler la population de ces fauves d'ici 2022. En 2015, on en a recensé 562 en Russie seulement, ce qui tendrait à faire penser que les mesures conservatoires nouvellement prises ont commencé à porter quelques fruits. L'avenir de ces animaux reste néanmoins bien incertain. Pour reprendre la conclusion de John Vaillant : « Comme le résume cette formule de John Goodrich, coordinateur de longue date du projet du Tigre de Sibérie : « Pour que les tigres existent, il faut que nous le voulions. » Aujourd'hui, plus que jamais. »

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Non, ce livre n'est pas un livre d'aventures comme pourrait le faire croire la 4e de couverture. John Vaillant relate dans un récit surprenant, très bien documenté et ponctué de témoignages, l'histoire vraie de Iouri Trouch, membre de l'Inspection Tigre.

Nous sommes dans les années 1990, près du Bassin de l'Amour-Oussiri, dans le Primorié, une région de l'Extrême-Orient Russe, donnant sur la mer du Japon et jouxtant la frontière chinoise. Bien que les températures peuvent avoisiner les -40°, cette région se particularise par sa forêt d'une richesse en faune et flore, incomparable.

Le Tigre de Sibérie, ou Tigre de l'Amour est une des neuf sous-espèces de ce magnifique mammifère, chaque sous-espèce portant le nom lié à l'endroit où il vit (tigre de Chine, tigre d'Indochine, tigre du Bengale,...). de 100.000 tigres recensés en 1900, n'en subsiste aujourd'hui qu'un peu plus de 3.000 dans toute l'Asie, l'Inde et la Russie. Trois sous-espèces sont éteintes.

L'auteur nous explique les causes de leur disparition pour la région du Primorié, où se situe son récit. D'abord chassé pour sa viande et sa fourrure par les autochtones, l'ouverture des frontières Russie-Chine, après la pérestroïka, a engrangé une activité très lucrative : la chasse au tigre. Pour les trophées personnels, pour sa peau vendue en Occident, pour ses os, moustaches et pénis très prisés en Chine, pour leur médecine traditionnelle ou leur besoin de virilité.
Les forêts constituants leur habitat se sont réduites comme peau de chagrin, en même temps que le gibier, leur première source de nourriture. Sur un siècle, 93% de leur territoire fut anéanti par la main de l'homme.

Mais revenons à Iouri Trouch. Il est membre de l'Inspection Tigre, un organisme alors inédit en Russie, fondé vers 1992 grâce à des apports financiers et à la pression d'organisations internationales de conservation de la nature. Trouch et son équipe furent appelés à Sobolonié, petit village isolé au milieu de la taïga, pour constater la mort de Markov, tué et mangé par un tigre.
Un tigre mangeur d'hommes ? Pour les habitants, des nanaïs et des Oudégués, l'homme et le tigre ont toujours cohabité et se partage le territoire de la taïga. Leurs croyances élèvent d'ailleurs le tigre au rang d'un dieu qu'il faut vénérer et respecter. Personne donc ne comprend la raison pour laquelle un tigre a mangé l'un d'eux. Trouch interrogera chaque habitant, tentera de comprendre et d'analyser le comportement de ce tigre en particulier et ses intentions futures. Il se trouvera face à un vrai dilemme jusqu'à la confrontation finale.

L'auteur remonte très loin pour analyser l'évolution du tigre, son comportement, ses techniques de chasse, intimement liée à l'histoire de l'homme.

Suite à quelques recherches sur le net, j'ajouterai qu'en 2010, correspondant à une année du tigre en Chine, Poutine a organisé un sommet international unique en son genre : réunir 13 pays pour parler d'un seul animal : le tigre. Cinq ans plus tard, de 350, le nombre de tigres de Sibérie vivant à l'état sauvage est passé à 560.

