Raj , vieil homme de soixante-dix ans habitant sur l'île Maurice, suite à un rêve qui le tourmente, se souvient...
Un épisode de sa vie, qu'il tenait le plus possible enfoui, rejaillit et il décide d'aller se recueillir sur la tombe de David, un jeune garçon mort à dix ans.
Ainsi débute cette confession émouvante, qui m'a serré le coeur tout au long de ma lecture, la nostalgie de cette évocation lancinante du passé transparaissant à chaque page. Raj vivait pauvrement dans la région Nord du pays, à Matou, un village. Mais un cyclone emporte la vie de ses deux frères, ses parents et lui fuient et s'installent à Beau-Bassin, où le père violent trouve une place de gardien à la prison. Derrière le grillage, Raj observe un enfant de son âge, David. Ils deviennent amis. Une amitie pure, entière, spontanée. Ils décident de fuguer ensemble. Et ce sera le drame....
Raj comprendra plus tard pourquoi un juif d'Europe de l'Est s'est retrouvé interné avec sa famille sur l'île Maurice, un épisode méconnu de la seconde guerre mondiale. La honte de n'avoir rien compris à l'époque, la culpabilité, le remords, sont au coeur du souvenir. L'écriture sobre et intense de l'auteur s'accorde à la pudeur et la sensibilité du personnage de Raj.
" Nous étions deux enfants du malheur accolés l'un à l'autre par miracle". Deux destins qui se sont croisés de manière improbable mais définitive.
Un livre fort et poignant, mon préféré de l'auteure jusqu'à présent. A lire!
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Ce livre se base sur un fait historique : celui de l'internement des juifs refoulés de Palestine par les Anglais en 1940 et déportés vers d'autres colonies britanniques, Trinité et Tobago ainsi qu'à l'île Maurice. Ils furent « parqué » là (y-a-t-il d'autres mots ?) dans l'enceinte de l'ancienne prison de Beau-Bassin. Ils y resteront 5 ans.
Ce témoignage est celui d'un adulte du pays qui fut un enfant à l'époque des faits. Pour lui ce fut la fin de l'insouciance, de l'enfance et la découverte d'un « autre monde ». L'homme âgé qu'est devenu Raj se souvient de cette époque avec le recul de l'adulte : Un peu trop pour moi, ce qui a neutralisé l'effet « vérité » et endigué le côté vivant, naturel et spontané de l'histoire. Il n'a pas suscité en moi l'émotion qu'il aurait dû… J'étais spectatrice mais pas partie prenante. Ça m'a manqué.
le petit Raj ne connait d'horizon que le bidonville et la fraternité entre ses habitants. La violence des colères de son père aussi, due à l'alcool absorbé pour anesthésier la misère, la souffrance. La consolation des pauvres… Puis brusquement, lui le plus chétif, sera le seul survivant de ses deux autres frères qui périssent au cours d'une tempête. La question lancinante que ce posera Raj est « pourquoi lui » ? La famille va alors quitter le bidonville pour une maison en forêt du côté de Beau-Bassin. Son père décroche un emploi de maton à la prison où sont enfermés des Méchants Pas Beaux…
Ces gens nourrissent l'imaginaire du gamin qui va finir par transgresser l'interdit et s'approcher de la prison. Il y découvre la « différence » mais la condition et la nature de ces prisonniers échappent à sa compréhension d'enfant. Ils ne peuvent qu'être « coupables » puisqu'ils sont enfermés.
Mais Raj n'aura d'yeux que pour David (qui incarnera l'âme de cette prison), un enfant d'à peu près son âge avec lequel il entamera une épopée pour fuir le camp. Raj veut « protéger » cet enfant sans même savoir de quoi il est coupable. Il ressent simplement l'urgence de la fuite. Hélas, Raj qui souhaitait revenir au Bidonville pour s'y perdre et s'y cacher, ne fera que tourner en rond pour revenir au point de départ.
Le style de l'auteure est agréable, fluide et sans difficultés particulières. Mais je le répète, malgré tous les malheurs qui déferlent sur cette famille, malgré ceux infligés à tout un peuple ; cette histoire terrible et poignante, je l'ai juste ressenti comme un récit factuel - un peu flou par moment (parce que c'est un enfant) où s'égrènent toutes les calamités considérées après coup, des décennies plus tard avec beaucoup trop de distance, bien trop relativisées.
