J'ai adoré ce roman tout à fait original de par sa forme et son histoire ! En effet, Les Femmes n'aiment pas les hommes qui boivent, également dénommé le Journal du copiste, fut initialement publié sous la forme d'épisodes journaliers que
François Szabowski écrivait en s'inspirant d'une expérience professionnelle qui ne devait durer que deux mois. Il s'agissait donc d'une courte fiction, s'inspirant de la réalité tout en la déformant à loisir et qui divertissait agréablement son auteur. Cependant, au terme de son expérience professionnelle, ce dernier a réalisé que le personnage qu'il avait créé lui plaisait beaucoup et a décidé de poursuivre l'écriture de son journal, qui est aujourd'hui devenu un roman enthousiasmant ! Ce roman, respectueux de ses origines, se présente donc sous le forme de courts épisodes qui ensemble composent le journal de François Chabeuf, un homme dans la force de l'âge pour lequel l'expression "le travail, c'est la santé" est, plus qu'une philosophie, un véritable art de vivre ! Ces épisodes sont intitulés avec originalité et intelligence, et plus que de simples repères, ce sont des éléments intrinsèques au récit et qui participent à sa construction, je cite à titre d'illustrations : "Si la porte est fermée, il ne faut pas hésiter à donner un coup d'épaule" ou encore "La vie est un cauchemar dont on se réveille tous les matins en arrivant au travail". Outre ces intitulés pittoresques, le lecteur découvre tous les dix épisodes un rappel des épisodes précédents très savoureux car
François Szabowski parvient à se reformuler avec élégance et à résumer brillamment les événements récents. Toutefois, ces derniers sont très souvent exagérés, dramatisés ou interprétés avec une mauvaise foi évidente : ainsi, même ces résumés en apparence anodins et fonctionnels participent au récit et permettent au lecteur de mieux cerner le personnage de François et surtout le cheminement de ses pensées.
Quelle complexité que ce François Chabeuf, qui est à la fois le narrateur et le personnage principal de ce roman. J'ai adoré ce personnage extravaguant et original, tour à tour irritant, sympathique, effrayant, fatiguant et hilarant : il est une caricature particulièrement réussie de l'être humain et, surtout, de ses défauts. Travailleur émérite et d'une assiduité irréprochable, François n'a d'autre but dans la vie que d'accomplir quotidiennement son labeur. Il est copiste et savoure son récent contrat de travail, qu'il espère prolonger par un contrat à durée indéterminée. Hélas, dans la vie rien n'est acquis et très vite il est confronté à un collègue et adversaire, nouveau salarié lui aussi et candidat au poste convoité. Désespéré par la situation, François va se démener pour écarter son rival : c'est le début d'une série d'aventures rocambolesques et pleines d'humour, à la fois absolument incroyable et d'un réalisme inquiétant. Je n'en écris pas plus afin de préserver le mystère du roman et de ne pas gâcher l'humour qui s'en dégage !
