Aujourd'hui c'est samedi et samedi, c'est... Les filgoudes à Berni !
La journée avait pourtant bien commencé par ce joli matin froid de janvier. La nuit avait déposé du givre au bord des fenêtres et je contemplais, ému, le paysage d'hiver dans sa lumière tremblotante. Les dernières étoiles apeurées s'éteignaient et déjà les premiers rayons d'un soleil pâle venaient chatouiller les branches engourdies des arbres. Mon coeur battait devant la beauté simple du monde.
Mais voilà, tout s'est gâté bien plus tard dans la journée, c'était presque le soir lorsque j'appris aux infos la nouvelle tragique qui venait de tomber :
Rachida Dati était nommée dans le nouveau gouvernement comme ministre de la Culture.
Rachida Dati à la Culture, c'est un peu comme si en d'autres temps
Jacques Mesrine avait été nommé à l'Intérieur... J'ai pensé à
André Malraux qui devait se retourner dans sa tombe, le pauvre !
De manière elliptique, passer d'
André Malraux à
Rachida Dati à la Culture, c'est un peu comme se lancer en saut à l'élastique dans le vide mais sans élastique. Cela dit, je me souvenais aussi avec gourmandise que
Rachida Dati était la reine des lapsus savoureux... On se console comme on peut...
Néanmoins, je reçus la nouvelle comme un choc terrible, effroyable. À la télé ils ont même montré le lendemain le nouveau gouvernement lors d'un conseil des ministres, chacun avait bien ses mains posées sur la table, près des dossiers, prêts à deviser sur l'humanité, - du moins notre humanité, et je me suis alors dit qu'ils n'étaient pas bien barrés, ou plutôt c'est nous qui étions bien mal barrés.
Passée la première sidération, j'étais prêt à noyer ma peine par n'importe quel acte irréfléchi, il me fallait une catharsis. J'avais bien sous la main un vieux Cognac de trente ans d'âge, mais en faire son sort c'était presque commettre un crime de lèse-majesté, comme donner de la confiture aux pourceaux. Et puis, il me fallait quelque chose de plus fort, de bien plus radical.
J'ai alors imaginé l'impensable : lire un filgoude. Un filgoude, oui mais la belle affaire, je n'en possédais pas un seul chez moi. Et me rendre auprès de mes chères libraires préférées, les Julie, je n'y pensais même pas un seul instant. D'ailleurs, il est à peu près sûr qu'elles n'en avaient aucun en magasin. Ma médiathèque préférée, me direz-vous ? Vous n'y pensez pas ? Dans une aussi petite commune, ça se saurait très vite, et sans doute dès le lendemain matin, autant déménager tout de suite.
Une idée géniale m'a alors traversé l'esprit comme si un bon petit génie venait de me la souffler dans l'oreille. « Berni, il y a bien des boîtes à livres dans ta commune, tu y trouveras sans doute ton bonheur. » Bon sang ! Mais c'est bien sûr ! Justement j'en connaissais une dans les parages, spécialisée dans ce genre de livres, je ne saurais dire pourquoi, on l'appelait même la boîte à neuneus.
Avec ma lampe frontale vissée sur le crâne, je m'engouffrai dans la froidure du soir qui venait. La nuit se posait sur la ville. Je courus jusqu'à la boîte à neuneus qui se trouvait dans un jardin public près d'une aire de jeux pour enfants, une dame à la silhouette imposante se tenait devant la caverne d'Ali Baba, fouillant de ses larges mains l'antre secrète. J'ai senti comme une intuition, un mauvais pressentiment. Je continuais de courir vers elle tout en m'égosillant : « Pas ça ! Non, pas ça ! »
Elle venait d'en extraire un livre lorsque j'arrivai à son niveau. Je parvins à lire le titre
Il est grand temps de rallumer les étoiles, de
Virginie Grimaldi. C'était justement ce livre qu'il me fallait à tous prix.
« Madame, vous ne pouvez pas prendre ce livre. Je vous en prie, laissez-le moi, c'est vital, je vous le rendrai demain, je serai votre obligé. »
Elle me regarda de haut en bas, d'un air dédaigneux, haussa les épaules et fit demi-tour en pivotant sur ses talons. J'étais comme possédé, je la rattrapai, j'essayai de lui arracher le livre précieux de ses doigts acérés, mais elle m'envoya son sac à main dans le visage tout en criant " bandit ! voyou ! voleur ! chenapan ! ", j'eus l'impression de faire un vol plané pour venir m'écraser dans le bac à sable du jardin d'enfants. Entre temps, l'ogresse avait disparu dans les ténèbres. C'est alors qu'un homme qui passait par là, surgi de la nuit et promenant son chien, vint à mon secours.
