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Valérie Gay-Aksoy (Traducteur)
EAN : 9782070786596
672 pages
Gallimard (24/03/2011)
3.91/5   334 notes
Résumé :

Nous sommes en 1975. Kemal, un jeune homme d’une trentaine d’années s’apprête à épouser Sibel, issue comme lui de la bonne bourgeoisie stanbouliote, quand il rencontre Füsun, une parente éloignée, vendeuse dans une boutique de luxe.

Il tombe amoureux de la jeune fille. Sous prétexte de lui donner des cours de mathématiques, Kemal retrouve Füsun tous les jours dans l’appartement vide de sa mère, tout en poursuivant sa liaison avec Sibel. <... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (64) Voir plus Ajouter une critique
3,91

sur 334 notes
« La vie c'est du théâtre et des souvenirs
Et nous sommes opiniâtres à ne pas mourir », nous dit Alain Souchon dans sa chanson Rive gauche. Eh bien, c'est un peu le discours auquel nous convie également Orhan Pamuk dans le Musée de l'Innocence, mais pas uniquement.

Car, le Musée de l'Innocence, c'est bien sûr un roman mais c'est aussi et surtout un musée, créé par Orhan Pamuk à Istanbul — l'un étant intimement lié à l'autre. (Vous trouverez d'ailleurs un billet d'entrée pour le musée dans le livre.) Il est évidemment possible de visiter le musée sans lire le roman et de lire le roman sans visiter le musée, mais, en tant que projet culturel combiné, faire les deux présente à mes yeux un intérêt.

Et si, décidément, vous n'avez ni le temps, ni l'argent, ni le passe sanitaire, ni l'envie d'aller vous perdre dans les ruelles stambouliotes pour avoir un aperçu des objets que l'on rencontre dans ce musée et qu'en plus, vous n'aimez pas Erdoğan, eh bien, rassurez-vous, il vous reste la possibilité — très confortable mais nécessairement parcellaire — de vous reporter au livre L'Innocence des Objets publié par Gallimard et qui présente bon nombre d'entre-eux en suivant l'ordre des chapitres du roman.

Fin de la parenthèse concernant le musée et les objets, concentrons-nous maintenant sur le roman. L'auteur, par l'entremise d'une histoire d'amour un peu particulière, entend nous peindre, nous dépeindre, nous ressusciter un monde disparu : celui de l'Istanbul doré des années 1970-80. Ça a beau être un Istanbul récent, ça n'en est pas moins un Istanbul disparu : la ville n'est plus du tout comme ça à l'heure actuelle et même si l'on reconnaît les murs, la vie qui se déroule en leur sein a radicalement changé.

Chaque être humain, au cours de son vieillissement a l'occasion d'expérimenter cette transition douce, paisible, peu perceptible au départ et de plus en plus au fil des années qui fait que, peu à peu, ce que l'on a connu jeune n'existe plus que dans notre tête, avec les aléas de mémoire déformante qui s'y attachent.

Quiconque retourne sur les lieux de son enfance ne retrouve que des vestiges ; les personnes, les habitus, les préoccupations, les objets ont changé. Était-ce mieux, était-ce moins bien ? c'est à l'appréciation de chacun mais en tous les cas, c'était différent.

Et, au travers de ce roman, Orhan Pamuk nous invite à réfléchir à ce qui rendait vivant cet avant : les objets que nous côtoyions, les images et les sons que nous percevions, l'idiosyncrasie des personnes avec lesquelles nous vivions, etc.

Je suis d'un naturel nostalgique et j'aime les objets ; je m'attache à eux comme à de vieux compagnons, des amis presque, auxquels il m'est toujours douloureux de dire au revoir à jamais. Si vous saviez comme je suis triste à chaque fois que je dois abandonner un vieux stylo bic que j'ai siphonné jusqu'aux ultimes tréfonds, le brise-coeur de devoir me séparer d'un vêtement totalement élimé ou d'une voiture pétaradante définitivement hors d'usage. C'est un peu pour moi comme perdre un chien, c'est dix ans ou plus de votre vie qui s'évaporent d'un coup, dix ans de souvenirs bons ou mauvais qui nous constituaient, un lambeau de nous-même qui se détache, une petite mort avant la grande…

Donc, pour nous faire revivre " son " Istanbul, celui des jeunes bobos des années 1975-85, Orhan Pamuk utilise le subterfuge très malin d'une histoire d'amour qui peine à se concrétiser complètement, faite de longs, longs, longs atermoiements, faite d'impatiences et de frustrations, faite de minuscules instants du quotidien, rejoignant la vision aristotélicienne du temps comme un collier d'instants accolés les uns aux autres.

