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EAN : 9782940628551
259 pages
Editions des Syrtes (31/12/2099)
4.29/5   17 notes
Résumé :
Chișinău, en Moldavie. La petite Lastotchka est adoptée dans un orphelinat par Tamara Pavlovna, ramasseuse de bouteilles. Lastotchka va à l’école, apprend le russe alors qu’elle préfère sa langue, le moldave, et elle se fait punir par sa mère adoptive lorsqu’elle écorche les mots russes. Elle apprend à laver des bouteilles mais aussi à voler ou à repousser les sollicitations des hommes trop insistants… Les habitants de son immeuble deviennent sa nouvelle f... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Savoir cultiver son jardin intime même si les fleurs, de verre, se font dangereux et douloureux tessons…Coup de coeur pour ce livre moldave à mi-chemin entre le conte fantastique et le conte gothique, entre le roman noir et le roman historique!

La petite Lastotchka, moldave, est adoptée dans un orphelinat par Tamara Pavlovna, ramasseuse de bouteilles, à Chișinău, en Moldavie. Adoption motivée davantage pour s'en servir et augmenter son butin que par charité et compassion semble-t-il de prime abord. Tamara fait en effet de la petite une ramasseuse de bouteilles comme elle, pouvant la seconder alors qu'elle vieillit. Ce n'est pas vraiment un métier mais pas rien non plus, une activité, sur l'échelle des activités « située en-dessous des postiers mais au-dessus des vendeurs de kvas ». Elles ramassent, inlassablement, les mains raides de froid, l'estomac retournée par la nausée au contact des bouteilles d'ivrognes nauséabondes, les échangeant ensuite comptant contre des sous sur un terrain vague, au fond d'une ravine. La fortune à partir de rien. Une vie en machine continue qui est source de coupures, de blessures à l'épaule tant la charge peut devenir lourde, de morsures du froid, de moqueries des autres enfants aussi, d'insultes de la part des ivrognes sur le dos desquels elles gagnent leur vie. C'est là que la petite fille a appris le russe entre les bouteilles et les ivrognes, le russe prenant le dessus sur le moldave, les langues se mêlant, bilinguisme source d'hésitations, de compromis. Par ailleurs, leur tâche ne se limite pas à faire la collecte des bouteilles, il faut aussi les laver pour qu'elles soient plus chères et ce n'est pas une mince affaire…elle a toujours les épaules pleines de pus et les mains bouillantes ou coupées…

« La première année, les bandes de savon sortaient rouges, mélangées aux morceaux de doigts. Mais avec le temps, j'ai appris à ne plus me tromper, à ne pas poser de questions, et surtout, à répondre comme il fallait.

Tiraillée entre la reconnaissance que Lastotchka doit à Tamara de l'avoir sorti de l'orphelinat, la colère qu'elle ressent aussi pour l'exploitation qu'elle fait d'elle, pour ses méthodes éducatives très sévères et uniquement guidées par l'appât du gain - « Son coeur réclamait de l'or ; le mien des étoiles » - et par ailleurs la haine vouée à ses parents biologiques à qui elle destine ce récit, la petite fille décrit sa vie, son ressenti, son monde, ainsi que l'histoire de ce territoire. C'est une vie faite de bric et de broc, une vie qui m'a fait penser par moment à la vie des enfants dans les bidonvilles où la débrouille, les vols et autres combines, les dangers que courent surtout les petites filles face aux hommes, et l'insécurité les fait grandir plus vite.

« Peut-être, en me jetant dans la fosse, comme vous l'auriez fait d'un déchet, avez-vous pu voler dans la vie, comme vous l'avez rêvé : haut, libre. Peut-être, peut-être, peut-être. Pendant toutes ces années, ce qui m'a perturbé le plus, c'est de penser que vous avez bien fait de m'abandonner. Que cela valait le coup. Même le mensonge, vous n'avez pas su le choisir comme des humains. Vous avez été des chiens, du début à la fin. Et vous avez voulu que je sois une chienne, moi aussi. A Bucarest, il neige sans discontinuer, et dans ma tête les langues s'embrouillent et m'engourdissent le cerveau. Dans quelle langue dois-je vous chercher ? Dans quelle langue puis-je vous pardonner ? ».