Le Tigre est un récit mêlant à la fois le documentaire animalier, l'histoire, la géologie, l'étude des civilisations, leurs traditions et croyances, et un soupçon de suspens.
Et cerise sur le gâteau : Libretto a pensé à une magnifique couverture avec embossage et vernis sélectif donnant la forme d'une tête de tigre.
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En démarrant cette lecture on croit aborder une sorte de polar du grand nord, dans le style du dernier lapon » d'Olivier Truc.
Pas du tout !
L'histoire racontée aurait pu tenir en quelques pages. Elle n'est que prétexte à parler du tigre de Sibérie, de ses habitudes, de son environnement, de ses relations avec les hommes et de sa situation.
C'est en réalité un plaidoyer pour la sauvegarde de cette espèce.
Ce livre ressemble plus à un traité sur la nature, le tigre, l'éthologie qu'à un roman. C'est à la fois un documentaire très étayé sur un pays, la faune et un rappel de certains principes de sociologie, voire de politique économique. Pour cela l'auteur dont le métier de journaliste ressort dans son travail s'appuie sur de nombreux témoignages glanés sur place ou dans des archives, mais aussi sur l'ensemble des connaissances scientifiques pour étayer son propos.
C'est aussi l'occasion de faire le point sur la situation de la Russie sous le communisme, en particulier des effets de la période Stalinienne mais également de l'après perestroïka et de ses effets pervers au niveau économique sur certaines régions rurales.

La dernière partie du livre raconte enfin la traque du tigre mangeur d'homme de façon réaliste et très vivante.

Mais quelle somme de connaissance l'auteur nous propose-t'il auparavant !
Ce bouquin peut rebuter ceux qui chercheraient un polar, mais il est passionnant et l'on dévore les 400 pages avec avidité.
Superbe découverte.
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Malgré un patronyme français, John Vaillant est un américain authentique, originaire de l'état du Massachusets et ayant passé pas mal d'années dans la région de Vancouver, sur la côte pacifique du Canada. En photo-portrait, son image abonde en ce sens – ne ressemble-t-il pas un peu à Richard Gere, ou à Robert Redford en 1975, à l'époque de sa plus grande gloire ? C'est en tout cas mon avis. Il est grand, plutôt viril et séduisant, blond, les yeux d'une couleur difficilement identifiable, un peu plissés et inquiets comme ceux d'un homme qui passe l'essentiel de son temps à scruter d'épaisses ténèbres où, ces derniers temps, les lucioles se sont faites rares et discrètes.

Sous le regard de la presse française, cette belle gueule de héros un peu formaté pourrait bien lui valoir quelque hostilité de principe, mais John Vaillant vaut infiniment mieux que tout cela. Ici comme ailleurs, nous en semblons désormais convaincus et la preuve en est que la France vient de lui offrir, il y quelques jours à peine (le 18 mai 2012) , le prestigieux prix Nicolas Bouvier, traditionnellement attribué lors du Festival « Etonnants voyageurs » à Saint-Malo. C'est amplement mérité. Son livre « le Tigre : une histoire de survie dans la taïga » est un texte-choc.

John Vaillant est une sorte de guetteur de tempête qui officie sur l'ère Pacifique Nord. L'un de ses précédents ouvrages, « the golden spruce » (l'épicéa doré), qui a reçu en Amérique plusieurs récompenses littéraires, contait déjà une histoire plutôt complexe. Pour faire simple, Vaillant évoquait alors le choc entre deux visions du monde et de la nature, celle des amérindiens, en l'occurrence le peuple Haïda, originaire des côtes de la Colombie Britannique, et celle des américains, libéraux et consuméristes qui exploitent sans vergogne les richesses naturelles du même secteur. L'épicéa doré, un arbre biologiquement unique en son genre, avait eu le bonheur de voir le jour sur l'une des îles de la Reine Charlotte (Haida Gwai), au nord de Vancouver. le peuple Haïda le vénérait, au titre d'arbre sacré, sous le nom de Kiidk'Yaas. Seulement voilà, les compagnies forestières d'exploitation du bois sont aussi présentes sur ces zones, ce qui crée de fortes tensions entre les différentes communautés d'intérêt.

Le héros, tout à fait réel, du livre, est Grant Hadwin. Un homme dont il est difficile de comprendre les motivations profondes. Un jour, le 20 janvier 1997, il se rend avec difficulté auprès de l'arbre sacré et l'endommage si cruellement avec sa tronçonneuse que l'épicéa doré et sacré finira par s'abattre quelques jours plus tard. Pourquoi s'est-il donné autant de mal pour accomplir un tel geste sacrilège ? Hadwin a voulu dénoncer les pratiques des industriels du bois ? Ou exprimer une rage sourde contre l'ordre établi ? Mais on a juste dit que, après avoir lui-même été bûcheron pendant quelques temps, Hadwin s'était mis à souffrir de « troubles mentaux ». Ainsi donc, afin de ne plus s'éreinter à trouver une explication logique à tout cela, son acte serait à placer dans la rubrique « acte irresponsable ». C'est possible.