C'est donc l'histoire de Kemal, un riche héritier d'industriel, la bonne bourgeoisie stambouliote — vous voyez le genre —, promis à Sibel, une belle, bonne et brave fille du même milieu social. Les préparatifs de leurs fiançailles vont bon train : cela se fera en grandes pompes à l'hôtel Hilton. Il y aura un monde fou, le tout-Istanbul, et on n'y lésinera sur rien.

Kemal/Sibel, Sibel/Kemal, ces deux-là forment un beau couple, ils sont honnêtes et droits, beaux, cultivés, intelligents, richement dotés ; ils seront heureux ça ne fait aucun doute… à moins que… à moins que…

À moins qu'au détour d'une simple petite boutique, tandis qu'ils se baladent bras dessus, bras dessous, Sibel n'ait un coup de coeur pour un sac à main. À n'en pas douter, Kemal, en adorable prince charmant, se fera un devoir autant qu'un plaisir d'aller le lui acheter. Ce faisant, dans la boutique, il reconnaîtra la petite vendeuse pour être une cousine éloignée à lui, Füsun.

Füsun, dans sa tête, c'était encore une gamine, elle l'avait suivi quelquefois quand il était tout jeune homme. Quel âge pouvait-elle avoir à l'époque ? huit ans, dix ans peut-être ? Mais aujourd'hui, elle en a 18, et elle resplendit de beauté. Kemal en a la tête qui tourne. Quelle beauté ! bon sang, quelle beauté !

Sibel n'a rien remarqué et puis, en plus, ce n'est qu'une vulgaire contrefaçon ce sac : rien d'intéressant, donc, dans cette boutique… Dois-je vous apprendre pourtant que Kemal y retournera souvent à la boutique ? Dois-je vous apprendre qu'entre Kemal et Sibel, Füsun, la jolie petite vendeuse, s'est interposée ? Dois-je vous apprendre que dans le cadre des études qu'elle poursuit, Füsun a besoin de travailler ses maths ? Dois-je vous apprendre qui se proposera de lui donner des cours ? Dois-je vous apprendre ce que vont faire chaque jour Kemal et Füsun sur le vieux lit de l'immeuble Merhamet ?

C'est torride, c'est intense, c'est fulgurant ! Rien n'y résiste ! Et les fiançailles ?? Fiançaïe, aïe, aïe ! Elles ont pourtant lieu… Sibel ne se rend toujours compte de rien mais pour Kemal, le mécanisme de l'amour est cassé. Et puis, dès le lendemain des fiançailles — et fiançailles oblige — Füsun se volatilise. Et Kemal ? Et Kemal ! Et quel mal ! Oh que ça fait mal au coeur ces choses-là !

En être réduit à récolter les miettes d'un amour qui ne peut se faire : telle petite cuiller que Füsun aura mise dans sa bouche, telle boucle d'oreille qu'elle aura laissé tomber par inadvertance, tel mini, micro bout de ceci, parfum de cela, telle infinitésimale parcelle d'elle que Kemal arrive à collecter et qu'il vénère comme une relique.

Pièce par pièce, écaille par écaille, Kemal espère reconstituer les ailes de ce magnifique papillon qu'est Füsun en son coeur. On commence à s'inquiéter dans son entourage, et Sibel la première, car elle se rend compte à présent qu'on le lui a changé, son Kemal. Qu'a-t-il donc ? Quelle maladie ?

Et pour nous, les lecteurs, pièce à pièce, écaille par écaille, c'est tout un portrait fétichiste de l'Istanbul des années 1975-1985 qui se dessine petit à petit sous nos yeux. Les minuscules objets du quotidien, les boissons, les affiches de film, les coups de corne de brume des bateaux sur le Bosphore, les gamins des rues, les râpes à coing, les bibelots de chien posés sur la télé, les mégots de cigarette qu'on fumait alors et mille et un, mille et deux autres marqueurs du temps de ceux qui le vécurent à cet endroit-là.

Bref, pour moi, une belle expérience littéraire. Pas un coup de coeur absolu en raison principalement d'une facilité de scénario concernant Füsun vers la fin (et que je ne vous révèle pas pour ne pas tout vous gâcher, oui, j'ai encore quelques principes…) qui, selon moi, est dommage eu égard à la qualité et à la bonne tenue du reste et aussi, en raison d'un artifice narratif pas essentiel, selon moi, et qui consiste pour l'auteur à se mettre nominalement en scène dans le roman.

