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EAN : 9782742772841
157 pages
Actes Sud (03/01/2008)
4.16/5   291 notes
Résumé :
Quel est le prix de la liberté ? Liberté sexuelle, amou-reuse, politique, sociale ou religieuse...

Darina al-Joundi raconte, sous la plume de Mohamed Kacimi, une histoire stupéfiante, une histoire faite de vérité et de folie, de violence et de tendresse. Toute l'histoire du Liban contemporain concentrée en l'histoire d'une personne, fidèle au rêve persistant d'un père journaliste et écrivain pour qui la liberté n'est pas négociable. Ce rêve va pourta... >Voir plus
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Toutes les petites filles rêvent d'avoir un père comme Assem. Un Papa drôle, fantasque, aimant ! Un Papa funambule qui se joue des difficultés et des travers de la vie au quotidien ! Un Papa toujours en vadrouille, clope au bec, mais qui toujours revient ! Un Papa fulminant contre toutes les injustices de l'existence ! Et surtout, surtout, un Papa qui interdit d'interdire ! Même si ce précepte sacré, terriblement soixante-huitard, finit souvent par se retourner contre lui.
Darina est née au Liban sur un air de Nina Simone
Espiègle, aguicheuse, curieuse de tout, impudente, aussi brillante que dilettante, elle ressemble à ce père rocambolesque. Cette éducation libertaire fait d'elle une sorte de hors-la-loi, de réfractaire. Dans ce pays qui se caractérise par la force de ses communautés religieuses, elle n'est ni chrétienne ni musulmane. Darina rit, comme seuls les enfants heureux savent rire, des coups de pieds adressés par son père aux culs de toutes les religions.
Darina est encore une jeune adolescente quand la guerre civile explose au Liban. Mais les communautés religieuses peuvent se déchirer entre elles comme chiens ardents à la curée, les états voisins envieux participer à l'hallali, le peuple du pays des cèdres disparaître sous les bombardements et les massacres innommables, Darina refuse de changer. Malgré les bombes, la peur, la haine et l'absurdité de la vie dans ce climat de mort, elle demeure une femme libre, excessive, débridée, qui fonce toujours tête baissée, même si c'est pour se fracasser contre un mur.
En jouant sa vie à pile ou face, en bravant tous les interdits et en se prêtant à toutes les expériences, Darina fait de la guerre son nouveau terrain de jeu. Elle vit chaque seconde comme s'il s'agit de sa dernière. Elle la vit pleinement, intensément, férocement, sans retenue aucune. La guerre est son complice ; Beyrouth en ruine son royaume.
L'éclat de Darina, sa joie de vivre, son insouciance suicidaire, sa grâce sauvage et séductrice, lui permet de courir plus vite que la mort, de la battre sur le poteau.
Et puis la guerre prend fin. Les bourreaux se mêlent aux victimes ; ils finissent presque par leur ressembler. Les religieux, les bigots, les bien-pensants, les dévots, les cafards, les hypocrites imposent leur loi d'airain.
Comme il avait raison Papa !!!
Darina est morte le jour où Nina Simone a cessé de chanter…

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Beyrouth : le bonheur, la liberté, le chaos, l'horreur.

« Beyrouth était une ville libre, l'oasis de tous les intellectuels arabes interdits de parole dans leurs pays. C'était aussi la capitale de l'OLP, les Palestiniens y faisaient la loi, Beyrouth était leur république. »