A la suite de quoi, sous le coup de plusieurs mandats fédéraux et sommé de comparaître devant un tribunal de justice, Hadwin s'éloignera des côtes en Kayak et ne réapparaîtra plus jamais. On retrouvera son bateau en juin 1997 sur une île isolée, mais on ne sait toujours pas ce qu'il est advenu de son occupant.

On voit que John Vaillant n'a pas peur de s'approcher d'une certaine ténèbre. Avec « le Tigre », il récidive et tourne sa focale à 180 degrés : direction la Sibérie. Enfin, la Sibérie en soi ne veut rien dire, c'est un vocable trop général pour un vaste ensemble de territoires en réalité très différents les uns des autres. John Vaillant pose ses valises dans la région de Vladivostok (Lumière de l'Est en russe), dans le secteur de la chaîne côtière du Sihoté Aline. Vaillant reste donc fidèle à la zone pacifique nord, mais l'observe cette fois-ci « par l'autre côté ». Cette région du fleuve Amour, des rivière Oussouri et Bikine est un des endroits les plus singuliers du monde. Vaillant nous en avertit et nous en explique les raisons. Un ensemble de paramètres climatiques, apparemment opposés entre eux, font régner sur les lieux un régime de douches écossaises, du chaud et du froid, du torride et du glacial. C'est une région de grand écart, une exception, un paradoxe biologique, au point que Vaillant se sent obligé de créer la formule, fort bien trouvée, de « Jungle boréale ». On trouve dans le Sihoté Alin une flore et une faune incroyablement diversifiées, et parmi cette dernière on trouve le Tigre de l'amour (panthera tigris altaica), espèce qui se trouve à cet endroit à l'extrême nord de son aire de répartition.

Tout à l'heure lorsque j'ai parlé de la rivière Oussouri, certains se sont gratté le nez. Enfin, vous y êtes. Il y a tout juste un siècle, vers 1907 et plus tard, un géographe-explorateur russe, Vladimir Arseniev, entreprenait de topographier la région des chaînes côtières. Pour ce faire, il se fera aider plusieurs saisons par un guide indigène d'origine Gold-Nanaï : Dersou Ouzala. Cette épopée, il la relatera dans un livre en 1923, et plus près de nous, en 1975, le réalisateur japonais de renom Akira Kurosawa en adaptera le récit pour le cinéma dans son film « Dersou Ouzala ». Si vous appréciez les récits de voyages nordiques, il est peu probable que ces deux oeuvres vous soient restées inconnues. Pour ceux qui ont aimé livre et film, l'oeuvre de Vaillant vient fournir un contre-point...vertigineux.

De quoi s'agit-il ? Qu'ont en commun Lev Khomenko, Vladimir Markov et quelques autres inconnus ? Et bien ces hommes, tous coureurs de bois expérimentés, ont été attaqués, puis tués lors d'une brève rencontre avec un tigre mangeur d'homme. du début à la fin du livre, Vaillant nous en contera l'histoire cruelle. Mais l'américain prendra soin de ne rien omettre. Il n'y a dans ce livre aucun désir de simplification, aucun référence au bien ou au mal, ce qui dans un livre américain est déjà un exploit. En extrême-Orient russe, tout est complexe, la nature elle-même, l'enchaînement des faits historiques qui ont construit la région, le mélange des populations qui y survivent ainsi que les événements politiques qui, depuis trente ans, ont détruit le fragile équilibre économique de la région.