Mais pour le reste, je trouve ça drôlement bien vu d'avoir créé des personnages dont on suit avec intérêt les évolutions et auxquels on s'attache nécessairement, pour nous faire passer la pilule de ce qui est le véritable objectif, la motivation première de l'auteur : nous parler des objets (Zola avait déjà fait le coup dans Au Bonheur des dames), nous parler de cet Istanbul mort et enterré et que ce Musée de l'Innocence (tant le livre que le musée) essaie d'exhumer. Mais, de tout cela comme du reste, c'est à vous d'en juger, à présent, si le coeur vous en dit car ce n'est là qu'un innocent avis qu'on affichera jamais dans un musée, autant dire, pas grand-chose.
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Innocent, 'Le musée de l'innocence' ne l'est certainement pas ! Car ce n'est pas une jolie histoire de couple ou même une passion flamboyante qu'il raconte, mais bien une obsession amoureuse torturée et vaguement malsaine... Une obsession plutôt effrayante donc, et pourtant tout à fait passionnante à lire pour moi tant elle était juste et décrite avec talent !

Cette obsession, c'est celle de Kemal, un golden boy d'Istanbul à qui tout réussit, pour Füsun, sa cousine éloignée, jeune, séduisante et pauvre. Une obsession qu'il appelle bien entendu grand amour romantique, mais qui le conduit progressivement à renoncer à tout ce qui faisait sa vie et son bien-être, pour se consacrer à l'attente de sa belle, au chapardage maniaque des objets qu'elle a touchés et aux soirées TV avec ses parents... Tout ça pendant des années...

Je n'ai pas l'impression de spoiler en écrivant ça, car l'intrigue pourrait se résumer en 20 phrases (sans exagérer) mais ne dirait pourtant rien de l'intérêt de ce pavé de plus de 800 pages. Ce roman est simplement magnifique parce qu'on s'y reconnaît par moments, parce qu'il rend les moments de latence et de lenteur par des chapitres entiers où il ne se passe rien et qui ne sont pourtant pas ennuyeux, parce qu'il décrit si bien la dégringolade de Kemal qu'on a envie d'intervenir dans le livre pour qu'il arrête son délire, parce qu'il contient des phrases merveilleuses de lucidité, parce qu'il nous fait rêver avec Istanbul, le Bosphore et les bons plats turcs... Bref, j'ai été emportée et bluffée et enchantée et plus encore...

Livre compte triple : Challenge Nobel, Challenge Pavés, Challenge ABC.
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C'est avec un grand enthousiasme et impatience que je me suis lancée, il y a quelques semaines, dans ce roman d'amour que m'avait vanté une amie turque. Il faut dire aussi que l'histoire autour du livre est édifiante! L'écrivain Orhan Pamuk, nobélisé, a ouvert à Istanbul un musée - qui a obtenu le Prix du musée européen de l'année 2014 - dans lequel il s'est attaché à disposer de manière percutante des objets glanés autour de lui, certains lui ayant appartenu, formant un hommage à une femme imaginaire.
En parallèle, il a écrit le roman du musée, bien que les deux soient indépendants. Sur presque 700 pages, l 'auteur prend la voix de Kemal, jeune homme turc de la haute société, qui à l'approche de ses fiançailles avec une jeune femme charmante, tombe amoureux fou de Füsun, une cousine éloignée, jeune, belle et libre dans un pays encore très attaché aux traditions. C'est à elle que des années plus tard sera dédié le musée.
Cet amour, qui pour moi s'apparente bien plus à du désir charnel ou même du fantasme, va transformer le cours de sa vie, le poussant à rompre des fiançailles prometteuses et à errer pendant des années à la suite d'une jeune femme devenue inaccessible.
Les premières pages m'ont enthousiasmée, avec la découverte d'Istanbul dans les années 70 et l'influence européenne exercée sur la haute société stambouliote. Mais très vite le personnage de Kemal, qui pour moi, je le répète prend pour de l'amour une obsession physique, m'a agacée par son immaturité et son égocentrisme, surtout sur 600 pages qui tournent pas mal en rond.
Les cent dernières abordent de front le principe des musées d'hommage, une partie intéressante du roman mais trop tard, je n'avais plus l'envie de me concentrer.