Cette histoire vraie va raconter l'enfance, heureuse, de Darina Al-Joundi, fille d'intellectuels, chérie par son père épris de liberté totale. J'ai beaucoup apprécié de lire cette période, qui s'étend sur les premières pages du roman, car Darina est une enfant espiègle et sa manière de parler et d'agir me fait bien rire.
Et puis survient la guerre du Liban, en 1975, guerre civile monstrueuse qui a plongé les libanais dans l'horreur complète. Darina continue à apprécier la vie et se calque sur le comportement de son père. Mais il faut se protéger des bombes, se cacher… Et l'adolescence arrive, toujours sous le couvert de la guerre…, qui est devenue la vie normale ! Au point que sans le bruit des bombes, Darina a des insomnies ! Et c'est là que tout dérape : Darina va faire de multiples expériences : la drogue, le sexe…, toujours avec l'accord tacite de son père, du moment qu'elle reste libre. Cette guerre la « décanalise », elle se projette dans l'horreur pour la faire sienne. Et là, j'avoue, c'était trop pour moi. Déjà le fait de citer à tout bout de champ les faits d'armes, les déplacements de troupes, les invasions…j'ai eu du mal. Et la conduite jusqu'au boutiste de Darina, quasi cautionnée par son père, m'a vraiment mise mal à l'aise.
Enfin survient la mort du père, et là…c'est un autre type d'horreur qui va survenir. C'est là que je comprends pourquoi elle n'a guère parlé de sa mère durant tout le livre… Mais je n'en dirai pas plus.

En conclusion, je vais mentionner la phrase de Mohammed Kacimi qui a écrit le livre avec Darina : « La vie roman de Darina dit combien est vulnérable la liberté de la femme, qui restera à jamais une langue étrangère aux yeux de l'homme. »
Même si je n'ai que moyennement apprécié cette histoire, j'aurais foncé voir la pièce de théâtre au festival d'Avignon, car je ne peux que prononcer mon respect pour Darina et pour toutes ces femmes qui, comme elle, ont souffert au-delà du possible, sous le joug de la guerre et des hommes.

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Il arrive quelques fois dans la vie que des rencontres nous marquent durablement. Elles peuvent être fugaces, imaginaires ou s'immiscer dans l'air du temps… Elles sont là et elles nous narguent. Elles ne nous lâchent que lorsqu'on a bien voulu leur ouvrir notre coeur. Cela m'est arrivé il y a quelques années. Ma vie était chaotique. J'avais l'impression de perdre pied.
J'avais donc besoin d'une rencontre frontale pour prendre conscience de certaines choses. Cette rencontre est restée pour moi mémorable. Elle a les traits d'un homme, un libanais. Un jour, je lui ai demandé:
-C'était comment de grandir dans un pays en guerre ?

Il m'a répondu :
- Oh ! Tu sais, à force on ne la voit plus…

Cette réponse m'avait tellement marquée que je n'ai pas poursuivi l'entretien. La phrase se suffisait à elle seule. Nous avions de suite parlé d'autres choses, pour notre plaisir à tous les deux, heureux de fuir l'impensable.

