Une paix m'envahit, je ne vis plus le grainetier et la bouche lentement s'estompa. Je me réveillai, reposé comme au sortir d'un bain, entrant dans cette journée comme dans une étable chaude. Après le bol de café, je m'assis devant mon poème et lui parlai :
"Tu es poème, quelque chose d'infatigable, de robuste, un appui toujours en sève, un arbre. Ce que je mets dans ta voix, je le porte dans ma chair. Je suis l'homme que tu fais quand tu m'écris, quand se bouclent nos deux ombres. Poème jamais fini dans le sang de ma lecture. Quand je te vois et dis : est-ce moi plus profondément ? Est-ce toi aussi simple qu'une graine devant un oiseau ? Nous sommes les fiancés de l'homme."
Je lui posai un sourire dans sa paume et sortis.
Site de l'éditeur Pierre Mainard---
Thierry Metz (1956-1997) est né à Paris. Prix Froissard pour Dolmen (Cahiers Froissard) et prix Voronca pour Sur la table inventée (Jacques Brémond) en 1989, il vécut dans le Lot-et-Garonne à Saint-Romain-le-Noble, fut manœuvre, maçon puis ouvrier agricole. Jean Cussat-Blanc, premier à le publier dans sa revue Résurrection, favorisa son entrée chez Gallimard qui publia en 1990 Le Journal d’un manœuvre et Lettres à la bien-aimée (1995), qui atteindront un cercle de lecteurs ne demandant qu’à s’élargir. Paraîtront ensuite Terre et L’Homme qui penche et, enfin en 2017, à nos éditions, Poésies 1978-1997. Avec Le Grainetier, Pierre Mainard poursuit son projet de donner à lire un fonds d’écrits devenus introuvables, pour la plupart extraits de la revue confidentielle Résurrection.
Dans l’œuvre de Thierry Metz, souligne Isabelle Lévesque, « Tout ce qui s’écrit s’entend, le blanc autour du poème – le silence. (…) La syntaxe simple, la volonté de n’être jamais dans l’excès portent une poésie où tout se réduit dans la lumière. »
« Thierry Metz : l’homme qui se redresse » par Jérôme Garcin, L’OBS, oct. 2017
C'était veille du jour de l'an. Devant moi, maintenant, les feuillets rassemblés formaient un livre. La lampe suspendue à la poutre buvait son alcool à petites gorgées. Et son œil d'or s'ouvrait sur un rêve qui irriguait la pièce. Je tournai mes yeux vers l'âme de cette lumière. Loin en elle préludait la mort du grainetier.
Terre – Thierry Metz
lu par Lionel Mazari