Je suis d'autant plus critique que le roman était prometteur par le milieu et le pays qu'il évoquait et cette histoire d'un amour inconditionnel dans lequel j'étais impatiente de me plonger, mais finalement aucun des personnages ne m'a convaincue sur la durée bien que je veuille accepter que de telles passions puissent exister. Trop d'apitoiements et d'obsession, bref c'est une rencontre ratée.
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Sur quelque 660 pages, un narrateur masculin à la première personne conte son obsession amoureuse. Personnage veule, conformiste, porté sur la boisson, s'accommodant aisément à la duplicité et à l'infidélité - peut-être plus encore que ne le consentirait le machisme turc des années 70-80 -, il possède en surcroît, pour nous déplaire, tous les attributs de l'appartenance à la haute bourgeoisie stambouliote, nouvellement industrielle à l'époque - à laquelle, soit dit en passant, Orhan Pamuk appartient lui-même, sans s'en cacher, ce qui lui vaut de très nombreuses antipathies.
L'histoire d'amour est simple et triste, la quatrième de couverture en fait état jusqu'à la suppression de tout suspense ou presque. Mais voilà, comme dans le Livre noir, La Vie nouvelle - et sans doute La Maison du silence, Cevdet Bey et ses enfants, Neige et Istanbul (que je n'ai pas encore lus) - bref, comme dans les romans non-historiques de l'auteur, l'univers de la toile de fond constitue le personnage principal du récit. Et celui-ci se dégage autant qu'il est représenté emblématiquement par les menus objets du quotidien des protagonistes, par des détails infimes tirés des journaux de leur époque, des affiches cinématographiques et publicitaires, par l'évocation des habitudes, modes, manies et autres manières de sociabilité. de même, la sempiternelle question de l'ambivalence turque entre son identité européenne et anatolienne, entre modernité et tradition, entre laïcité et islam - ce n'en est qu'une, sous de multiples traits..., et c'est bien une question d'auto-perception - transpire de ces vétilles érigées en emblèmes.
Mais en cela ce roman est essentiellement supérieur aux précédents. En effet, d'emblée et tout au long de la narration, il est énoncé qu'une ribambelle d'objets matériels (ainsi que certaines images), c'est-à-dire tous ceux qui ont appartenu à son aimée ou qui sont à même de la lui évoquer, le narrateur les subtilise, les collectionne, les fétichise comme des succédanés du dénouement impossible de sa passion, et il s'avère bientôt qu'il va en faire un musée : cela fait partie de son obsession amoureuse, et, narrativement, il s'agit d'un élément fondamental de la fabula.
À la p. 650 de l'édition française, apparaît un « Bon pour une entrée au Musée de l'Innocence ». J'avait été informé de son inauguration, quelques années après la parution du roman. Aussi, mon livre à la main et suivant le plan de quartier qui apparaît à la dernière page (un quartier qui me fut familier à moi aussi, il y a longtemps), me suis-je présenté à l'adresse indiquée affichant le sourire incrédule de celui à qui on ne fait pas croire que le guichetier acceptera son passe-droit en langue étrangère et sur un livre emprunté à une bibliothèque… (que les futurs lecteurs de ma ville me pardonnent mon usurpation !).
Tout était là, la boucle d'oreille, la pendule, la cage de Citron, la vidéo de la pub du soda Meltem (où l'Allemande Inge dit : « Vous le méritez bien ! »), le compteur de la Chevrolet 1956, jusques et y compris les 4.213 mégots marqués de l'empreinte d'un rouge à lèvres, dûment épinglés sur un mur entier comme les lépidoptères d'un muséum, datés et accompagnés d'une didascalie notant un mot ou une situation congrus. Pour la première fois et sans doute l'unique, je me suis trouvé immergé dans la matérialisation d'un univers romanesque, et je peux dire que ce complément d'expérience de lecture a jeté un jour totalement neuf et original sur celle-ci. En effet quelques instants ont suffi à me persuader qu'être là n'était que continuer à lire autrement ; il était aisé, même sans la transition des derniers chapitres du roman qui parlent de la constitution du musée et de la rédaction du livre (une mise en abîme avec l'introduction de l'Auteur succédant au Narrateur), de ressentir toute la force de la dialectique entre objet littéraire et objets matériels.
Cela m'a permis de vivre concrètement la problématique du réalisme, voire de la poétique de Pamuk. Au prix, bien entendu, d'un questionnement très concret sur la réalité de la réalité. Qu'est-ce qui est fiction et qu'est-ce qui est métafiction ? Que devient un personnage fictionnel dont on voit le permis de conduire dûment rempli à l'encre et tamponné (ce ne peut être un faux, ou alors il s'agirait d'une falsification d'une complexité machiavélique…) ? Que devient-il quand on peut en voir de véritables photos, même sur un journal d'époque ? Qu'advient-il lorsqu'on évolue dans ce qui est supposé être la maison de la famille de l'héroïne ? le roman devient-il une biographie ?
Plus au-delà : si le personnage principal, comme je l'affirme, c'est l'univers de la toile de fond du roman, dans un temps, un lieu et une civilisation, comment la représentation muséologique – une petite boîte-iconothèque par chapitre du livre, intitulée et numérotée de 1 à 80, sur trois étages –, laquelle est, bien entendu, toujours, une représentation emblématique d'idées (par des objets et images), s'articule-t-elle avec la représentation narrative ? Où se situe le réel dans tout cela ? Réponse dans la dernière salle d'exposition, sur le mur qui fait face au prétendu lit du Narrateur : l'encadrement de nombreuses pages manuscrites de notes préparatoires du roman ainsi que son incipit bourré de ratures… pages d'écriture…