Dernièrement, je suis tombée sur un livre que j'avais noté dans mon carnet de lecture de 2008 et qui m'avait été vanté par la radio TSF. Bien que je sois consciente que tous les libanais ne partagent pas le même ressenti, l'ouvrage que je viens de lire m'a permise de retrouver l'atmosphère de cette rencontre que j'avais reléguée dans un coin de ma tête, poliment.
L'histoire est différente et pourtant les mêmes émotions sont palpables. Cependant je préfère vous laisser en compagnie d'un des deux écrivains de ce livre poignant. Il en donne un très bel aperçu :
« Au mois de juin 2006, j'organisais une manifestation autour de Beyrouth dans un théâtre parisien. A l'issue des représentations, une jeune femme, habillée en noir, timide, effarouchée même, est venue vers moi, elle m'a donné un manuscrit et sans dire un mot elle a disparu. Je l'ai lu le soir même. C'était une lettre ouverte à son père, qui avait rêvé pour sa fille la plus grande des libertés et qui allait justement, à cause de cette liberté, connaître la pire des servitudes. le texte était pudique, métaphorique. Je l'ai appelée pour savoir si elle était prête à aller plus loin, à vider réellement son sac. Elle s'était prêtée au jeu avec une transparence inouïe. Elle me faisait le récit de son enfance, de ses guerres, de ses drogues et de ses amours sans aucune censure. Elle racontait. J'écrivais. de cette rencontre est née une grande amitié et un texte de théâtre que j'ai soumis à Alain Timar, directeur du théâtre des Halles à Avignon. le lendemain, celui-ci prenait le TGV pour lui proposer de la mettre en scène et de l'accueillir dans son théâtre pour le festival d'Avignon. Elle qui était comédienne depuis l'âge de huit ans n'avait jamais joué en France. Son exil du Liban l'avait éloignée de la scène. Elle avait une telle avidité de jeu qu'au troisième jour les gens se battaient pour la voir. Impie, belle, ardente, et libérée, elle valait son pesant de poudre dans la Chapelle Sainte-Claire.
Toute la presse nationale a parlé de sa performance. Laure Adler et Fabienne Pascaud diront d'elle qu'elle a été la révélation du festival 2007. le conte de fées ballait se prolonger. Thierry Fabre, qui avait vu le spectacle, nous a demandé d'en faire un récit. Nous nous sommes retrouvés à Paris. Chaque jour, Darina me racontait, tantôt en arabe, tantôt en français, année par année, sa vie et, moi, j'écrivais. A la fin, je me suis retrouvé avec des centaines de feuillets. Il fallait agencer le tout, sans jamais perdre la musique de son récit oral, en faire une fiction où tout est vrai. La vie roman de Darina raconte aussi l'histoire insensée de ce Liban qui jubile en temps de guerre et s'effondre en temps de paix, tout comme elle dit combien est vulnérable la liberté de la femme, qui restera à jamais une langue étrangère aux yeux de l'homme. »


Résumé de la quatrième de couverture :
Quel est le prix de la liberté, qu'elle soit sexuelle, amoureuse, politique, sociale ou religieuse ?...Telle est la question que pose cette histoire stupéfiante, faite de vérité et de folie, de rage et de tendresse. La narratrice grandit dans le Liban contemporain en s'efforçant d'être fidèle au rêve de son père, un journaliste et écrivain pour qui la liberté n'est pas négociable. Mais ce rêve va se fracasser sur la violence et la haine de la guerre civile, qui tolère tous les excès-sexe, alcool, drogue, provocations. le refus affiché des règles sociales et des convenances religieuses finit pourtant par défier une société qui réprime durement l'insoumission… Voici le récit d'une renaissance, le retour à la lumière d'une jeune femme qui a côtoyé la folie et la mort. Audacieux, impudique et bouleversant, son témoignage dévoile une immense fragilité mais aussi une force et une espérance irréductibles.


Mon avis :
Darina Al-Joundi était une parfaite inconnue pour moi jusqu'à présent. Ma première rencontre avec ce livre a eu lieu avec la couverture. J'avais du mal à quitter la femme des yeux. Elle m'inspirait beaucoup de tendresse, d'émotions réfrénées, de sensibilité et d'intimité. Tandis que j'entendais à mes oreilles les paroles de Nina Simone chanter « My baby don't care for shows, My baby don't care for clothes, My baby just cares for me, My baby don't care for cars and races...», j'étais curieuse de connaître le lien qui unissait cette chanteuse de jazz à un récit sur la guerre au Liban, sur cette femme que je pouvais voir sur la couverture du livre et qui m'évoquait tant d'émotions disparates et souvent extrêmes. Quel rôle jouait Nina Simone dans ce récit ?

Ce livre est difficile à digérer. Il remue tellement de choses, le propre de la guerre sans doute comme l'écrivent les deux auteurs de ce livre. « La guerre crée un état de non-droit, elle régularise la mort, normalise la barbarie, entretient la peur et les fantasmagories, ravive les vieux démons, ébranle la morale et l'humanisme ».

