AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782856164075
220 pages
Presses de la Renaissance (01/02/1993)
5/5   1 notes
Résumé :
"Aurais-je pu me douter, à mon arrivée à Ouagadougou, qu'un bouleversement total de mes certitudes me jetterait dans une exploration à corps perdu des abîmes de la nature humaine ? Passionné de sciences exactes, mais porté par une légitime curiosité, je m'intéressais à l'époque aux techniques des guérisseurs de l'Afrique populaire. Puis j'ai rencontré Barkié, il m'a proposé de m'initier aux pouvoirs du Bangré, "l'Autre Vraie Connaissance", et mon univers a progressi... >Voir plus
Que lire après Le pouvoir du bangréVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Un document ethnographique un réel intérêt en anthropologie comparée.

Voici un document ethnographique précieux, devenu difficile à trouver, et dont on peut déplorer qu'il n'ait pas été réédité. Car il s'agit du récit de l'initiation vécue par l'auteur - un ethnologue occidental qui s'intéressait initialement aux médecines alternatives - à une tradition africaine du Burkina-Faso fort peu connue du grand public : le Bangré. le Bangré est en quelque sorte la tradition spirituelle propre à une certaine lignée de guérisseurs très réputés – des tradipraticiens – et de voyants. Et quand j'emploie le mot « voyant », ici, c'est avec une pensée pour l'oeuvre de Carlos Castaneda, que je médite de loin en loin depuis fort longtemps. Car Castaneda met en scène lui-même des « voyants » - concept qui semble avoir chez lui le même sens que chez Kabire Fidaali – et d'une manière générale, on trouve d'étranges similitudes entre le nagualisme – que certains missionnaires européens évoquaient déjà au XVIe siècle -et le Bangré.

Mon approche du témoignage de Kabire Fidaali ne peut donc s'empêcher d'être quelque peu comparative ici - j'espère que le lecteur me passera ce biais... Et ce pour une raison simple : là où le témoignage de Carlos Castaneda est devenu sujet à caution, l'authenticité de celui de Kabire Fidaali, en revanche, ne fait aucun doute : outre le fait que Barkié, l'initiateur de Kabire Fidaali, était un guérisseur très renommé et respecté dans cette région d'Afrique, l'ethnologue a ramené, à l'appui de son récit, nombre de documents (films, photographies, témoignages nominatifs et notes de terrain). On ne peut donc douter de l'existence de Barkié, ni de celle des personnes que Kabire Fidaali évoque. Et quand on connaît par ailleurs l'importance conférée à la parole au sein de cette culture africaine, ainsi que le respect que suscitait Barkié au sein de sa communauté, si l'auteur avait divagué à propos de son initiation et des différents acteurs impliqués, il n'aurait jamais pu remettre les pieds en Afrique !…

Même dans le cas où Carlos Castaneda aurait « tout inventé », la grande sophistication philosophique et métaphysique de ses propos, leur étonnante profondeur, qui sonne tellement juste, leur cohérence – un véritable morceau de bravoure ! , ainsi que le caractère d'étrangeté que cet enseignement présente pour un esprit occidental, rendent fort probable le fait que l'auteur se soit au minimum inspiré de traditions précoloniales réelles dont il aurait eu connaissance de part sa spécialité universitaire. Dans le pire des cas – au cas où il n'aurait pas vécu une véritable initiation lui-même , tout porte à croire que Castaneda a néanmoins « fait du faux avec du vrai », et que par conséquent, tout n'est pas à jeter dans ses livres – loin de là ! Outre le fait que les idées philosophiques possèdent une valeur intrinsèque, qui ne dépend pas de la crédibilité de leur auteur – prétendre que les idées elles-mêmes peuvent « mentir » n'aurait aucun sens !...-, le simple fait de retrouver des idées, des pratiques et des récits d'expérience similaires dans d'autres traditions ancestrales mieux établies de par le monde, invite à réfléchir plus sérieusement à la pertinence de la représentation du monde si « exotique » en apparence transmise par Carlos Castaneda