PS (pour mémoire et mon propre usage):

"En Europe, les riches font poliment mine de ne pas l'être... C'est cela, la civilisation selon moi, ce n'est pas tant la liberté et l'égalité de tous les individus que la capacité de chacun à se comporter envers les autres comme s'ils étaient libres et égaux. du coup, plus personne n'a besoin de se culpabiliser." (p. 285)

"L'amour est une chose impossible dans un pays où hommes et femmes ne peuvent se côtoyer, se fréquenter et discuter ensemble, assena-t-elle. Et tu sais pourquoi ? Parce que dès qu'une femme s'intéresse à eux, les hommes lui sautent dessus comme des bêtes affamées, sans faire de détail. C'est ancré dans leurs habitudes ; ensuite, ils prennent cela pour de l'amour." (p. 569)
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Au moment de refermer un livre, surtout s'il est d'une certaine dimension, les sentiments peuvent être mélangés. Ce fut mon cas au moment d'achever la lecture du Musée de l'innocence. J'ai en effet trouvé toute une partie de ce livre longue et complaisante. Et puis quand on finit un livre on est disponible pour d'autres découvertes.
Mais il reste ensuite une nostalgie d'avoir laissé les personnages avec lesquels on a passé un long moment: Kamel et Füsun, Tante Nesibe et Tarik Bey, Feridun, Zaim, Sibel, Mehmet et Nurcihan et tous les autres.
Ce qui m'a le moins touché dans le Musée de l'innocence, c'est le fétichisme des objets. C'est sûr qu'ils véhiculent nos souvenirs et nos émotions. Mais de là à ce qu'ils prennent le pas sur la vie et consolent de l'absence... Je dirais même plutôt que c'est l'inverse, qu'ils attisent la douleur, en empêchant l'oubli, une idée que l'on trouve aussi dans le Musée de l'innocence: le narrateur se complaît dans son désir malheureux.
En revanche, là où Pamuk excelle, c'est dans l'évocation d'Istanbul et la peinture d'une société hésitant entre tradition et modernité, comme la ville est partagée entre Orient et Occident. Les jeunes femmes veulent être modernes, mais la virginité avant le mariage est toujours une valeur. Les cinéastes veulent faire des "films d'art" à l'européenne, mais retombent immanquablement dans les romances dégoulinantes du cinéma turc conventionnel. le permis de conduire est une marque d'émancipation, pour les femmes notamment, mais il est très difficile de l'obtenir sans graisser la patte à l'examinateur. Et qu'est-ce qu'on picole! et on grille cigarette sur cigarette! Il faut dire qu'on est dans les années 1970 et 1980.
Un personnage supplémentaire et omniprésent est la ville elle-même, sa splendeur fanée, sa décrépitude, son expansion, sa modernisation (le Hilton!), sa nostalgie, son histoire, et la fascination qu'elle exerce. Et en effet, c'est une des villes les plus fascinantes qui soient et cela tient sans doute surtout au Bosphore, et à la circulation maritime: tankers, bâtiments militaires, barques de pêche, vapurs.
Et l'auteur sait inscrire dans tout cela une histoire d'amour, somme toute assez classique, malheureuse évidemment. Mais un amour véritable peut-il être tout-à-fait malheureux? En tout cas il transgresse les règles sociales, aussi bien les règles traditionnelles que celles de la modernité.
Et finalement le livre s'accapare le charme puissant de tous ces éléments. Et le charme perdure, y compris dans l'écriture de cette critique.
Ultime facétie, l'auteur brouille les pistes sur la différence entre le narrateur et lui-même. Orhan Bey apparait fugacement dans le récit et finit par prendre le relais de la narration après Kemal. Et l'historicité de l'histoire prend un autre relief. Car le Musée d' l'innocence existe bel et bien à çukurcuma, quartier d'Istanbul.
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critiques presse (1)
LaPresse
14 juin 2011
Orhan Pamuk tente un coup difficile et réussit admirablement. D'avoir lancé son roman par une explosion de passion et ensuite de passer des centaines de pages dans le deuil de l'amour, dans l'attente [...] tout en gardant le rythme du livre, c'est tout un exploit.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Citations et extraits (55) Voir plus Ajouter une citation
La vie semblait s'être éloignée de moi, comme si la vigueur et les couleurs que je lui connaissais jusque-là s'étaient étiolées [...] Je ne pouvais me défaire de l'impression que tout ce que je faisais durant les jours passés sans Füsun était vulgaire, banal et absurde ; j'éprouvais de la colère contre tout, contre tous ceux qui me ramenaient à cette médiocrité. Mais je conservais toujours intacte la conviction que je finirais par retrouver Füsun, par pouvoir lui parler et même la serrer dans mes bras. Ce qui me permettait de me lier tant bien que mal à l'existence mais prolongeait en même temps ma souffrance.
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Il ne fait aucun doute que le pouvoir des objets dépend autant des souvenirs qu'ils renferment que des caprices de notre mémoire et de notre imagination.