Cela fait cinq jours que je tente de mettre des mots sur mes émotions pour présenter ce livre et pour comprendre pourquoi les mots sont en grève devant tant de maux révélés, des maux sans frontières et qui touchent tout le monde, sans distinction de race, de sexe, de couleur, d'âge et de religion.
Souvent, nous n'avons de la guerre que des déferlantes d'images télévisuelles oppressantes représentant nombre d'immeubles bombardés ou encore de corps déchiquetés. Lorsque les victimes, lorsqu'elles sont encore vivantes, sont interrogées, pressées de témoigner, elles parlent alors souvent de leur fuite. Rarement, dans ces reportages, il est choisi d'entrer avec elles dans le vif du sujet. Dès lors, on ne vit pas en leur compagnie l'atrocité de leur quotidien. Et pourtant comment vit-on dans un pays en guerre ? Finit-on par l'oublier comme me l'a dit mon ami ? Arrive-t-on à vivre normalement ? Quelles images revêt la normalité en tant de guerre ? Les émotions ont-elles leurs places et, si oui, sous quelles formes ?

A mon sens, ce récit est un témoignage d'une forme de survivance. Darina a tenté de vivre, puis de survivre. Elle a tenté la douceur, puis naturellement s'est tournée vers la violence souvent sans se rendre compte de la brutalité qui l'agitait, étreignant la réalité quitte à se faire mal, jouant avec la vie comme on joue avec un ami.

Cette histoire commence le jour de l'enterrement du père de la narratrice, Darina Al-Joundi. Un père mort parce qu'il « avait tout dit » et qu'il n'avait plus rien à raconter à sa fille, alors que les « maisons bombardées fument encore. L'armée israélienne vient juste d'évacuer le Sud-Liban après vingt ans d'occupation. » Et là, les femmes se mettent à pleurer et à gémir. Elles se jettent sur son père. Elles sont tristes. Puis, soudain, « une voix étrange » hurle des sourates du Coran. La narratrice a aussitôt le ventre « déchiré ». « J'ai ouvert la porte de la pièce voisine. Elle était pleine de femmes en noir, elles pleuraient autour d'un radiocassette qui diffusait des prières. Je les ai enjambées, je les ai piétinées, je me suis emparée du radiocassette. J'en ai coupé le son. Les femmes poussaient des cris d'horreur. Ma mère, mes soeurs tentaient de me rattraper :
Arrête tu es folle, reviens, ce n'est pas le moment…

J'ai couru me réfugier dans la chambre de mon père. J'ai fermé à double tour la lourde porte en chêne. J'ai entendu les hommes hurler :
Espèce de folle, remets le Coran sinon on te tue. Ouvre salope, ouvre ! On ne coupe pas la parole de Dieu. Ouvre putain, si tu touches au Livre de Dieu, tu es morte.
De derrière la porte je criais à mon tour :
Ce n'est pas le Dieu de mon père. Il n'a jamais eu de Dieu, mon père. Il m'a fait jurer : « Ma fille, fais gaffe à ce que ces chiens ne mettent pas du Coran le jour de ma mort. Ma fille, je t'en prie, je voudrais du jazz à ma mort et même du hip hop, mais surtout pas du Coran ». Je veux bien lui mettre Nina Simone, Miles Davies, Fairouz et même Mireille Mathieu, mais pas de Coran. Vous m'entendez, je vais lui passer à la place de vos prières le dernier Tango à Paris. Il prenait toujours du Fleurier demi-sel. Vous ne l'enterrerez pas comme ça, vous ne l'aurez pas. Je ne vous ouvrirez jamais. J'ai enlevé la cassette du Coran et j'ai mis Save Me de Nina Simone. Les coups redoublaient contre la porte. Moi, je dansais seule face à mon père. Je lui parlais fort, comme si je voulais le réveiller de sa mort :
- Heureux ? Tu l'as eue ta Nina Simone, tu l'as eu ton jazz, je t'ai épargné le Coran, n'est-ce pas ? Et maintenant qu'est-ce que je fais ? Qui va me protéger contre ces monstres ! C'est toi qui me l'a appris : « Méfie-toi ma fille, tous les hommes de ce pays sont des monstres pour les femmes. Ils sont obsédés par les apparences, ils sont ligotés par les coutumes, ils sont rongés par Dieu, ils sont bouffés par leurs mères, ils sont taraudés par le fric, ils passent leur vie à offrir sur un plateau leur cul au bon Dieu, ils ouvrent leur braguette comme on arme une mitraillette, ils lâchent leur sexe sur les femmes comme on lâche des pitbulls. Quels chiens ! » Tout à l'heure, une de tes ex-maitresses a voulu t'embrasser les mains. Je lui ai conseillé de t'embrasser la bite. On ne sait jamais, elle aurait pu te ressusciter. Elle aurait joué Jésus et toi, Lazare. »

