Le début du roman n'est pas sans rappeler " Mon secret rit tout le temps" de
Séverine Vidal, chez Kilowatt Éditions.
Un enfant observant un petit vieux sur un banc et curieux de savoir ce qu'il attend tous les jours.
Les enfants n'ont pas cet âge; celui de sortir promener le temps et de le laisser filer au parc devant eux, tandis que l'on s'offre au temps qu'il fait.
Eux, ces petits, s'y accrochent au temps et lui monte sur le dos en rodéo jusqu'à l'épuisement.
On comprend donc la curiosité devant ces étranges pratiques adultes insolites où l'on prend juste l'air, un "rien" qui leur semblent pour l'instant dénuer de sens.
Le petit bonhomme de l'histoire, Fonfon, va donc s'enquérir auprès du vieil homme assis tous les jours en face de chez lui pour savoir ce qu'il observe de son poste.
Dieu que les mômes sont curieux!
Le banc se trouve face à la mer, c'est un indice.
Mais encore?
Il y un navire, nous le voyons sur la 1ère de couverture.
Le vieil homme semblera curieusement nostalgique au point de vouloir confier à Fonfon l'histoire d'un bateau (le temps d'attendre l'arrivée de son bus évidement car un enfant n'a pas tout son temps).
L'histoire qu'il lui conte est particulière, il faudra adhérer.
On n'y parle de religions, de chevaliers croisés, de foi et de pratiques.
Le vieil homme parlera de la fameuse "croisade des enfants" du Moyen âge.
À l'identique des nobles chevaliers, épée de Dieu, de pauvres paysans partiront reconquérir Jérusalem sans intention guerrière.
Cela semble incroyable et presque fanatique vu aujourd'hui.
Il faudra se remettre dans le contexte très modeste des personnages, plus habités et guidés par la religion au quotidien.
Mais dans cette dispute "politique" des territoires n'allaient-ils pas y trouver la mort?
Quelques sources Wiki révéleront aussi qu'il n'y avait pas que des enfants dans ces cortèges de pauvres paysans.
Cela risquera peut-être de passer un peu au dessus de certaines jeunes têtes car si il est paradoxalement plus facile à ce jeune âge de lecteurs de cerner, hélas, que les hommes se fassent la guerre pour reconquérir des territoires symboliques de leur foi, il sera en revanche plus trouble d'imaginer plusieurs enfants quitter leur foyer et voguer vers la Jérusalem pour se la réapproprier avec des cantiques, des toges et des cierges.
Néanmoins, tentons d'imaginer l'événement, des centaines et centaines d'enfants marchant sur les chemins d'Europe et traversant les villes comme en pèlerinage.
Ces enfants n'avaient certainement jamais voyager et quitter leur maison, c'était une sacrée aventure que de s'imaginer prendre le bateau pour une terre où on ne parlera pas leur langue.
Où tout cela nous mènera t-il?
Quelle était l'intention de l'auteur en transmettant ce fait historique au jeune public?
Et pourquoi son vieil homme sur le banc est-il si ému?
Il racontera ce fait d'aventure comme si il y avait pris part, ce qui est impossible.
Une autre intrigue.
Du coup, on a envie de savoir et on plonge dans la lecture.
C'est le vieil homme qui rendra le récit captivant, donnant rendez-vous à l'enfant jour après jour à l'heure du passage d'un bateau tout en offrant une heure du feuilleton à épisode sur son banc.
Avec cette tactique de conteur ludique, l'auteur
Mario Vargas Llosa nous saisit aussi au passage et sans vraiment nous en rendre compte, nous commençons à prendre plaisir à passer d'un chapitre court à un autre, même si le sujet de départ nous posait un peu là.
Astucieux.
On avance et c'est une véritable tragédie, nous sommes finalement loin du conte attendu.
Que peut-il arriver à des enfants croisant sur les mers les tempêtes et les pirates, chers lecteurs?
La traversée devient surréaliste de dangers et nous embarque, nous chamboule complètement.
Nous laisserons avec l'auteur la réalité historique pour se laisser porter par une fiction plus fantastique et très touchante.
Qui l'eût cru?
Eux, me diriez-vous.
Et pourtant, il est certain qu'ils ne savaient pas ce qui les attendaient.
Surtout le vieil homme.
Au bout du compte, ce petit roman se montre étonnant, saisissant et chacun pourra y prendre des intérêts à différents niveaux de lecture.