Elles habitent un immeuble vétuste disposant d'une cour défoncée dans lequel vivent des personnages haut en couleur, marginaux, pauvres, qui marqueront son enfance. La description qu'elle fait, soit à hauteur d'enfant, soit une fois adulte lorsqu'elle ressasse ses souvenirs, de cette communauté cosmopolite est emplie d'humanité. C'est par moment très touchant.

« Nous nous sommes demandé plus d'une fois, à la suite de quel naufrage nous nous étions retrouvés, au petit bonheur, ici. Moldave, Ukrainiens, Juifs, Russes. Militaires démobilisés. Braves femmes seules. Hommes en pleine force mais dont personne ne voulait. Et il y avait moi. Gosse effrayée et seule qui, à l'instar des oiseaux, a entrepris de construire son nid avec des saletés et des restes. Ils m'appelaient tous Lastotchka (« hirondelle ») et il n'y avait aucun couteau au monde qui puisse décoller ce nom de moi ».

Leur activité de ramasseuses de bouteilles va un peu diminuer pour Lastchocka lorsqu'elle va rentrer à l'école puis s'arrêter pour toutes deux, suite à la « période sèche » mise en place par Gorbatchev durant la Pérestroïka, réglementant strictement la consommation d'alcool. Intéressante la manière d'aborder l'histoire de ce territoire et de voir comment la grande Histoire a des conséquences directes sur les petites histoires de ces pauvres hères. Il faut dire que la Moldavie a été quelque peu tiraillée, héritière de deux histoires, celle de l'ancienne Principauté de Moldavie fondée au 13ème siècle et dont le passé local est aussi celui de la Roumanie et celle de la République socialiste soviétique moldave dont le passé est soviétique. Chacune de ces histoires a laissé dans le pays des populations et des identités, dont les aspirations et les cultures n'ont pas encore trouvé de compromis pleinement satisfaisant pour toutes les parties et ce tiraillement se sent vraiment dans le récit, cette petite fille se considère moldave par les racines mais elle tombe totalement peu à peu sous le charme de l'âme russe, de sa langue notamment, tiraillement joliment mis en valeur. On vit dans ce récit l'arrivée de Gorbatchev alors que la Moldavie fait encore partie des Etats membres de l'Urss puis son indépendance, on entrevoit la catastrophe de Tchernobyl, le tremblement de terre venant de Roumanie…

La poésie est omniprésente, renforcée par le fait d'avoir un récit à hauteur d'enfant. de ces bouteilles qui envahissent leur logement, leur bras, leur esprit sans relâche, l'enfant en fait un jardin : lorsqu'elle est seule, ce qui est rare, elle ouvre largement la porte afin de faire entrer la lumière. Alors les bouteilles se mettent à vivre. Leurs couleurs simples se mêlent et en produisent d'autres, plus surprenantes :

« un rang couleur cerise, un rang blanc : rose
Un rang couleur brique, un rang marron : couleur miel
Un rang vert, un rang blanc : couleur turquoise.
Les blanches seules : couleur argent.
Mon jardin de verre »


Roman sur les traumatismes de l'enfance, sur la douleur de l'abandon, sur l'absence de douceur maternelle, sur la quête d'identité dans un environnement, qui plus est, multiculturel, « le jardin de verre » de Tatiana Tibuleac, auteure moldave mais qui a écrit ce livre en roumain, m'a marquée par sa poésie, sa dureté, sa cruauté par moment, étant narré tantôt par une enfant, tantôt par l'enfant devenue adulte, une coriace fleur de bunker, une fleur toute fissurée cependant, qui semble certes aller bien, réussir même (elle va devenir gynécologue) mais brisée à l'intérieur à l'image de ce jouet rêvé, ce kaléidoscope, ramassé – à quel prix - sous les roues d'une voiture…des tessons provoquant des cicatrices qui ne se referment jamais.


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Dans nos bibliothèques et librairies les oeuvres d'auteur-e-s de la lointaine Moldavie sont rarissimes et devraient donc susciter notre curiosité. Ce livre répond à ce souci avec succès, puisqu'il a obtenu l'année dernière le prix de l'Union européenne de littérature. Ce prix a le considérable avantage de stimuler des traductions de livres qui autrement, à cause de la langue dans laquelle ils ont été écrits et publiés, resteraient probablement inconnus en dehors de leur pays d'origine, comme "Le jardin de verre" publié en Moldavie et rédigé en Roumain.