En fait, peut-être Raj essaie-t-il de dédramatiser, parce qu'il culpabilise. En rendant les choses moins graves il dilue la honte ? Cela ferait sens. Mais pardon, honte de quoi, au fait ?
Honte d'être mauricien ? Choisit-on où l'on nait ?
Honte d'avoir survécu à ses deux frères ? Que peut-on contre les forces de la nature ?
Honte des colères de son père ? de sa violence ? Est-on responsable de ses ascendants ?
Honte de ne pas avoir pu protéger sa mère de la violence familiale ? Ce n'était qu'un enfant…
Honte de découvrir que son père ne gardait que des victimes ? Comment pouvait-il savoir ?
Honte de comprendre qu'ils étaient soumis à l'autorité coloniale ? Cela ne peut être qu'à l'âge adulte
Honte de ne pas avoir pu protéger David ? Comment aurait-il pu le faire ?
Honte d'être un enfant?
Honte d'avoir attendu aussi longtemps à l'âge adulte pour affronter la réalité et ses propres démons?
Honte d'être un homme faible ? Un homme tout court ?
Du coup, ça n'est plus seulement une histoire, mais une vaste réflexion sur la vie ; cela prend une autre dimension. Pratiquement un ouvrage philosophique en somme. D'où la simplicité de la langue pour mieux y faire passer les idées…
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Je ne sais pas si je dois avoir honte de le dire mais c'es ainsi : je ne savais pas qu'il y avait une guerre mondiale qui durait depuis quatre ans, quand David m'a demandé, à l'hôpital, si j'étais juif, j'ai dit non parce que j'avais la vague impression que juif désignait une maladie puisque j'étais dans un hôpital, je n'avais jamais entendu parler de l'Allemagne, je ne savais pas grand-chose en réalité. J'avais trouvé David, un ami inespéré, un cadeau tombé du ciel et en ce début d'année 1945, c'est tout ce qui comptait pour moi.
De sa vie de reclus, de Juif déporté, d'orphelin, de prisonnier, d'enfant sans enfance, d'enfant qui connait trop bien et de trop près la mort, David avait, je crois, appris à ne plus être, à oublier qu'il avait un coeur qui pouvait faire autre chose que pleurer, des bras, des jambes pour courir et un visage si tendre qu'on ne pouvait faire autre chose que le chérir. Il avait oublié cela, oublié qu'il était fait de chair et de sang, oublié qu'il avait la possibilité de grandir et d'être un homme.
Je pensais qu'à mon grand âge je regarderais ma vie avec indulgence, car je sais que regretter ne sert à rien, qu'il faut beaucoup de chance pour accomplir ses rêves, que la meilleur façon de vivre est de faire du mieux qu'on peut à chaque instant, et qu'il y a tellement de choses qui se font sans nous quand bien même nous passons notre temps à courir comme des fous, à croire que nous pouvons y changer quoi que ce soit.
Je ne sais pas si je dois avoir honte de le dire mais c'es ainsi : je ne savais pas qu'il y avait une guerre mondiale qui durait depuis quatre ans, quand David m'a demandé, à l'hôpital, si j'étais juif, j'ai dit non parce que j'avais la vague impression que juif désignait une maladie puisque j'étais dans un hôpital, je n'avais jamais entendu parler de l'Allemagne, je ne savais pas grand-chose en réalité. J'avais trouvé David, un ami inespéré, un cadeau tombé du ciel et en ce début d'année 1945, c'est tout ce qui comptait pour moi. (P. 88)
Quand on vieillit, on prend de l’avance pour tout tellement on craint de ne pas y arriver et après, on s’ennuie à attendre les autres.
Nathacha Appanah était présente pour présenter son nouvel ouvrage : La mémoire délavée paru aux éditions Mercure de France. le roman s'ouvre par un magnifique vol d'étourneaux. Un vol au premier abord innocent mais dont le murmure dans une langue secrète fait écho à toutes les migrations et surtout à celle d'aïeux, partis d'un village d'Inde en 1872 pour rejoindre l'île Maurice. L'autrice traverse alors la mémoire de sa famille. le centre de l'ouvrage est marqué par un magnifique hommage à son grand-père qui travaillait dans un champ de cannes.