Or l'étude de Kabire Fidaali concernant le Bangré fait partie de ces documents étonnants qui portent à croire que les propos qui ont été mis dans la bouche de don Juan, l'initiateur de Carlos Castaneda, ne disent pas complètement n'importe quoi ! Et ceux qui connaissent de façon approfondie les récits de l'anthropologue si controversé percevront sans doute sans peine les similitudes entre certains concepts développés par don Juan et certains propos de Barkié que j'ai mis ici en citation. Cela ne signifie pas à mes yeux que Castaneda se soit inspiré – notamment – du Bangré – entendons-nous bien. le Bangré étant une tradition africaine très confidentielle, et Kabire Fidaali n'ayant écrit à son propos qu'en 1987, soit bien après Castaneda, c'est hautement improbable. Ma théorie est différente : ce qu'on appelle couramment « chamanisme » étant un ensemble de pratiques et de conceptions relativement homogènes et universelles de part le monde, et ce depuis la nuit des temps selon toute probabilité, en l'absence de toute possibilité de transmission directe de peuple à peuple – nombre d'entre eux n'ayant jamais eu le moindre contact entre eux – la seule chose qui peut expliquer de telles similitudes, c'est le fait que ces peuples disparates aient pu faire des expériences similaires et qu'ils aient ensuite raisonné à leur propos de façon similaire, sans se concerter… Faire du « chamanisme comparatif » - si on est suffisamment bienveillant pour me passer cette horrible expression – peut donc constituer une bonne méthode pour évaluer la pertinence de certaines idées et représentations. Car à côté de la sacro-sainte « objectivité scientifique », on peut raisonnablement accorder un certain crédit aussi à l'intersubjectivité, qui a l'avantage, pour sa part, de nous permettre de franchir certains abîmes que la science occidentale ne semble pas prête de franchir ! L'intersubjectivité peut nous permettre de continuer à avancer quand les exigences rigides de la science tendent plutôt à nous immobiliser.

Comme nombre d'hommes de connaissance – appartenant à sa lignée ou à des lignées apparentées – évoqués par don Juan, Barkié était un voyant et un guérisseur puissant, et néanmoins illettré. Kabire Fidaali nous dit en effet à son sujet : « Je suis incontestablement séduit par le fait qu'il puisse exister une véritable connaissance chez un illettré du tiers monde ; et je suis prêt à tout risquer pour arriver à l'établir. ».

Tout comme le nagualisme tel que pratiqué dans la lignée de don Juan, le Bangré est un savoir qui ne se transmet pas de père en fils : est initié celui que le Bangré – en tant que force métaphysique – désigne. NB : est appelé « Bangré » aussi bien la tradition elle-même que le pouvoir spirituel cosmique, similaire au nagual métaphysique, qui en est à l'origine. Cette coutume explique le fait que c'est Kabire Fidaali – un étranger – et non Amadou, le fils de Barkié, qui a été initié au Bangré par Barkié lui-même… Dans nombre de cultures, une telle « trahison » serait impensable ! Cela engendrerait des incidents diplomatiques majeurs. Mais dans cette région d'Afrique, les gens savent que le Bangré est une puissance dangereuse, qui ne peut pas être côtoyée par n'importe qui. Donc ils se plient avec une certaine souplesse aux indications oraculaires de celui-ci…

Tout comme dans le nagualisme, les initiés sont des « voyants » dans le sens précis qu'ils perçoivent et manipulent un certain type d'énergie. A moment donné, alors que Barkié réalise un soin sur un patient, il se met à manipuler « dans l'air » certaines réalités invisibles qui font beaucoup penser aux « filaments énergétiques » (les « émanations de l'Aigle) décrits par Castaneda.

Barkié définit le Bangré comme étant « la connaissance propre au non-être humain », de la même manière que don Juan définit le nagual comme étant la composante de notre être située par-delà tout formatage induit par la socialisation. le nagual, comme le Bangré, est une énergie qui semble correspondre à la part la plus originelle de notre être – et la plus sauvage, donc. Au point que dans « Le Second Anneau de pouvoir », on apprend que pour atteindre le nagual, il faut « laisser tomber la forme-humaine » - c'est à dire se libérer du formatage énergétique et psychologique qui fait de nous des êtres humains.

Notons que depuis l'origine, les naguals (en tant qu'initiés), en Amérique Latine, sont réputés pour posséder deux facultés distinctives principales : d'une part ce sont des voyants, d'autre part ce sont des individus capable de métamorphose (souvent en animal sauvage ou en phénomène atmosphérique). Ce n'est pas seulement Carlos Castaneda qui le prétend : on retrouve ce type de propos dans les plus anciens écrits coloniaux. Or il semble y avoir quelque chose de très similaire dans la tradition du Bangré africain – et même dans nombre traditions chamaniques de part le monde. le « chaman » - quel que soit son nom local – est le plus souvent un voyant et un métamorphe. Être chaman semble toujours impliquer l'aptitude à activer une forme de conscience et de perception qui ne sont plus humaines.

Barkié nous dit : «  le seul intérêt [du Bangré] est de permettre la vision. Celui qui a du Bangré ne s'appartient plus, il appartient à la nature. C'est pourquoi les autres entendent et ne comprennent pas, car le Bangré qui est en eux est endormi. (…) C'est pourquoi je dis d'eux qu'ils sont des êtres humains et que le Bangré en eux est modifié.». Les propos de Barkié sont certes plus elliptiques, donc moins faciles à interpréter pour un occidental que ceux du don Juan de Castaneda. Mais avec un peu d'attention, d'habitude, et en prenant le temps de la méditation, on est réellement frappé, tout du long, par les similitudes.

