Mon premier rendez-vous avec
J. M. le Clezio fut une vraie déception (
Le procès-verbal). Mais je conservais l'intime conviction que j'apprécierai cet auteur. J'en ai eu l'éclatante confirmation avec «
Le chercheur d'or » et d'autres oeuvres.
Avec cette relative familiarité avec JMLC j'avais géolocalisé le centre de gravité de celui-ci quelque part entre l'Afrique et l'Amérique latine. J'errais. A ma plus grande surprise, j'ai mis la main sur ce livre «
Le flot de la poésie continuera de couler » lors d'un passage en médiathèque entre deux confinements. Je pensais que ce beau tableau de peinture chinoise de la couverture n'était là que pour mettre en appétit le lecteur, (stratégie efficace en ce qui me concerne) mais la lecture des premières pages et la consultation des suivantes ont « authentifié » le contenu, un livre de JMLC sur la poésie chinoise et de surcroît sur la période Tang !!
De plus, l'auteur ne s'est pas contenté de compiler, il a traduit avec l'assistance de
Dong Qiang les poésies sélectionnées. Et pour couronner l'ensemble, de magnifiques calligraphies de ce dernier, ainsi que des reproductions de peintures, illuminent, s'il en était besoin, les mots.
Second miracle, j'ai réussi à trouver dans la foulée, en occasion, ce livre, que je ne pouvais sérieusement savourer en profondeur dans le temps d'emprunt à la médiathèque.
La dynastie Tang (VII/Xéme siècle) est un moment de grâce absolu dans l'histoire de la Chine et sans doute de l'histoire universelle, mais trop méconnue notamment dans le monde occidental pour lequel les périodes antiques grecques et romaines bornent l'alpha et l'omega des fondations de la culture.
La découverte des univers de
Li Baï et de
Wang Wei furent en ce qui me concerne, en son temps un enchantement. Une grande partie de cet ouvrage est centré sur
Li Baï, aussi ce nouveau regard sur le grand poète est une bénédiction.
L'oeuvre et la vie de du Fu, autre rock star du panthéon poétique chinois, font également l'objet de larges développements.
JMLC met en évidence les caractéristiques qui rendent cette période poétique et tout particulièrement ces poètes si dignes d'attention.
De prime abord, naturellement, la virtuosité, la beauté du style de cette école transportent le lecteur, même avec la distance infinie entre les textes originaux et les traductions.
Il ne s'agit pas seulement de mots, d'exercices de style, aussi vibrants soient ils, mais d'un univers qui prend corps et esprit, de la nature, de la beauté, de ces paysages entre deux, de leur équilibre et leur harmonie dans le Tao.
« La poésie Tang recèle elle aussi une intrigue, mais ce n'est pas celle du sens. C'est la manière avec laquelle le poète, par les mots, par les sons, par les images, construit un mystère et nous invite à le résoudre » (p. 166)
La poésie Tang avait réussi à faire entrer l'homme dans la nature, non avec l'intention de l'asservir mais d'approcher ses mystères, pas la recherche d'une pierre philosophale mais de se laisser porter par le visible et l'invisible. Dit autrement, l'opposition entre la nature et la culture n'a pas cours légal dans la poésie Tang.
« Les montagnes, la nature tiennent une place majeure dans la création poétique au temps de la dynastie Tang (...) D'une façon générale, ce sont les éléments naturels qui les inspirent : les feuilles des arbres, les lignes de la forêt, les ruisseaux, les lacs, ou les rochers. Qu'y voyaient-ils, que nous avons désappris à voir ? » (p.08)
En définitive, avant ce livre «
Le flot de la poésie continuera de couler », dans l'esprit, JMLC flirtait déjà intimement avec la poésie Tang. Je pense tout particulièrement à son livre «
Gens des nuages » et sans doute d'autres, je n'ai pas malheureusement lu toutes les oeuvres de JMLC. le seul titre peut constituer une passerelle entre le regard et le vécu de l'auteur sur l'univers du
désert saharien et sur ces paysages oniriques de la Chine.
Li Baï fut une sorte de Cyrano, ivre de liberté, bretteur, poète. Il célèbre la nature, avec laquelle le voyageur solitaire communie, souffre. Il chante aussi le vin, l'ivresse.
Son ami
Du Fu fut à maints égards son opposé, compagnon de pérégrination dans la profondeur des paysages fauves et majestueux de la Chine mais dans une sensibilité et expression plus introverties.
Naturellement il ne faut pas idéaliser, si le rayonnement de la dynastie Tang est immense et peut légitimement s'enorgueillir d'un développement sans égal, au moins à son époque, il y eu aussi des guerres civiles, des soubresauts, des assauts de violence et de misère qui se sont traduits par des tueries à l'échelle de l'empire, c'est-à-dire par milliers voire davantage.
De même, si nos héros sont bien au firmament du panthéon et enracinés dans le terreau de la culture chinoise, l'effervescence de la société chinoise de ce XXIème siècle semble aux antipodes des vibrations de cette poésie Tang.
Cette lucidité ne peut que souligner par contraste la beauté de la vie et l'oeuvre de ces poètes. En conclusion, un livre vibrant à recommander sans hésiter notamment pour celles et ceux qui n'ont ni le temps ni le budget à investir dans la monumentale anthologie de
Rémi Mathieu.