Ce livre est l'histoire d'un amour fou d'un homme pour la liberté et qui, coûte que coûte l'inculquera à ses enfants. Contrairement à la plupart des parents qui s'insurge devant les écarts commis par leurs enfants, le père de Darina s'en faisait une joie. Il devenait le complice de leurs manquements. Il leur apprenait l'arabe en chansons ou en poésies, leur affirmait que Marx était né en Syrie, là même où il était né. Laïc fervent, il comparait le Christ à Guevara, persuadé qu'un « type qui transforme l'eau en vin ne peut pas être foncièrement mauvais ».

Darina aurait pu être une enfant comme les autres mais son histoire démontre le contraire. En révélant ses origines, elle pose la question de la liberté face à l'autoritarisme et aux limites de la pensée humaine:
« Mes soeurs et moi étions conscientes très tôt de ne pas être comme les autres. Notre père était un refugié politique syrien, titulaire d'une simple carte de séjour renouvelable tous les trois mois et notre mère libanaise ne pouvait pas en fonction de la loi qui règne dans tous les pays arabes, nous transmettre sa nationalité parce qu'elle était une femme. Nous étions toutes les trois sans papiers dans le pays où nous étions nées. Et dans ce Liban où chacun n'existe que par sa communauté et sa confession, nous n'avions ni communauté, ni confession. Nous ne savions pas si nous étions chrétiennes ou musulmanes. Quand nous posions la question à notre père, il répondait :
Vous êtes des filles libres. Un point c'est tout. »

Une bonne soeur s'indigne par exemple de ne pouvoir caser Darina dans une confession quelconque et ainsi la diriger vers le cours approprié. Darina ne comprend pas pourquoi on l'empêche de suivre la voie de son coeur : « Et moi, plongée dans ce gouffre auquel je ne comprenais rien, je me suis accrochée à sa robe :
- Je vous en prie soeur Thérèse, ne me privez pas de catéchisme, j'avale toutes les hosties à moi seule, je connais par coeur toutes les histoires, j'aime la messe, ne me chassez pas. » La bonne soeur, pleine de pitié, lui demande pourquoi elle est autant attachée au catéchisme. Et Darina, aussi sincère que peuvent l'être les enfants, répond tout naturellement :
« Pour l'histoire de la pute, j'adore les histoires de putes ». La bonne soeur a embrassé sa croix, outrée, et a répondu : « Seigneur, on ne les changera jamais».

Sur fonds de bombarments incessants, nous découvrons avec Darina comment des hommes perdent leur humanité ou comment les hommes ont en eux naturellement une certaine « inhumanité ». « Nous n'étions plus des hommes. Les loups, sans doute sont moins cruels ». Face à la folie meurtrière, on réagit comme on peu. Darina rit « à force d'avoir peur », puis décide de vivre comme son père lui a appris, sans peur et sans reproches. Mais la triste réalité finira par la rattraper, violemment. Elle sera internée dans un asile psychiatrique, histoire de l'obliger à rentrer dans le moule. Meurtrie, elle apprendra à se libérer et fuira pour mieux se retrouver, ailleurs. Ses origines ? Pour Darina, ses racines n'ont pas de frontières terrestres.