Il s'agit donc là d'un seul document ethnographique parmi des milliers d'autres qui, d'un point de vue comparatif, pourraient être tout aussi pertinents. Mais en faire la mention permet de dire en substance qu'il y a de nombreuses manières possibles d'évaluer la pertinence d'écrits aussi controversés que ceux de Carlos Castaneda : à côté de l'expérimentation personnelle et de l'analyse philosophique – de type critique –, il y a aussi l'approche anthropologique comparative qui est susceptible de fournir de bonnes indications. Même si Castaneda avait « menti », cela ne veut pas nécessairement dire que tout ce qu'il raconte est faux…

Merci Barkié.


Commenter  J’apprécie          00

Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Kabire Fidaali : Amadou (le fils de Barkié, n.d.l) est désormais mon élève : j'ai pour mission de lui apprendre le Bangré (!!!)
(...) Barkié nous ayant laissés, j'ai eu une longue discussion avec le fils qui m'a fait comprendre qu'il n'a jamais été l'apprenti de son père, contrairement à ce que j'avais imaginé. (...) J'assaile Amadou de questions :
"Tu m'avais bien dit que ton père te montrait tout ce qu'il faisait ?"
- (...) [Mon père] affirme que s'il essayait de m'apprendre, étant ce que je suis aujourd'hui, alors je mourrais sûrement ; car le Bangré est une chose trop dangereuse, et je ne suis pas actuellement capable de survivre à une telle connaissance. Mais il dit aussi que j'apprendrai un jour à être comme lui.
(...) Le vieux a prédit il y a longtemps que quelqu'un viendrait pour commencer à m'apprendre. Il a beaucoup travaillé pour que la personne parvienne sans encombre jusqu'ici. Il me demande d'être content que ce soit toi, car tu as beaucoup de Bangré et tu es comme lui."
Commenter  J’apprécie          00
Barkié explique qu'il existe deux types de connaissances, celle du Bangré où apparaît la "vision" comme acte de perception fondamental, et une autre qui permet de "travailler le fer et de fabriquer des avions". La vision représente le seul intérêt du Bangré, par ailleurs totalement inutile, voire dangereux pour les nécessités courantes de la vie des "êtres humains". Barkié distingue également les praticiens du Bangré, les Bangdba, du reste de l'humanité, en expliquant que le Bangré est la connaissance du "non-être humain". Enfin, il trace entre le Bangré et la "connaissance des êtres humains" une frontière qu'il désigne par "séparation". (p. 169)
Commenter  J’apprécie          00
Barkié : Le seul intérêt [du Bangré] est de permettre la vision. Celui qui a du Bangré ne s'appartient plus, il appartient à la nature. C'est pourquoi les autres entendent et ne comprennent pas, car le Bangré qui est en eux est endormi. Le peu qu'ils en voient est modifié, c'est pourquoi je dis qu'il ne faut pas croire au Bangré : ceux qui croient à la connaissance se trompent, ceux qui n'y croient pas se trompent aussi : ce sont leurs habitudes [= leurs conditionnements ; ndt] qui les trompent, ils manquent de sincérité. C'est pourquoi je dis d'eux qu'ils sont des êtres humains et que le Bangré qui est en eux est modifié.
Commenter  J’apprécie          00
Barkié : Quand on parle, il faut faire très attention car les mots disent la même chose que les habitudes des gens : ce qui n'est pas dans tes habitudes ne peut pas exister dans les mots que tu prononces. Quand tu écoutes quelqu'un, si ce qui est dans ses mots n'est pas présent en toi, tu ne peux pas comprendre. 
Commenter  J’apprécie          00
Barkié : Ce que je vois n'est pas quelque chose de compliqué qui existe dans le passé ou le futur ; c'est quelque chose qui n'existe que quand je le vois. Dans le Bangré, il n'existe ni présent ni futur ; quand tu vois, tu embrasses le temps. Pourtant, le Bangré permet de deviner le passé et de prévoir le futur.
Commenter  J’apprécie          00

Dans la catégorie : Remèdes populairesVoir plus
>Pharmacologie et thérapeutique>Thérapeutiques physiques et autres>Remèdes populaires (6)
autres livres classés : Ouagadougou (Burkina Faso)Voir plus

Lecteurs (8) Voir plus



Quiz Voir plus

Ecrivain et malade

Marcel Proust écrivit les derniers volumes de La Recherche dans une chambre obscurcie, tapissée de liège, au milieu des fumigations. Il souffrait

d'agoraphobie
de calculs dans le cosinus
d'asthme
de rhumatismes

10 questions
282 lecteurs ont répondu
Thèmes : maladie , écriture , santéCréer un quiz sur ce livre

{* *}