Alors Vaillant se met en route et dès les premières lignes rentre dans le vif du sujet : un homme a été dévoré par un tigre au beau milieu de la taïga de la région de la rivière Bikine. Il s'agit de Vladimir Markov, un coureur de bois russe (un taïjonik ) dont la vie résume à elle seule toutes les singularités et toutes les errances de l'extrême-Orient russe. Pour mener l'enquête, un spécialiste, responsable locale d'une « section tigre », organisme fédéral en charge de la gestion des populations sauvages du grand félidé, qui porte le nom de Yuri Trouch. Lui aussi est un héros tout à fait central dans ce récit, de la première à la dernière page. Yuri est un homme hors du commun, une force de la nature, un athlète, un taïjonik expérimenté, et un enquêteur tenace. Et lui aussi porte en lui tous les stigmates des différents régimes russes auquel il a survécu.
Caricature ? Non. Vous connaissez Dersou Ouzala et Vladimir Arseniev, mais vous ignorez sans doute que ce dernier, ainsi que sa famille, décéderont lors des grandes purges staliniennes des années trente. Vaillant s'en explique. D'autres livres vous le confirmeront : en Russie, et ceci depuis les Tsars, le système s'est presque toujours comporté de façon stupide, injuste et cruel envers ceux qui avaient oeuvré sincèrement à sa gloire. C'est une dramatique et pathétique constante.

Alors, pendant que Yuri Trouch patauge dans la neige, essaie péniblement de faire coïncider entre eux tous les morceaux, tant ceux des cadavres épars qu'il découvre ici ou là, que ceux des périples sinueux accomplis par les victimes, tout cela dans un climat d'hostilité générale des populations, Vaillant se charge en permanence de trouver un nouvel angle pour envisager la scène. Tout y passe : biologie, zoologie, botanique, climat et météorologie, histoire politique, comportement animal, ou Perestroïka. Ce n'est jamais ennuyeux ni trop didactique. Avec un bon point d'ailleurs concernant l'évocation des travaux scientifiques qui se sont interrogés sur le rôle des super-prédateurs dans l'organisation des premières populations humaines. Les résultats en sont extrêmement convaincants. Et John Vaillant le devine, en Sibérie orientale, l'homme et le tigre se font face tout en haut de la pyramide des super-prédateurs. L'un est l'autre sont infiniment liés, infiniment plus que l'homme moderne pourrait encore l'entrevoir. Cette interdépendance hommes-bêtes-milieux est fort bien décrite par Vaillant, et elle ouvre (à moins qu'elle ne les referme à jamais) des portes mystérieuses entre psyché humaine ou animale, ainsi qu'elle relie l'ensemble du vivant à un vaste déploiement de forces cosmiques encore plus insaisissables.

« Ici, tout a tellement souffert » semble suggérer John Vaillant. En tant qu'américain, il est bien placé pour saisir les aspects les plus dramatiques de la « conquête de l'Est » par les russe. C'est un véritable et sanglant far-west. Mais alors que les choses se calmaient un peu en Amérique, les crises politiques majeures se succédaient en Russie, la Révolution Russe, Staline, les goulags et les purges, la seconde guerre mondiale, les affrontements sino-russes de l'île Damanski, et après une courte embellie dans les années soixante et soixante-dix, le grand basculement de l'ère Poutine. Chaque fois, finalement, ce n'est pas de chance. Aussi Vaillant se garde-t-il bien de juger quiconque. Tous les hommes dont il parle sont des survivants, des super-prédateurs pour certains d'entre eux, qui ont été, plus ou moins, capables d'encaisser les crises successives. John Vaillant, on le sent, les admire, sans chercher à enjoliver leur vie et leur parcours. Ils ont avancé comme ils pouvaient, le plus souvent à grand coups de pieds dans le cul.

En fin de compte, mais nous le savions déjà, qu'il soit russe, chinois, américain ou européen, l'homme moderne ne mérite pas le monde qui l'entoure. Il s'y conduit en autocrate, en petit dictateur sans scrupule. La mondialisation n'a rien arrangé bien entendu, et en extrême-Orient russe, ce serait même un fléau encore plus démoniaque qu'ailleurs. Exploitant sans état d'âme la pauvreté ambiante, la recherche de profits rapides tournent la tête des hommes les plus avisés. Markov était un type bien, un taïjonik prudent et loyal envers la nature . Presque tout le monde l'aimait ou le respectait. Mais le braconnage du tigre lui a sans doute paru, l'espace d'un instant, une solution aux terribles problèmes de survie qui accablaient sa famille. A-t-il été tenté ? A-t-il tiré ? On comprend que oui, hélas, Markov, comme on dit « en avait croqué ». La peau du tigre, sa viande, ses entrailles même, tout cela rapportera des milliers de dollars à ceux qui parviendront à faire passer le « paquet » vers la Chine. En Russie comme en Chine, la corruption est une chose parfaitement banale et quotidienne.