J'ai tiré un grand plaisir de ma lecture car, outre l'humour que j'ai vraiment apprécié, le roman mélange différents genres littéraires : à la fois satire sociale, roman d'aventures ainsi qu'oeuvre de fiction ancrée dans la réalité et agrémentée d'un soupçon d'intrigues policières, il s'agit d'un exercice de style très réussi et fort distrayant. Alors que les romans actuels se classent sagement dans des catégories et veillent à ne pas mélanger les genres, Les Femmes n'aiment pas les hommes qui boivent déroge à la règle pour notre plus grand plaisir ! Ainsi, contrairement aux romans très réalistes qui finissent par nous ennuyer tant il rappelle notre quotidien, ce roman distille de la fantaisie et de l'aventure dans le quotidien banal d'un homme ordinaire. La critique est implicite et très amusante, car il est impossible de ne pas se reconnaître au moins une fois dans ce personnage tout à la fois menteur, manipulateur, d'une incroyable mauvaise foi et pourtant très innocent ! Ainsi, alors qu'il ne songe qu'à s'exercer à l'écriture afin d'améliorer sa qualité de travail, et encombre de ce fait l'appartement qu'il partage avec Clémence de détritus et autres immondices, Clémence qui travaille à temps plein lui demande très gentiment s'il veut bien avoir l'amabilité, de temps en temps, de faire le ménage : vexé et humilié, François s'enferme dans son bureau les larmes aux yeux. Quelques jours plus tard, il écrit : "Depuis son rétablissement psychologique et sa réinsertion dans le monde du travail, Clémence est devenue un potentat sans coeur et me réduit à un état de domestique esclave." Dans cette perception exagérée des faits apparaît en réalité l'humiliation vécue par François et son désir inconscient de se justifier à ses propres yeux en accusant Clémence. N'est-ce pas une réaction très humaine ? A ce sujet,
François Szabowski explique dans les réponses qu'il donne aux lecteurs que, "...bien qu'il soit un personnage de fiction, François Chabeuf pourrait exister. Peut-être pas sous cette forme si extrême. Mais ses mécanismes mentaux sont, je crois, très répandus, pour ne pas dire présents chez tous. Ce qui m'intéressait dans ce personnage, c'était de montrer la façon dont l'être humain se "reprogramme" en permanence par le langage. Comment, face aux événements qu'il traverse, subit, ou face à ses actes, il produit du langage pour rendre le réel supportable. Cela englobe autant le fait de se "justifier", de rejeter la faute sur l'autre - ou ce qu'on appelle communément la "mauvaise foi" - que la "sagesse". Dire, par exemple, après une séparation, que l'autre est un ****, ou que "de toute façon nous n'étions pas faits pour être ensemble", sont à mon sens deux manières de nous reprogrammer par le langage, pour nous aider à vivre cette situation. Je pense que nous le faisons, à des degrés divers, consciemment ou inconsciemment, plus ou moins en permanence."
Les Femmes n'aiment pas les hommes qui boivent est donc un roman aux multiples facettes et de plus, très bien écrit. L'écriture de
François Szabowski, qui devient par le choix narratif de ce dernier l'écriture du personnage principal, est très étudiée et participe pleinement à la construction de celui-ci. Par exemple, le vocabulaire soutenu et parfois désuet s'accorde parfaitement avec le caractère pudibond et moralisateur de ce personnage qui se pense intègre. Par ailleurs, l'ensemble du texte est très fluide et malgré la complexité du personnage, le récit n'est jamais confus mais au contraire pleinement maîtrisé. Si vous n'êtes pas encore convaincu de l'intérêt de lire ce roman, sachez que l'intervention d'un chat dénommé Roger donne au récit une force désopilante irrésistible !
Je vous recommande donc vivement la lecture de ce très bon roman-feuilleton, à la fois ludique et très sérieux, qui permet de se divertir joyeusement grâce à une histoire originale ainsi qu'une écriture de qualité. Je remercie par ailleurs les éditions Aux Forges de Vulcain de prendre le risque de publier des ouvrages innovateurs et des écrivains peu connus, ainsi que de s'attacher à doter la littérature française de plus d'imagination et de liberté.
En juin 2013 sortira le second volume des aventures de François Chabeuf, intitulé Il n'y a pas de sparadraps pour les blessures de coeur. Hâtez-vous donc de lire Les Femmes n'aiment pas les hommes qui boivent afin de ne pas manquer ce second rendez-vous très prometteur si l'on en juge d'après l'enthousiasme de
David Meulemans, directeur des éditions Aux Forges de Vulcain !
Je vous invite à retrouver sur mon site internet l'intégralité de cette chronique ainsi que quelques extraits de ce roman !
Je remercie sincèrement l'équipe de Libfly ainsi que les éditions Aux Forges de Vulcain pour cette nouvelle édition de l'opération "Un éditeur se livre", grâce à laquelle j'ai pu découvrir une interview très enrichissante de
David Meulemans et qui me permet, ainsi qu'à cinq autres lecteurs, de découvrir une sélection de leurs ouvrages.
Lien :
http://reverieslitteraires.fr/