Livre reçu dans le cadre d'une masse critique Babelio
Le premier qui voit la mer, le titre évocateur renvoie aux souvenirs d'enfance, à la claque que l'on ressent en voyant la mer pour la première fois, une étendue d'eau à perte de vue, dansant sous les reflets du soleil, éblouissante, inquiétante, attirante et mystérieuse, qui ouvre des horizons sans fin, des questions du genre et après qu'y-a-t-il au bout ?
Le livre de Zakia et
Célia Héron ne répond pas à ces questions, mais en pose des tas d'autres.
La bandeau rouge qui entoure la couverture veloutée et bleue foncée, figurant une route de montagne tracée à gros traits noirs comme au fusain, annonce «Un texte magistral et tout en subtilité, sur les guerres, l'exil, la transmission et l'identité.»
Sans être «magistral», le texte est indéniablement bien écrit, une structure agréable et maîtrisée, de courts récits du quotidien, chacun figurant sous une date précise, un quotidien fait de petits riens, mais pose tout de suite les données d'une équation à deux inconnues connues : «nous» et «les autres».
On parcourt ces textes à la recherche d'un surgissement que l'on attend mais que l'on ne voit jamais venir : pudeur ? volonté de ne pas aller trop loin ? crainte du politiquement incorrect ? Retenue volontaire ? Difficile à dire !
Algérie entre 19656 et 1962 : Leïla est une petite fille algérienne, arabe disent-ils, excellente élève, bonne camarade, elle a des amies françaises, fréquente le patronage, s'interroge sur ce qui fait leurs différences essaie de trouver les bonnes réponses à ses pourquoi.
Les références culturelles se croisent sans jamais se mêler, s'échangent sans jamais se comprendre, se côtoient sans jamais se heurter.
Seule la petite Leïla se pose des questions, en mangeant la «mouna» à Pâques, le chocolat à Noël, en s'interrogeant sur le goût du jambon, de la bière, de la «soubressade», parmi les clients de la crèmerie où seuls les Français achètent ce camembert plein de calcium dont a besoin sa mère.
L'indifférence colorée d'empathie entre les deux communautés, les algériens - «les indigènes» - et les Français - les pieds-noirs - se transforme peu à peu en méfiance active, chacun est sommé de choisir son camp, la famille de Leïla est soumise aux contrôles de l'armée, son frère Majid est fait prisonnier, soupçonné d'être membre du FLN, ils déménagent, elle fait sa rentrée en 6ème alors que son père a disparu.
Leïla se pose toujours les mêmes questions, mais cette fois les différences lui apparaissent plus crûment et des bribes de réponse commencent à émerger.
Deux dates emblématiques dans ces récits journaliers, le 13 mai 1958 (jour du coup d'état avorté à Alger qui porte la Vème République sur les fonts baptismaux), les maîtresses à l'école laisse les élèves livrés à eux-mêmes pour se regrouper autour de la directrice sous le préau ; le 19 mars 1962 (date du cessez-le-feu en Algérie, suite aux accords d'Evian), le concierge du Lycée, Mr Matthieu, protège les élèves arabes de manifestants envahissant l'établissement aux cris de ALGERIE FRANÇAISE.
A partir de là, le récit s'accélère jusqu'au 20 juillet 1962, éludant la date officielle de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962.
Une nouvelle ère s'ouvre pour le pays.
Mais l'indépendance est un chemin pavé de bonnes intentions, un peu comme l'enfer, les mêmes questions viennent tarauder l'adolescente puis l'adulte sans que le pays nouveau n'apporte véritablement de réponses nouvelles.
La religion pointe le bout de son nez et fait rentrer dans les rangs ceux et celles qui s'attendaient à des lendemains qui chantent.
L'identité de Leïla devient un enfermement, elle lutte, à sa façon contre ces frontières culturelles, mais ne peut trouver d'échappatoire, elle se résout à quitter le pays pour la France.
Situation paradoxale que le questionnement de ses enfants sur leurs origines, lui rappelle chaque jour.
Malgré ses qualités littéraires, indéniables, la lecture du livre laisse le lecteur sur sa faim, peut-être parce que, notamment dans la partie écrite à deux mains, par la mère et sa fille, l'auteur ne va pas jusqu'au bout de sa démarche, à l'instar d'auteurs comme
Boualem Sansal,
Yasmina Khadra,
Assia Djebar, ou plus récemment
Kamel Daoud, qui analysent leur rapport à la langue et à la culture du «colonisateur», dans ce qu'elle a pu libérer chez eux pour leur permettre de se construire une identité multi-culturelle dont leur personnalité s'enrichit sans s'y soumettre.
Comme le chante
Maxime le Forestier, « on ne choisit pas les trottoirs de Paris ou d'Alger pour apprendre à marcher» ; «être
né quelque part c'est toujours un hasard pour celui qui est né».
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