Ce texte a plusieurs lectures. On peut le lire comme un support historique concernant le Liban en guerre, mais ont peut aussi s'intéresser à ce récit pour tout ce qui attrait à la place de l'intimité de chacun pendant la guerre et voir quelle place et quel droit l'intimité peut avoir. Face à l'absurdité de la guerre, la croissance de l'individu se révèle être un reflet de la guerre. le corps devient en effet ici une lutte perpétuelle vers la liberté. Tout amour est impossible. Nous dit Darina. « Beyrouth était tellement démantelé, brisé en une infinité d'îlots et d'univers qu'une fille avait intérêt à avoir un amoureux habitant dans la même rue et de préférence dans le même immeuble, sinon son amour serait impossible ». Puisque aucun tabou n'est présent, aucun amour possible, la seule issue pour atteindre la liberté reste la libération sexuelle pour Danira. Elle la recherche et comme elle n'a pas de partenaire, elle décide de se dépuceler seule :

« Je me suis accroupie. Je ne me suis pas caressée le sexe. J'ai juste senti au bout de mes doigts les poils un peu drus, j'ai écarté mes lèvres, j'ai enfoncé lentement mes doigts, j'entendais le rire de mon père, je voyais le regard malicieux de Maher, j'ai senti quelque chose qui résistait, j'ai forcé. J'ai senti quelque chose couler sur mes doigts. J'ai retiré ma main, elle était rouge. La porte s'est ouverte. Maher était de retour. Dehors, la guerre n'en finissait pas. »

Ce premier rapport sexuel censé être important est d'autant plus brutal qu'il se fait seul. Cette violence n'est pas sans faire écho au monde extérieur. Les violences sont partout. Bombardements, trahisons de voisins… Mais, comme elle le dit elle-même, Darina était « convaincue qu'elle allait mourir d'une seconde à l'autre. » Alors, elle « mettait les bouchées doubles. » Elle « était donc affamée de tout. »

Dans ce livre on se rend compte à quel point l'instant présent est important. Ici, il est même le seul gage de réalité, seul refuge face à l'atrocité humaine auquel on se voue corps et âme, entièrement.

Il arrive quelques fois dans la vie que des rencontres nous marquent durablement. Elles peuvent être fugaces, imaginaires ou s'immiscer dans l'air du temps… Ici, cette rencontre se retrouve à travers ce livre. Ce moment est réel. le rêve y est absent. Plus personne ne rêve. On écoute bouche bée Darina nous conter son passé, recevant chaque impact des mots en pleine face telle une bombe sur un civil. Un magnifique témoignage qui pose ici la fureur de vivre comme archétype de la vie. Les mots frappent chaque page qu'ils soient crus, émouvants ou drôles mais le sourire fait rapidement pâle figure… le sourire se meurt tandis qu'une voix continue de se faire entendre. Nina Simone chante quelque part, toujours là, malgré tout, représentant ainsi toutes les voix tues que cette afro-américaine, cette militante des droits civiques aux Etats-Unis, a su transformer en chant universel.

Un petit aperçu de Nina Simone qui chante ici Save me....
Lien : http://aupetitbonheurlapage...
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Darina Al-joundi nait au Liban, en 1968. Son père est un réfugié politique Syrien, de gauche, athée, qui n'a de cesse d'élever ses trois filles en femmes libres, personnalité atypique et flamboyante, épicurien dans l'âme.
Elle raconte son enfance lumineuse, d'une incroyable liberté.
Et puis la guerre.
Cette guerre civile, interminable, qui fera exploser l'équilibre illusoire
De ce pays fragile, mosaïque de communautés.
L'auteure ne cache rien, ne tait rien, de cette violence qui détruit tout, de cette vie que l'on mène dans le chaos des bombes, au fil du décompte des morts, avec en toile de fond les massacres et les exactions.
Comment survivre sinon dans l'excès, une fuite en avant, une ivresse pour oublier, ou, au moins, pour continuer de se sentir vivante.

Témoignage coup de poing, cri du coeur poignant, glaçant et percutant.

