Ghislaine LABREUIL est une jeune magistrat affectée auprès du cabinet du Doyen des juges d'instruction près le Tribunal de Grande Instance de Lyon. Iconoclaste, rétive à toute forme d'autorité et recourant de bon coeur à des méthodes peu orthodoxes, elle est découverte assassinée devant la garçonnière de son amant, maître BROCHARD, bâtonnier de l'ordre des avocats de Lyon.
La plupart des personnages du roman disposent d'un mobile et d'un modus operandi. Ainsi, le compagnon de la victime - le jeune policier impétueux qui se trouve le soir des faits, avec son coéquipier, près du lieu du crime - avait découvert l'infidélité de Ghislaine LABREUIL sur le point de le quitter aussitôt que son amant, Maître BROCHARD, se serait lui-même séparé de son épouse, également présente sur les lieux de l'assassinat, nonobstant un alibi mensonger. Cependant, maître BROCHARD, également candidat à la mairie de Lyon, exclut de divorcer. Aussi, la juge Ghislaine LABREUIL, avant de se rendre au lieu de rendez-vous clandestin habituel, adresse à son amant un dernier ultimatum lui ordonnant de quitter sa femme ; à défaut, elle mettra immédiatement et définitivement un terme à la relation, ce qui est inacceptable pour BROCHARD. Au même endroit et au même moment, un SDF, ancien repris de justice, s'enfuit immédiatement après le crime.
Autre chose, la jeune juge instruisait des dossiers de trafics de drogue très sensibles, mettant en cause un petit voyou, opposé à des bandes rivales de banlieue, qui promettait de se venger de Ghislaine LABREUIL et de ses méthodes déloyales bafouant les droits de la défense.
Et si l'on ajoute pour bouquet final un greffier pervers et une présidente du Tribunal de Grande Instance aigrie qui déclare à propos de l'assassinat de sa collègue - : « Je ne vois pas pourquoi ils [les juges] ne pourraient pas être assassinés au même titre que les autres » (P.58) -, c'est la promesse faite à BROCHARD, que tout accuse tout accuse, jusqu'à ses propres déclarations à la police, d'un « jeu de la défense » mouvementé pour tenter d'obtenir un acquittement.
Maître BROCHARD est interpelé, mis en examen et placé en détention provisoire pour assassinat. Ses déclarations et les indices matériels recueillis par la police sont autant d'indices graves et concordants de culpabilité. Il fait appel à l'un de ses confrères, le narrateur, pour assurer sa défense.
le jeu de la défense (éditions Plon, 2018) est le premier roman publié par le célèbre avocat pénaliste, maître
André BUFFARD, habitué des cours d'assises. Il a défendu le terroriste Carlos, Pierre Chanal, l'affaire des disparus de Mourmelon, Jean-Claude Romand, certains membres d'Action Directe,
Alain Carignon, Eric Cantona et bien d'autres encore.
L'ouvrage a été sélectionné pour concourir au titre du Prix du Meilleur Polar Points.
Le jeu de la défense est un thriller judiciaire, mais un thriller judiciaire pas tout à fait comme les autres. Et c'est l'une des raisons essentielles pour laquelle il mérite un avis très favorable. L'intrigue, sans toutefois être quelconque et banale, n'est pas, pour autant, novatrice ou exceptionnelle. Cependant, la plus-value du roman réside dans l'alternance de courts chapitres, qui se correspondent parfaitement, entre, d'une part, le déroulement de l'intrigue et, par ailleurs, le jugement du narrateur avocat - il s'agit, sans aucun doute de celle de l'auteur -, sur la Justice et, plus particulièrement, sur les juges et les avocats. Avec un souci de sincérité et d'authenticité,
André BUFFARD s'applique à décrire, le plus souvent objectivement, quelquefois plus subjectivement, ses sentiments et ses opinions à propos du monde judiciaire - parfois contestables, souvent frappés du coin du bon sens : la paupérisation de la profession d'avocat, des magistrats davantage justiciers que juges, les petits arrangements entre amis (ça existe !). Et surtout, l'auteur a le souci pédagogique et passionnant d'exposer, en désavouant les bêtises dites sur les diverses chaines d'information ou dans la plupart des séries télévisées stupides, le fonctionnement de la justice depuis la commission d'une infraction jusqu'à la décision de la justice en passant par les enquêtes de police ou de gendarmerie.
L'auteur semble vouloir démontrer, et il y parvient fort bien, que tout individu a le droit – et même le devoir – d'être défendu. D'abord parce qu'il s'agit de protéger tous les citoyens, y compris les innocents, des procédés qui consisteraient à violer les règles de procédure. Or, la forme c'est la garantie de la liberté, y compris (surtout) pour les innocents. D'autre part, quelle société démocratique accepterait un jugement sommaire sans la garantie d'une défense libre et respectée dans ses droits ? Un individu coupable, dont la preuve du méfait est rapportée - le doute doit lui profiter, comme elle doit profiter à tous - sera condamné, mais cette condamnation sera d'autant plus acceptée par la société que toutes les garanties de la défense auront été respectées. En cela, l'avocat et une justice soucieuse des droits de la défense participent du maintien de l'ordre social. Ce n'est que dans les régimes de dictature que les procès et condamnations ne sont pas acceptés par l'opinion publique, pas en démocratie. de ce point de vue, à peine d'arbitraire dont tout innocent peut être un jour la victime, le prix de la démocratie est d'accepter qu'un coupable, dont la preuve du crime qui lui est imputé n'est pas établie, reste en liberté.
Un seul reproche, mais le défaut était inévitable eu égard à l'activité dominante d'
André BUFFARD, celui-ci ne dit pas que le procès pénal, toutes infractions confondues, de la simple contravention au crime, ne représente qu'une infime partie de l'activité professionnelle de la quasi-totalité des avocats et de l'oeuvre de justice. Et, il ne faut pas croire que seul le procès pénal a trait aux libertés, à l'honneur ou à l'intégrité d'un individu ; c'est vrai également en matière civile, commerciale, fiscale... Mais qui serait intéressé par un livre, un film, ou une série relatifs à l'"autopsie" d'une expertise judiciaire à propos de malfaçons induites par un tassement différentiel du sol sur lequel est construite la maison achetée par un jeune un couple de classe sociale moyenne ? Alors que, pourtant, ces contentieux sont souvent la conséquence de multiples dépressions ou suicides. Les affaires criminelles ne représentent, sauf dans l'esprit du public profane assoiffé de sexe, de sang et de sperme, qu'une infime partie de l'activité judiciaire, des juges et des avocats.
Une observation enfin sur la forme,
André BUFFARD a choisi un mode de narration interne, par conséquent à la première personne en adoptant un point de vue limité, le sien. Ce genre narratif, de plus en plus utilisé dans le roman policier, présente un inconvénient majeur : circonscrire le point de vue au seul personnage du narrateur et de limiter les effets dramatiques. Cependant, d'une part, cette posture propose l'avantage d'une plus grande proximité et intimité avec le lecteur - parfaitement réussi en l'occurrence -, d'autre part, elle était la seule appropriée dès lors que le narrateur/auteur souhaitait, dans ce roman, instruire le lecteur sur le fonctionnement de la justice à travers sa propre expérience, quand bien même il ne s'agirait que d'une fiction.
En conclusion, le roman d'
André BUFFARD est passionnant à lire (l'intrigue), instructif, sans être ardu (la justice). Je le conseille avec le même plaisir que je l'ai lu.
Bonne lecture.
Michel.
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