Chapitre 58 : Tombola.
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En réalité, nul ne sait lorsqu'il le vit qu'il s'agit là du moment le plus heureux de sa vie. Lors de grands moments d'allégresse, certains peuvent sans doute penser (et affirmer) en toute bonne foi que c'est "maintenant" qu'ils vivent ce moment en or de leur existence. Cependant, dans un coin de leur tête, ils croient qu'ils vivront encore un nouveau bonheur, plus grand, plus beau que celui-ci. Car de même que personne (notamment dans son jeune âge) ne pourrait poursuivre sa vie en pensant que dorénavant tout ira de mal en pis, quiconque ayant obtenu un bonheur assez grand pour se dire que c'était le moment le plus heureux de sa vie reste assez optimiste pour envisager un bel avenir.
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Mais sans la gaieté de l’enivrement que m’inspirait la beauté du matin, ce n’est que rarement que je pouvais sincèrement croire en ces rêves. La plupart du temps, je ne parvenais pas l’oublier et ce qui modelait ma souffrance amoureuse était non plus l’absence de Füsun mais le constat que cette douleur semblait ne jamais devoir prendre fin.
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Commençons par la grosse horloge murale à balancier de fabrication allemande, avec son élégante caisse en bois, sa porte vitrée et sa sonnerie sur gong. Suspendue tout près de la porte d'entrée, elle avait moins pour fonction de mesurer le temps que de faire sentir à toute la maisonnée la pérennité de la vie et du foyer, et de rappeler le monde "officiel" de l'extérieur. Comme le devoir de donner l'heure était assumé ces dernières années par la télévision, qui s'en acquittait de façon bien plus divertissante que la radio, cette pendule comme des centaines de milliers d'autres à travers la ville perdait de son importance.
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Videos de Orhan Pamuk (17) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Orhan Pamuk
Le nouveau roman "Les Nuits de la Peste" de l'écrivain turc Orhan Pamuk se présente comme le théâtre d'une grande fresque historique qui résonne avec l'actualité. La pandémie mondiale est venue donner une actualité poignante au roman qu'il écrivait depuis trois ans.
Son récit mêlant fiction et réalité raconte les ravages une épidémie de peste dans l'île fictive de Mingher en 1901, contrée de l'Empire Ottoman en déclin. Un livre à la croisée des chemins et des genres. Roman historique, roman d'amour et roman politique, ce livre vient interroger notre rapport à la fiction et au réel, l'imaginaire se mélangeant au réel, et le romanesque à l'historique. La véritable prouesse d'Orhan Pamuk consiste à jouer avec les codes de la fiction et à rendre la frontière poreuse entre l'histoire et la grande Histoire. Au milieu de ce drame humain et politique, l'amour est un refuge pour ceux qui se battent contre l'épidémie.
Orhan Pamuk nous livre une réflexion sur le pouvoir et la liberté, à l'heure où s'amorcent le délitement de l'Empire Ottoman et les conflits de succession entre sultans.
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