Alors, au péril bien réel de sa vie, Yuri Trouch mènera son enquête jusqu'au bout mais sans sérénité, et sans aucune reconnaissance, à part celle des étrangers comme John Vaillant et quelques autres.

Quant au tigre de l'Amour, la question de sa survie est désormais bel et bien posée, et ceci à très court terme. Quelques pistes existent, selon Vaillant, pour envisager l'avenir avec espoir – pas tant que ça finalement. Quand l'espace et les ressources viennent à manquer (à cause de l'exploitation sans limite de la taïga) et quand la classe dominante est à même de se permettre tous les actes déviants (chasse à outrance), les super-prédateurs se regardent dans les yeux et un combat féroce peut alors exploser à tout instant. Or ,dans ce dernier combat, le tigre, aussi performant soit-il, aussi doué de pouvoir surnaturels soit-il, comme semble le suggérer Vaillant, le tigre, finalement, n'a pas l'avantage. Dans le meilleur des cas, et nous en doutons tous désormais, « cela pourrait donc aller très mal avant d'aller mieux ».

Un livre remarquable.

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Dans ce bouquin passionnant et foisonnant, John Vaillant nous relate l'histoire vraie d'un tigre qui en 1997 dévora quelques habitants d'un village isolé de la Sibérie Orientale, et qui sera ensuite pourchassé par une escouade appelée l'Inspection Tigre, chargée de la protection de ce fauve dans ces régions reculées mais qui dans ce cas, a obtenu un «permis de tuer». Pourquoi, comment ce tigre en est-il venu à cette folie meurtrière extrêmement rare dans cette partie du monde ?
Pour nous l'expliquer, ce bouquin va bien au-delà de cette histoire ! L'auteur nous décrit cette région fascinante, le Primorié, extrémité est de la Sibérie qui s'avance vers le sud dans la Chine et jouxte le Pacifique, qu'habite (habitait?) une des faunes les plus variées de la planète, et nous raconte son histoire, le sort de ses habitants depuis l'effondrement du régime soviétique, abandonnés à eux-mêmes dans la taïga; vous apprendrez quantité de faits sur l'évolution des relations entre les humains et les (autres) prédateurs depuis la nuit des temps, et également évidemment sur le tigre, le plus grand des fauves, formidable et redoutable, intelligent et rancunier, dont la cohabitation est de plus en plus difficile avec l'humain. Coup de coeur !
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critiques presse (1)
Telerama
27 juin 2012
De son enquête au long cours, l'auteur tire un récit magnétique aux confins de l'animalité.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (62) Voir plus Ajouter une citation
Ce qui différencie l’extinction de certaines espèces à la fin du Pléistocène de celles observées aujourd’hui est leur caractère délibéré car, même si elles se produisent passivement, elles restent le résultat d’actes volontaires. Autrement dit, nous devrions tirer les leçons du passé. Ce n’est pas une opinion ni un jugement moral, mais un constat. Pourtant, à l’image du tigre qui n’a pas encore assez évolué pour comprendre que tout contact avec les humains modernes et les biens qu’ils possèdent lui est généralement fatal, nous n’avons pas encore compris que nous ne pouvons plus nous comporter comme des groupes de nomades se contentant de se transporter dans une autre vallée – ou dans un autre champ pétrolier ou un autre filon – quand les ressources s’épuisent.
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Une histoire nanaï recueillie vers 1915 commence ainsi : "Il était une fois, avant que les Russes ne brûlent la forêt..." À cet égard, comme à beaucoup d'autres, l'expansion des Russes vers l'est offre de nombreuses similitudes avec celle des Américains vers l'ouest. Ici comme là-bas, la frontière fut d'abord un monde de négociants en fourrures, de chercheurs d'or et d'explorateurs ouvrant la voie par terre et par mer. Ils furent bientôt suivis par les colons, les soldats, les industries d'exploitation des ressources naturelles, la marine et pour finir le chemin de fer. Toutefois, la Russie est presque deux fois plus grande que les États-Unis, si bien que même si les Russes avaient plus d'un siècle d'avance, leur progression fut ralentie par un ensemble de facteurs économiques et politiques, ainsi que par des difficultés tout simplement liées à l'immensité géographique. Pourtant, dès 1850, il était clair que rien ne serait jamais plus comme avant des deux côtés du Pacifique Nord.