Pour cette dernière langue, nous avons sur Babelio le grand privilège de bénéficier parmi nous de la grande expertise de "Tandarica" ou de Gabrielle Danoux, de son vrai nom et qui très souvent nous offre des critiques, toujours intéressantes, de livres qui nous auraient autrement échappé.

Tatiana Tibuleac est née en 1978 à Chisinau, la capitale de la Moldavie, où à l'université d'État elle a été diplômée en journalisme et communications. Elle a démarré sa carrière littéraire en 2014 avec un recueil de nouvelles "Fabule moderne" qui n'a pas encore été traduit en Français (mais dont le titre ne nécessite pour nous guère de traduction). Trois ans plus tard a suivi "L'été où maman a eu les yeux verts" qui a été traduit dans de nombreuses langues et en 2019 donc ce roman-ci.

Un bref mot sur le pays : la Moldavie a une superficie comparable à la Belgique, mais nettement moins d'habitants 3,5 millions. Jusqu'en 1991 la Moldavie a été une république soviétique que de nombreux Moldaves ont fui pour chercher leur bonheur plus à l'ouest. C'est un des pays les plus pauvres d'Europe, ce qui explique peut-être l'influence importante actuellement des slavophiles. Au musée national à Chisinau, la louve romaine a été dérobée en tant que symbole latin. Les voisins ukrainiens y vont faire leurs courses à cause du niveau très bas des prix. le sinistre président Igor Dodon veut dénoncer l'accord avec l'UE pour le remplacer par une union douanière avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan ! Dodon est bien sûr une marionnette de Poutine, qui pratique son jeu habituel avec ses voisins !

Le début du roman surprend le lecteur non averti, à cause de l'environnement, Chisinau ne ressemble en rien à Paris, Marseille, Lyon ou Bruxelles et à cause de l'héroïne qui n'a que 7 ans et voit cet environnement avec des yeux de gosse de là-bas, ce qui pour le lecteur occidental ne simplifie nullement les données.

En plus, il y a plein de mots et d'expressions russes, qui bien que très soigneusement expliqués en notes de bas de pages ne contribue pas exactement à faciliter non plus la compréhension.

L'imagination, le style et le langage de Tatiana Tibuleac sont cependant tellement riches et poétiques que l'on prend volontiers ces petits inconvénients en patience,

La petite gamine de 7 ans, surnommée Lastotchka, Russe pour hirondelle, se trouve, tout au début du recit, adoptée dans un orphelinat par Tamara Pavlovna, qui gagne sa vie comme ramasseuse de bouteilles de verres. Cette occupation plutôt insolite ne l'empêche aucunement de prendre soin de notre Lastotchka.

Pavlovna veux que notre petite hirondelle apprenne pour son avenir le Russe, mais la môme préfère son Moldave. le Modave et le Roumain est en fait la même langue, mais était jusqu'en 1989 écrit en lettres cyrilliques. J'ignore si Tamara Pavlovna est slavophile comme son triste président ou si elle estime que ses possibilités professionnelles seront beaucoup plus larges si la gosse maîtrise la langue de Pouchkine et Dostoïevski.

D'où elles habitent, en haut de leur immeuble, elles ont à travers la fenêtre une vue panoramique de la grande cour où vivent les autres locataires. C'est cette réalité qui explique le titre du roman : "Le jardin de verre".
Et dans ce jardin habite une communauté colorée : il y a Zakhar Antonovitch avec sa seule main toujours appuyée sur sa médaille de guerre, mais c'est un amour de vieillard qui a toujours des bonbons dans ses poches. Il y a Chourotchka que tout le monde aime et qui aime tout le monde. Et l'auteure de conclure : "La cour de tout immeuble a besoin de quelqu'un pour aimer le cheptel qui l'habite."