Challenge Multi-défis 2018
Challenge Plumes féminines 2018
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Deux jours, il m'aura fallu deux jours pour arriver à écrire ces quelques mots, sans que mon coeur peine et ma gorge griffe. J'ai été bouleversée, touchée, culbutée, empoignée par ce récit. Dès la dernière page tournée, une remontée de souvenirs, d'émotions, de sensations est venue me percuter de plein fouet.

J'ai connu ou plutôt "reconnu" des mots, des situations, qui ont fait écho en moi avec une violence inouïe : l'éducation pour faire d'un enfant un être libre, libre de ses choix, libre de ses erreurs aussi, l'éducation pour espérer un adulte émancipé.

La grosse différence avec ma petite expérience, Darina al-Joundi, vous avez grandi au Liban, sous le feu des F16 comme d'autres scrutent celui du 14 juillet, à un moment où la mort se joue à la roulette comme on achèterait un ticket gagnant. « I will survive ! » Vous avez survécu, même à l'indicible.

Et je vous entends « Viens, viens, jouis avant qu'on ne crève ». Car c'était cela votre religion, tromper la mort quitte à se tromper ...mais exulter ! J'ai donc mis « The traveller » de Chris de Burgh pour vous imaginer, dansant et criant sur cette chanson, tout en me disant que "Borderline", vous irait bien aussi.

You put a spell on me Madame ! J'irai vous voir sur scène, c'est une évidence.

Papa, j'ai été moins courageuse que Darina. Je n'ai pas osé te le dire, j'avais apprécié ma première bouffée de cigarette. Elle me donne l'occasion de te saluer dans ce petit nuage de fumée. Si tu rencontres Assem al-Joundi, je suis certaine que vous vous reconnaîtrez, vous avez sûrement réussi à la créer, votre communauté des athées. Je l'espère...