« Elle ne vous a pas loupé, dites, Monsieur ! Faut vraiment que ce bouquin soit important pour vous, hein ! » Il m'a aidé à me relever tandis que je passais mes mains sur mon visage, effleurant ma lèvre fendue, j'avais un goût de sang dans la bouche. Pendant que l'homme faisait le gué, - car la bougresse était capable de revenir à la charge, je me dirigeai vers la boîte à livres, c'était le moment de jauger sa réputation légendaire. Je ne fus pas déçu et me réjouis en extirpant d'un magma de livres totalement mélangés un autre de
Virginie Grimaldi au titre très évocateur sous le ciel breton :
le parfum du bonheur est plus fort sous la pluie. Ma consolation pouvait enfin commencer et la nuit aussi...
Ce roman c'est l'histoire d'une rupture. « Je ne t'aime plus ». Il aura suffi de cinq mots prononcés par Ben pour que l'univers de Pauline bascule. Après onze ans de bonheur conjugal et d'amour fou, viennent les pourquoi. Pourquoi ? Why ? Warum ? Por qué ? Pochemu ? Alors pour tenter de comprendre et d'y répondre, Pauline se réfugie dans le cocon familial durant les vacances estivales, espérant que Ben revienne.
Le sujet est grave, la rupture c'est souvent l'incompréhension, la chose qu'on ne voit pas venir, comme l'iceberg que rencontra le Titanic... Et comme on ne l'a pas vu venir, longtemps on était comme l'orchestre qui jouait tandis que le bateau coulait. C'est un séisme, c'est le monde qui s'ouvre en deux, c'est une sidération, c'est un manque brutal qui s'abat, un peu comme un samedi soir où l'on s'aperçoit qu'on n'a plus de chocolat à la maison et que les magasins sont fermés jusqu'à lundi.
Le sujet est grave, certains ne s'en remettent jamais, pour d'autres c'est l'événement qui les fera rebondir sur une nouvelle histoire plus belle encore...
Le sujet est grave et sans en minimiser la gravité, l'autrice le traite avec une sorte d'humour, - on va dire les choses comme cela, et une sorte de légèreté qui n'enlève rien à la sensibilité du récit.
Tout ceci est travaillé habilement, un peu comme une comédie américaine ou à l'américaine, par de savants dosages qui sont censés nous faire passer du rire aux larmes.
Je ne sais pas si tous les filgoudes fonctionnent comme cela, je voyais les pages défiler devant moi à une allure folle, mes yeux, mes mains laissaient faire. Un moment j'ai retourné le livre pour voir s'il n'y avait pas un petit mécanisme électrique derrière le dos du livre et qui tournait les pages. Mais non, c'était bien moi le seul responsable de tout cela et peut-être aussi l'écriture de
Virginie Grimaldi.
Effectivement, je vous avoue avoir trouvé l'écriture plate comme un trottoir de rue et les personnages lisses comme les plumes d'un cygne, ce qui est bien pratique au plus fort de la pluie.
La lecture de la seconde partie du roman me permet d'infléchir mon propos et même de doubler d'une demi-étoile mon ressenti. C'est un joli contrepoint bien imaginé, bien amené par l'autrice, dommage que l'écriture et le traitement des personnages aient continué d'assurer et même consolider les aspects qui m'avait fait bailler et tourner vite les pages lors de la première partie.
C'est une lecture agréable comme on boit un verre de grenadine entre deux verres de vin, comme on lit un livre léger et reposant entre deux lectures fortes.
On ne me reprochera plus de parler des livres de
Virginie Grimaldi sans les avoir lus. On me reprochera seulement d'avoir lu cette autrice une seule fois. Mais je reconnais qu'elle a son public, qui j'espère me pardonnera d'avoir commis ce petit billet sans prétention. Il en faut pour tous les goûts.
Vite, je profite de la nuit pour retourner avec ma lampe frontale et rendre mon dû au lieu fatidique.
Pourvu que je ne croise pas sur mon chemin la fameuse dame ! On ne sait jamais, nous serions capables de tomber amoureux l'un de l'autre !