Après ce long confinement, Tatiana Tibuleac vous invite à un dépaysement peut-être pas excessivement exotique, mais ... spécial et littéraire !
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L'invasion de l'Ukraine a sorti de l'ombre sa voisine la Moldavie, ainsi que la Transnistrie sa région séparatiste pro-russe.
Qu'ont été ici les années Gorbatchev, la perestroïka et la glasnost, puis l'éclatement de l'URSS et l'heure de l'indépendance ?
Nous sommes à Chișinău pendant ces années-là.
Tamara Pavlovna, ramasseuse de bouteilles, "achète" pour l'aider une enfant à l'orphelinat : Lastotchka, l'hirondelle. Tamara est avare d'affection, mais veut du bien à cette enfant, elle a de l'ambition pour elle.
C'est la voix de Lastotchka qui raconte.
C'est l'écriture délicate d'une petite fille qui observe, qui s'interroge ("Pourquoi tu m'as choisie moi ?")
C'est le petit monde de cette cour de Chișinău, les voisins et voisines qui ont leur propre histoire, illustrant toutes les facettes des violences sexistes, des horreurs de la guerre, des espoirs d'avenir.
C'est l'affirmation d'une culture nationale, avec la langue moldave que parle Lastotchka, et son apprentissage difficile du russe qu'elle aime, mais qui devient le symbole de l'oppression.
C'est également un tour de force du traducteur Philippe Loubière, qui a fait des choix judicieux et a réduit au minimum les notes en bas de page, indispensables toutefois pour bien saisir le conflit entre les langues.

Challenge ABC 2023-2024
Challenge Globe-trotter (Moldavie)
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J'ai eu envie de faire connaissance avec Tatiana Tibuleac, attirée par la magnifique peinture de Lulia Schiopu mais aussi pour découvrir un peu la littérature moldave. Je ne le regrette pas car c'est un très beau livre mais dont je suis certaine de n'avoir pas été capable de tout percevoir. le style d'écriture m'a parfois déroutée car il n'y a pas de linéarité, la narratrice parle parfois en tant qu'enfant,puis adulte. S'adresse à ses parents inconnus ou est dans l'introspection. Mais j'ai aussi parfois été émerveillée par sa poésie. L'histoire nous raconte la quête identitaire de cette petite fille abandonnée par ses parents et recueillie par Pavlona,une femme dure qui va l'entraîner avec elle au ramassage de bouteilles de verre afin d'amasser " des sous" pour plus tard. Ce besoin d'accumuler en vivant chichement est une obsession. le bonheur n'est pas permis au présent,il doit d'amasser pour un jour être vu, étalé et englouti avec ostentation. La folie finit par habiter entièrement cette femme. le parcours de Lastotchka est constitué de souffrance. le récit n'en délivre que des indices,des morceaux dans le désordre, comme des éclats de verre. La quête identitaire de cette enfant est en miroir de celle du pays et je n'ai pas tout saisi du contexte géo politique de cette époque qui imprègne profondément l'histoire. J'ai porté la lourdeur,la honte,la culpabilité de Lastotchka tout au long de ma lecture comme un poid mort,car il n'y a pas de tendresse,pas d'amour,pas de lumière,juste de la solitude et de la souffrance. Tous les conflits intérieurs de Lastotchka se traduisent par sa lutte perpétuelle avec la langue qui lui est permise d'utiliser au gré des mutations sociales et politiques,sa langue maternelle,le russe, le roumain....un livre qui marque par sa profondeur . Je pense que la traduction a dû être un exercice très complexe !
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Encore un roman de la rentrée qui m'avait tapé dans l'oeil, illustré par une belle couverture de l'artiste Iulia Schiopu. Mais enfin avec les éditions des Syrtes, il y a toujours peu de chance de faire fausse route dans ses choix de lecture. le Jardin de verre a obtenu le prix de l'Union européenne de littérature 2019. Organisé tous les ans, ce prix récompense les meilleurs écrivains émergents en Europe. Il a été lancé par la Commission Européenne. L'auteure, Tatiana Tibuleac a la double nationalité roumaine-moldave et vit à Paris aujourd'hui.