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Un croissant de lune dessine une faucille dans les arbres. Sous la lueur blafarde, la neige se couvre d'ombres et la forêt s'emplit de ténèbres. Un homme marche seul en se frayant un chemin à tâtons. Il n'a pour toute compagnie qu'un chien courant devant lui, dans son impatience de rentrer enfin à la maison. Tout autour d'eux, les troncs noirs des chênes, des sapins et des peupliers se dressent au-dessus d'un épais tapis de brousailles et de rompis, et leurs frondaisons tissent une canopée à claire-voie. Les frêles bouleaux, plus blancs que la neige, semblent rayonner dans la nuit, mais leur lumière est aussi avare et froide que la fourrure des bêtes en hiver. Tout n'est que silence dans ce monde endormi sous la glace. Il fait si froid que les crachats gèlent avant de toucher le sol. Si froid qu'un arbre, aussi cassant qu'un brin de paille, peut subitement exploser sous la poussée d'une montée de sève. L'homme et son chien laissent dans leur sillage une traînée de chaleur et la buée de leur souffle flotte tel un nuage blanc au-dessus de leurs traces. Leur odeur ne se diffuse pas, par cette nuit sans vent, mais le bruit de leurs pas se transporte si loin qu'à chacune de leurs enjambées, c'est comme s'ils s'annonçaient au monde nocturne... Alors dans la nuit noire retentit un grondement qui semble venir de partout à la fois.
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Tous les hommes de Jorkine connaissaient cette femelle. Comme le font tous les tigres, elle parcourait son territoire en décrivant des cercles concentriques et repassait dans le coin toutes les semaines ou tous les quinze jours. Une aubaine pour un braconnier. Le risque d'être découvert était infime et pour sortir la carcasse de la forêt il suffisait de la dissimuler dans un chargement de bois. Pourtant, les hommes lui avaient laissé la vie sauve, moins par respect de la loi que par respect pour elle. Comme beaucoup de gens dans la vallée de la Bikine, ils se disaient que s'ils la laissaient tranquille, elle ne les toucherait pas. Entre les hommes et les tigres de la Panchelaza les relations étaient tellement tranquilles que l'idée qu'une personne puisse être attaquée et qui plus est dévorée par l'un de ces fauves était aussi improbable que de recevoir une météorite sur la tête. Ils étaient ce que sont pour nous les voitures : tout le monde sait qu'elles sont dangereuses et qu'elles peuvent tuer, et pourtant la plupart des gens ont appris à composer avec elles.
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En cas d'attaque, le premier impact ne vient pas du tigre lui-même, mais de son rauquement. En plus d'être aussi puissant que le bruit d'un réacteur, ce son a la capacité terrifiante de se disperser dans l'espace et de sembler venir de partout à la fois. C'est une expérience sidérante. Celui qui la vit a l'impression que son esprit se dissocie de son corps et que l'appareil neurologique censé l'aider dans un moment pareil est totalement paralysé. Les scientifiques et les chasseurs qui connaissent bien ces animaux, quand ils parlent de ce rugissement, décrivent moins un bruit qu'une sensation qui envahit tout le corps. Des biologistes parmi les plus dignes de foi jurent avoir senti le sol trembler sous leurs pieds. Un chasseur russe, pris par surprise, se souvient d'avoir pensé qu'une retenue d'eau venait de se rompre quelque part. Bref, au plan acoustique le feulement du tigre produit le même effet qu'une catastrophe naturelle. Il fait ressurgir en l'homme la crainte de Dieu.
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Vidéo de John Vaillant
John Vaillant - Les enfants du jaguar .A l'occasion du Festival Etonnants Voyageurs 2016, rencontre avec John Vaillant autour de son ouvrage "Les enfants du jaguar" aux éditions Buchet-Chastel. Retrouvez le livre : http://www.mollat.com/livres/vaillant-john-les-enfants-jaguar-9782283028926.html Notes de Musique : As Colorful As Ever by Broke For Free. Free Music Archive. Visitez le site : http://www.mollat.com/ Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Dailymotion : http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/1 Vimeo : https://vimeo.com/mollat Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Tumblr : http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Blogs : http://blogs.mollat.com/
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