Aujourd'hui, nous partons à Amsterdam dans les années 1990 à la rencontre de Tanja, narratrice de ce roman, originaire d'ex-Yougoslavie, professeure de langues slaves. Avec son mari Goran, elle a fui la guerre ayant déchiré son pays, est arrivée en Allemagne où ils se sont séparés, Goran ayant la possibilité d'aller enseigner au Japon, Tanja refusant de partir. Dans la capitale néerlandaise, Tanja enseigne à sa manière sa langue, désormais scindée en de nouvelles langues qui se ressemblent beaucoup. Ses élèves, pour la plupart arrivés également de ce pays éclaté, sont, comme elle, traumatisés par ce qu'ils ont vécu, et elle tente dès lors de travailler avec eux sur les souvenirs…
C'est un roman sombre, à l'ambiance lourde et pesante, que j'ai terminé là, qui parle d'exilés, qui pour la plupart n'ont pas encore atteint la résilience. Ces personnages, qui ne se sentent plus de là-bas lorsqu'ils y retournent, comme le fait Tanja lorsqu'elle va rendre visite à sa mère, mais pas Néerlandais non plus… ces personnages semblent partir, chacun à sa manière, à la dérive. Certains s'enfoncent dans un cynisme profond, d'autres semblent vouloir reproduire à l'extérieur les déchirures vécues au pays, les ressentis sont anesthésiés, ou l'existence, lorsqu'il s'avère insupportable d'avoir un père qui passe devant le TPI…
La fin elle-même est sombre,
Dubravka Ugresic digressant pendant un chapitre sur le peuple de l'est, d'une plume belle et désabusée, désespérée, même, parfois. Les traumatismes vécus, s'ils ne sont pas spécialement nommés, imprègnent chaque page de sang et de noirceur. Tanja et ses compatriotes sont en perte de repères, et nous assistons, sans possibilité d'intervenir, aux choix qu'ils posent pour survivre.
Ce roman résonne de manière très particulière alors que la guerre, à nouveau, fait des ravages près de chez nous… et que ce sont désormais d'autres réfugiés qui doivent vivre ce que
Dubravka Ugresic, elle-même professeur de littérature, et qui vit également aux Pays-Bas depuis 1993, écrit si bien. Je ne dirais pas qu'il s'agit d'un coup de coeur, mais d'un coup au coeur, parce que là où le quotidien nous sert à ne pas trop penser à ce qui se déroule actuellement pas très loin, l'auteure nous remet face à l'horreur de la guerre et à ses conséquences pour les humains qui la subissent.