Outre l'envie que j'avais de lire ce roman, ce fut aussi l'occasion d'avoir une première approche de ce petit et mystérieux pays qu'est la Moldavie, imbriquée entre ses deux grands voisins, l'Ukraine et la Roumanie, et qui est l'un des pays le plus pauvre d'Europe. En revanche, au point de vue culturel, c'est un pays riche et complexe, composé notamment de la Transnitrie une région peuplée par des russophones s'est proclamée indépendante en 1992 mais qui reste non reconnue par la communauté internationale. C'est donc un pays géopolitiquement scindé entre identité roumaine, ukrainienne et russe, et gagaouze, bulgare et tsigane, dont même le nom pose problème : on l'appelle République de Moldavie en français alors que les Nations Unies ont choisi de l'appeler République de Moldova (le Moldavie faisant référence au pays historique, amputé depuis de territoires récupérés par la Roumanie et l'Ukraine). Avant d'avoir pris connaissance de cela, l'une des premières choses qui m'ait intriguée, c'est que la langue de rédaction est le roumain alors même que l'auteure est moldave. Mais une note du traducteur, Philippe Loubière, nous révèle qu'il s'agit de la même langue à quelques éléments près, dont l'alphabet car le moldave s'écrit en cyrillique. L'épigraphe du roman, incisif, brute, percutant, donne un bon aperçu du texte que l'on s'apprête à lire « Vous m'avez dit que j'étais une chienne sentimentale / Je vous mords jusqu'au lait« . le ton est donné, Un récit à la première personne, contre le reste du monde, contre sa violence, la brutalité froide de son inimité, c'est un combat qui s'annonce, ou les coups seront rendus comme ils ont été donnés, avec ses blessures, dans la capitale moldave, Chisinau. La défiance et l'animosité comme art de vivre quand on est l'enfant abandonnée, adoptée, puis maltraitée.


Née de rien, ni de personne, l'orphelinat reste une première expérience douloureusement acérée comme préparation à la vie de Lastotchka. Une vie douloureuse qu'elle va mener cahin-caha. Comme sa vie, qui n'est pas un long fleuve tranquille, ce texte est découpé en de multiples partie, le phrasé est haché, rendu au minimum, parce que dans cette existence-là on ne s'embarrasse pas de faux-paraître et de fioritures ; Il faut travailler, apprendre, grandir et surtout survivre. Avec ces phrases la plupart du temps concises, il semble que les coups qu'encaisse la toute jeune fille qu'elle est au début prennent ainsi corps et âmes dans l'esprit du lecteur.


Récit âcre et acerbe d'une vie brisée en mille morceaux dès le départ, guidée par un instinct de survie plutôt bien ancré, au beau milieu d'un petit monde qui forme cette microsociété dans cette cour, Chourotchka où elle réussit à se creuser sa place. Pavlik, Bella Isssakovna, Roza, Zahkar Antonovitch, cette petite compagnie, un ersatz de famille qui se réunit tantôt autour du châtaignier. Récit d'une jeune orpheline qui trouve à force' d'années passées et qui tisse les liens avec les gens du quartier. En dépit de cette langue froidement aiguisée, il y a quelques épisodes de bonheur fugace, quelques moments de beauté pure, pendant lesquels Lastotchka exprime la beauté qu'elle est parvenue à trouver dans sa situation, à travers ce cercle de femmes qui l'ont entourée, chacune à leur manière, qui l'ont élevée finalement à leur manière, qui l'ont entourée tant bien que mal dans ce jardin inhospitalier, cette nouvelle forme de famille qui l'a finalement adoptée.


L'un des nombreux points de ce roman dont j'ai envie de parler, c'est cette volonté farouche d'imposer le russe comme langue nationale, d'une minorité ethnique à s'imposer dans un pays ou se côtoient différentes cultures, à rabaisser cette langue moldave, du roumain adapté en cyrillique. le russe la langue de l'intelligentsia, le moldave, la langue du peuple. À travers ce texte adapté du roumain, et mâtiné de nombreux termes qui sont restés en russe dans la traduction française, s'observe l'identité d'un pays tiraillé entre deux identités culturelles. Un peu comme la narratrice finalement qui ne sait pas vraiment d'où elle vient et qui elle est.

Une vie décidément aussi tranchante que du verre, une écriture sur le fil du rasoir, la narratrice apprend à ses dépens, au prix de nombreuses entailles, à manier les bouteilles et le verre. Dans ce jardin de verre qu'est la vie de Lastotchka, tout est une question d'équilibre et au moindre faux pas, c'est la coupure assurée, parce verre qui règne sous toutes ses formes : pille, brisé, morcelé. Même la langue russe s'apparente littéralement à un tesson redoutablement affuté. Au milieu de tout cela la reine des glaces fait sa place, doucement. La métaphore soigneusement filée du verre et de la glace qui est là pour souligner toute la rudesse de la vie de Lastotchka, et celle de ses collègues, est parfois interrompu par des moments de pur bonheur, où elle ressent la chaleur de l'affection presque maternelle, amicale. Il est difficile de s'affranchir de la rigueur de ce monde de verre, où la narratrice devient à forcer de farfouiller, ramasser, nettoyer, manipuler, laver ces bouteilles, elle-même la véritable reine de ce monde de glace. Avec une narration elle-même brisée par les changements de chapitre, comme l'est notre jeune orpheline, une vie ébréchée issue d'un d'un monde qui l'est au moins autant.


