NE PARLE PAS, NE DIS RIEN...
Ne parle pas, ne dis rien, il reste par terre les
morceaux de ma poupée en porcelaine et l’œil
de maman qui saigne. Tu ne sais plus quoi
faire. Pauvre petit frère. Tu me prends par la
main pour que je ne regarde pas. Tu
m’emportes sur la voie ferrée sous le pont où
certains ont écrit « Kroutchev assassin » ! Il
fait nuit et tu ne sais pas s’il sera possible de
rentrer. Dans la chambre le petit
recroquevillé dans son lit se fait tirer par une
voiture à pédale derrière le vélo de la
Ghislaine. Cette enfante perdue fait le cochon
pendu dans un square loin de la maison.
Attendre le moment pour renverser le petit
sur le gravier. Mais chaque fois c’est moi qui
tombe et qui n’arrive pas à me relever dans
les sous-sols du HLM pendant que « les
jeunes voyous » me tâtent les seins. J’ai beau
tirer derrière moi, le landau, le grand landau
avec toutes les poupées du monde à
l’intérieur, je n’ai pas encore accouché mon
petit frère, sinon, à demi, lors de soirées
courtes, espace de se caresser sans y prendre
garde. Mais lorsque tu poses ta tête contre la
mienne, petit, il y a des bruits que l’on
n’arrive pas à saisir. Ils remontent par les
tuyaux des sanitaires, j’entends l’eau qui
coule dans l’évier et les voisins qui crient.
extrait 2
Une fois les mots lus et retenus, je retourne à mon opacité.
Ne reste que journées flashes, limées par l’écriture. Entrez
dans cette fausse mémoire fabriquée d’odeurs, de relents
d’absence en voix diffuses sous forme de graffiti internes.
Ces enfances dont on ne revient pas, la banalité de l’autre
vie où les difficultés d’aujourd’hui se sont accrochées.
Obligée de se nourrir. Obligée de se laver. La viande
blanche. Un morceau dans le mauvais conduit. Tu me
regardes de travers, un instant tu viens de comprendre
que quelque chose ne tournait plus derrière mes yeux.
extrait 1
Il faut lyncher jusqu’aux dernières images et ne pas laisser
une seule bougie pour les anniversaires. J’ai eu des petites
années et ne m’en souviens pas, ce n’est plus le moment
de tamiser ce qui reste à vivre. Le crible : c’est jeter les mots
au papier blanc, sans jamais craindre de se laisser prendre
au visage.
Apprendre à se cacher, à se joindre seule sans un regard
entre les mots et soi.
Moi j'ai un quelque part qui veut s'échapper, dire avec la craie pour marquer, dire avec le corps, simplement pour vivre.
Là c'est moi aujourd'hui qui se veut encore petite fille et qui n'en ai plus le droit. Cette envie de vivre sans jamais réussir à vivre.