« I wish I knew how it would feel to be free »
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Citations et extraits (48) Voir plus Ajouter une citation
- Tu es quoi?
- Je ne sais pas, ma soeur.
- Comment tu ne sais pas ce que tu es? Tes parents ne t'ont rien dit?
- Dis quoi,ma soeur?
- D'où tu étais.
Mon visage s'est illuminé, je commençais à comprendre.
- Si, je suis de Beyrouth.
- Je ne parle pas de ça, ils ont bien dû te dire à quelle Eglise tu appartenais.
J'ai fait signe que non de la tête.
Elle a eu pitié de moi.
- Ils sont morts? Ils sont sourds-muets?
- Non, ma soeur, ils parlent, ils sont vivants.
A ce moment, j'ai compris que j'étais vraiment un hiéroglyphe aux yeux de la bonne soeur qui s'est mise à crier :
- Comment tu ne sais pas, tu es au Liban, chacun sait d'où il vient, à quelle communauté il appartient, nous en avons dix-sept dans notre pays, est-ce que tu es arménienne, grecque orthodoxe, grecque catholique, syriaque, maronite, même les chats connaissent la confession des maisons où ils sont, même un chien sait au flair s'il est tenu en laisse par un Grec catholique ou un Grec orthodoxe. Dis-moi, il vient d'où ton père?
- Il vient de Syrie, ma soeur.
- Et ta mère, elle vient d'où?
- De Beyrouth-Est.
- Et tes grands-parents, ils sont d'où?
- De Ghandouriyeh, ma soeur.
Elle a embrassé sa croix en murmurant "Doux Jésus, une musulmane". Elle m'a pris par le col de ma petite robe blanche :
- Allez, suis-moi, va jouer dans la cour avec les autres. Tu n'as pas droit au catéchisme. Tu es musulmane.
Et moi, je me suis accrochée à sa robe :
- Je vous en prie, soeur Marie-Thérèse, ne me privez pas de catéchisme, j'avale toutes les hosties à moi seule, je connais par coeur toutes les histoires, j'aime la messe, ne me chassez pas.
J'ai vu dans son regard bleu un sentiment de pitié. Elle m'a caressé les cheveux en me posant la question avec une voix très douce :
- Pourquoi tu aimes tant le catéchisme, mon enfant?
Dans un élan de vérité rare, j'ai répondu :
- Pour l'histoire de la pute, j'adore les histoires de putes.
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Moi, je dansais seule face à mon père. Je lui parlais fort, comme si je voulais le réveiller de sa mort :
— Heureux ? Tu l'as eue ta Nina Simone, tu l'as eu ton jazz, je t'ai épargné le Coran, n'est-ce pas ? Et maintenant qu'est-ce que je fais ? Qui va me protéger contre ces montres ! C'est toi qui me l'as appris : «Méfie-toi, ma fille, tous les hommes de ce pays sont des monstres pour les femmes. Ils sont obsédés par les apparences, ils sont ligotés par les coutumes, ils sont rongés par Dieu, ils sont bouffés par leurs mères, ils sont taraudés par le fric, ils passent leur vie à offrir sur un plateau leur cul au bon Dieu, ils ouvrent leur braguette comme on arme une mitraillette, ils lâchent leur sexe sur les femmes, comme on lâche des pitbulls. Quels chiens !»
Tout à l'heure une de tes ex-maîtresses à voulu t'embrasser les mains. Je lui ai conseillé la bite. On ne sait jamais, elle aurait pu te ressusciter. Elle aurait joué Jésus et toi, Lazare.
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Ma grand-mère paternelle syrienne passait le plus clair de son temps chez nous. Elle venait d'avoir soixante-dix ans. Elle pouvait passer des heures à enduire ses cheveux d'huile d'olive. Elle avait une poitrine d'une opulence rare. Moi, je rêvais de voir ses seins. Un après-midi d'été, elle s'était retirée pour prendre son bain. C'était l'occasion ou jamais. J'ai ouvert d'un coup la porte. Elle était nue, debout dans la baignoire, les cheveux tout noirs, le sexe tout blanc, sa peau formait des bourrelets infinis. Et ses seins, inoubliables, pareils à des outres, avec une auréole large comme une orange, lui tombaient jusqu'à la taille. J'ai fermé la porte et j'ai hurlé :
- Mamie a des seins de vache, mamie a des seins de vache.
J'ai reçu la première correction de ma vie.
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- Mes filles, je sais que vous êtes à l'âge de toutes les tentations et la première c'est la cigarette. Je vous ai toujours dit qu'il est interdit d'interdire dans notre famille. Comme je ne veux pas vous voir fumer en cachette, voilà, je vous offre à chacun une cigarette, vous allez fumer devant moi et vous verrez à quel point c'est immonde et infect et vous y renoncerez toutes seules.
Nous étions toutes les trois alignées sur le sofa du salon. Nous avons tiré sur nos Gauloises sans filtre avant de nous écrier en chœur :
- Papa, c'est magnifique.
Il était livide. Depuis, nous n'avons jamais arrêté. Une semaine plus tard, je découvrais le shit. J'ai fumé mon premier joint et j'ai tellement ri que je voyais la mer plus large et les balles moins mortelles.
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Mon oncle, pour nous guérir de notre "aversion" envers les Israéliens, nous a enfermées dans son salon devant "Holocauste".
- Vous n'aimez pas les Israéliens, vous allez voir maintenant ce que ce peuple a subi.
Nous avions beau lui répéter que notre père nous avait enseigné que tous les hommes étaient pareils, que nous n'avions aucune haine pour les juifs, mais que nous n'admettions pas qu'une armée étrangère vienne nous larguer des bombes sur la tête durant un mois, pendant quatre heures nous sommes restées consignées devant Meryl Streep, avec cette seule question en tête : C'est vrai qu'ils ont souffert, mais pourquoi nous faire souffrir nous?
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Vidéo de  Darina Al-Journi
Dans l’émission DES/CONFINES, Maya Ksouri accueille cette fois Darina Al Joundi, comédienne, scénariste et écrivaine franco-libanaise.
Institut français de Tunisie
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Thèmes : littérature française , roman , culture générale , théâtre , littérature , livresCréer un quiz sur ce livre

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