On ne peut qu'être troublé par le destin de ces laissés-pour-compte qui ont échoué, on ne sait comment, dans un quartier lui-même abandonné par les autorités, et forment cette famille des esseulés de tous, parents, famille, institutions, patries. Dur mais beau, très puissant roman d'orphelin, de l'abandon mais du recueillement, de l'apprentissage à la famille, de la possession de rien, de la perte de tout Lastotchka ; notre héroïne est l'une de jeunes filles à la Oliver Twist de la Moldavie de fin de XXe siècle, sauf qu'elle n'est pas seule. Et c'est bien ce qui se la sauvera. Entre les tessons de verres, plantés, gisant, Lastotchka et ses compagnons de vie, parviennent à zigzaguer entre gravats, débris et tant bien que mal échafaudent leur propre existence ensemble.

Une vie signifiée par le verre qu'elle ramasse incessamment, ce matériau étrangement dur et coupant, froid, mais si lisse et plein de valeur. L'auteure a magnifiquement réussie à cristalliser cette vie hachurée dans ce matériau polychrome, polymorphe qui surgit à tous les coins du roman, Plus qu'un roman, c'est aussi une oeuvre qu'on voit, on touche, les mots de l'auteur deviennent lames de glaces, glacée, coupante, blessante et brulante, dont je suis ressortie l'esprit quelque peu ébréché.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
En trois heures, le linge que nous mettions dehors encore vaporeux devenait dur comme du verre. Ce sont les robes qui gelaient les premières. Celles de Tamara Pavlovna, longues et plissées, se transformaient en accordéon. Les miennes, courtes et en couleurs, se figeaient dans des positions ridicules, comme si quelqu’un avait dessiné des fils de fer sans tête. Les jupes devenaient des triangles, les chaussettes des serpents, les culottes des mouettes. Plusieurs hivers de suite, j’ai porté un sarafane rouge, en laine de mouton. Il était difficile à essorer, et je le portais dehors encore dégoulinant. Le gel le faisait vite se contracter, et le sarafane transpirait alors de milliers de gouttelettes qui étincelaient comme des diamants. Je les détachais avec mes ongles et les déposais dans le creux de ma main. Mon premier trésor.
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Que je regarde autour de moi, et que je voie de la beauté, moi aussi ! Cette lumière tamisée. Ce ciel aux étoiles en fuite. Des immeubles, des immeubles, des immeubles. Aucun n’a plus de quatre étages. Aucun ne dépasse quatre fenêtres en largeur. Sa poche a de la fourrure, mes ongles deviennent feu. Par les fenêtres, on distingue des gens de petite taille qui vivent bien. Des milliers de carrés avec une flamme au milieu. Les uns à côté des autres, les uns au-dessus des autres. Ceux d’en bas tiennent les autres par les épaules. Ceux d’en bas sont costauds.
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Je nais la nuit, j’ai sept ans. Elle me prendrait bien dans les bras, me dit-elle, mais elle a les mains occupées. Une lampe bleue, attachée à un arbre avec un câble, éclaire de haut. Elle se balance. Je tourne la tête en arrière et je la vois mieux : elle est ronde, comme un pain entier. Nous passons les portes de la ville comme on entrerait dans un ventre de pierre.
(Incipit)
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J’ai collé mon visage sur sa poitrine, et, entre le deuxième et le troisième bouton, là où sa veste s’était légèrement ouverte, un parfum blanc, jeune, tel une nuée de sucre, a jailli. L’odeur des fêtes, ai-je pensé.
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Il vaut mieux vivre,Lastotchka, avec la souffrance qu'avec la honte. ...la honte, Lastotchka, est une affaire grossière. La honte ne te retire rien,elle t'en ajoute. Elle pénètre en toi comme une écharde et te remplit de pus. Tu l'acceptes une seconde,et elle ne te lâchera plus pour des siècles...
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