La première partie de ce roman historique raconte la rivalité haineuse entre les familles Araujo (de grands propriétaires terriens blancs) et Maciel (des métis) dans le Ceará (Nord-Est du Brésil), à la fin du XIXe siècle. Pris au piège, les Maciel sont décimés ; ne survivent, presque miraculeusement, que le jeune Antonio et son oncle, Miguel Carlos.
Très tôt, Antonio se montre d'une étrange passivité : c'est un mystique, un contemplatif, seulement capable de lire un bréviaire et de prier. Ayant entendu parler d’un pèlerinage célèbre, Antonio décide d’y participer et se rend à Monte Santo, où il écoute avec ferveur le prêche de Sylvio Silveira. Cependant son oncle Miguel le force à se marier à Paulina, la fille d’un ami, riche propriétaire. Mais Antonio n’aime pas la compagnie des femmes, qui le distraient de ses dévotions. Les Maciel sont contraints de fuir la grande sécheresse ; ils se retrouvent à Bahia, où Paulina, surprise avec un amant, est assassinée par Miguel. Accusé, Antonio est emprisonné et refuse que Miguel le fasse évader.
Après son incarcération, Antonio devient prédicateur : il se prend pour l’envoyé de saint Sébastien. L’ascendant de ce mystique sur le peuple lui vaut de plus en plus de ralliements, et, dans la seconde partie, il est devenu le « Conseiller » (Conselheiro). Toutefois, l’état-major dont il s’entoure se compose de personnages peu recommandables, truands, anciens tueurs à gages, aventuriers… qui organisent des razzias dans les villages où ils passent, sous prétexte de nourrir la communauté des fidèles.
Finalement, ils décident de s’installer dans le hameau de Canudos et de le transformer en une ville sainte. De nouveaux arrivants la font rapidement croître. La toute nouvelle République brésilienne décide alors de mater les rebelles, mais, face aux adeptes fanatisés du « mage », deux expéditions sont anéanties, tant se révèle audacieuse la tactique du métis Pajehu, une âme damnée, sous-officier déserteur ayant rejoint Antonio après le meurtre d’un supérieur. Y mettant les moyens, la République enverra une troisième expédition : les habitants de Canudos seront massacrés jusqu’au dernier, alors qu’entre-temps Antonio meurt de dysenterie.
C’est un roman d’aventures haletant, âpre et cruel, sans aucun temps mort, salué lors de sa parution (1952) par la critique française, et qui, je dois le dire, m’a captivé.
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Il était terriblement maladroit pour châtrer les veaux, mais il pouvait réciter, de mémoire, tout le Gloria in excelsis Deo en latin. Il aimait le latin : il ne le comprenait pas, mais il avait l'impression que cette langue étrangère lui ouvrait des horizons dans le Royaume de Dieu. Il avait le sentiment que c'était la véritable langue de la divinité. Pouvait-on concevoir que Dieu pût parler une autre langue que le latin ? Il ne parlait certainement pas le portugais. Antonio s'acharnait à apprendre des psaumes latins dans l'espoir que cela lui ouvrirait plus facilement les portes du paradis. Comment aurait-il pu s'occuper de ces taureaux, de ces vaches, de ces cannes à sucre, de ce coton ou de ce manioc alors qu'il se sentait attiré irrésistiblement par le mystère du monde ? Il aurait voulu ne plus manger, ni boire pour se livrer à la contemplation intégrale. Toutes les terres arides ont produit des êtres de ce genre-là. Les prophètes de l'Islam étaient des émanations des sables du désert. Les régions fertiles produisent les poètes de l'amour, mais le désert est philosophique. Dans les zones d'abondance, on a le culte de la vie : dans les zones arides, on se demande pourquoi on vit.