AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782707186188
288 pages
La Découverte (24/08/2017)
4.38/5   4 notes
Résumé :
Il y a plus de trente ans, Christian Salmon renonçait au projet d'écrire la vie d'une légende oubliée de la Révolution russe : Iakov Blumkine, terroriste, tchékiste, poète, stratège militaire, agent secret, exécuté à l'âge de vingt-neuf ans sur ordre de Staline.
Les années ont passé jusqu'à ce que l'auteur découvre à l'occasion d'un déménagement une malle contenant les archives du « projet Blumkine » : des manuscrits, des documents, de rares photographies, et... >Voir plus
Que lire après Le projet BlumkineVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
D'une tentative ancienne de biographie d'un révolutionnaire russe emblématique, extraire toute une époque ramifiée, et une réflexion acérée sur la fiabilité du récit historique.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/08/01/note-de-lecture-le-projet-blumkine-christian-salmon/

Né à Odessa en 1900, tour à tour ou simultanément apprenti électricien, garçon de courses, élève de Mendele Moïkher Sforim, le « grand-père » de la littérature yiddish moderne, factotum de Michka Yapontchik (« Mike le Jap »), le bandit au grand coeur (et le modèle du Bénia Krik immortalisé par Isaac Babel dans ses « Contes d'Odessa »), avant de s'engager chez les socialistes-révolutionnaires en 1916, de rejoindre pour leur compte la Tchéka après la Révolution de 1917, et de compter parmi les assassins de l'ambassadeur allemand Wilhelm von Mirbach le 6 juillet 1918, par opposition à la paix jugée ignominieuse signée à Brest-Litovsk le 3 mars 1918 par les Bolcheviques dirigeant en majorité le gouvernement russe du moment, Yakov Bloumkine est un personnage réel. Précieux homme à tout faire de la Révolution en marche lors de la Guerre civile, il est un temps assistant de Trotsky à bord de son train blindé présent sur tous les fronts ou presque, puis envoyé spécial dans le Caucase et en Iran où se jouent alors certains épisodes méconnus du « Grand Jeu » entre Russie et Grande-Bretagne (épisodes que rappellera d'ailleurs joliment Olivier Rolin en filigrane de son « Bakou, derniers jours » de 2010), joue un rôle-clé au Congrès de Bakou (« Premier congrès des peuples d'Orient ») en septembre 1920, en compagnie de John Reed (qui mourra du typhus quelques semaines plus tard) et finit par être exécuté par ses pairs, convertis de gré ou de force au stalinisme, lorsqu'il est soupçonné de sympathie pour le dirigeant déchu qu'est devenu Léon Trotsky en 1929.

De cette figure à la fois si emblématique et si insaisissable de la Révolution russe, Christian Salmon, du côté des années 1990, alors qu'il n'est pas encore l'auteur mondialement connu de « Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits » (2007), mais « seulement » l'ex-assistant de Milan Kundera et l'un des récents fondateurs du Parlement international des écrivains, a voulu écrire la biographie la plus complète possible de Yakov Bloumkine, et avait amassé pour ce faire une considérable documentation. Ce projet fut abandonné, mais retombant par hasard, dans son grenier, sur les copieux cartons d'archives, presque trente ans plus tard, l'auteur se replonge dans l'impressionnant fatras pour en extraire cette fois non pas une biographie, mais l'impressionnant tableau d'une époque, la critique historique de cette époque avec les inévitables effets de source et de filtre qu'elle peut comporter, et une superbe réflexion sur le récit historique en soi – et sur les brumes qui peuvent si aisément, sans innocence aucune, l'entourer le moment venu.

Publié en 2017 à La Découverte, « le projet Blumkine » est ainsi d'abord une fabuleuse immersion, à travers les documents historiques eux-mêmes, leurs sources et leurs contre-sources éventuelles, dans la Russie pré-révolutionnaire des années 1900-1916, puis dans la Révolution elle-même, la terrible Guerre Civile et l'élan internationaliste qui la suit immédiatement. Cette atmosphère bien particulière est celle par exemple du « Cheval blême » de Boris Savinkov (dont le prestige d'assassin politique anti-tsariste déterminé ne fut d'ailleurs pas du tout étranger à l'engagement du jeune Blumkine chez les socialistes-révolutionnaires), des « Dix jours qui ébranlèrent le monde » de John Reed, naturellement, du « Cavalerie rouge » d'Isaac Babel, assurément, mais aussi du « Tchevengour » d'Andreï Platonov ou du rusé « Proletkult » des Wu Ming, voire du tout récent « Rendez-vous à Kiev » de Philippe Videlier (dont on parlera prochainement sur ce blog).

Christian Salmon parvient à saisir cette atmosphère complexe avec un véritable talent de conteur, tout en y instillant son sens critique affûté et parfois une forme personnelle d'ironie ou d'humour noir. Davantage encore, il nous offre une belle leçon de questionnement inlassable des sources, de recoupement des témoignages, d'identification des faux recoupements (lorsque deux narrations en apparence indépendantes s'avèrent issues du même récit ou de la même fabrique), de déchiffrage des intentions que peuvent contenir les souvenirs « bruts » qui ne le sont guère, voire de repérage des falsifications pures et simples. Récit passionnant et expérience critique implacable, « le projet Blumkine » mérite bien, aujourd'hui plus que jamais, toute notre attention.

Lien : https://charybde2.wordpress...
Commenter  J’apprécie          40
Christian Salmon collecta, il y a une trentaine d'années, une importante documentation sur Iakov Blumkin, juif d'Odessa, anarchiste, puis bolchevik, dirigeant de la police révolutionnaire soviétique, la Tcheka, poète...

Au cours d'un déménagement l'auteur retrouve ces documents réunis trois décennies plus tôt pour ce qu'il a nommé "Le Projet Blumkine".

Il reprend son travail qui, parallèlement à la biographie de Iakov Blumkin, est aussi son autobiographie politique.

Christian Salmon nous entraîne dans la Russie révolutionnaire de 1917 à 1929 à travers un passionnant récit où nous passons du Moscou révolutionnaire à la guerre civile qui de 1918 à 1921 ravagea le pays...où nous côtoyons les avant-gardes artistiques russes imprégnées de l'élan révolutionnaire.
Nous croisons Maïakovski, Essenine...puis nous nous retrouvons au siège de la Tcheka, à la Loubianka, lieu où arrestations et exécutions furent choses très courantes.

Et Iakov Blumkine, qui affirmait avoir eu neuf vies, survole cette époque fiévreuse et furieuse. Membre du parti Socialiste Révolutionnaire de Gauche (allié au parti Bolchevique), en désaccord avec le traité de paix avec 'Allemagne, négocié au début 1918 à Brest-Litvosk par les bolcheviques, il assassine l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou, le comte Mircbach, en juillet 1918.

Il se cache, échappe aux recherches et apprécié par Trotsky il est pardonné et rejoint le parti bolchévique.

Tchekiste, agent secret dans différents pays, représentant de l'URSS dans plusieurs pays, poète, amant de la célèbre danseuse Isadora Duncan...

Une vie intense...qui finira mal lorsque Staline sera devenu le maître de l'URSS.

Un récit passionnant où l'auteur évoque sa jeunesse à travers la vie trépidante de Blumkine.

Ce livre émeut, enthousiasme et horrifie parfois par l'extrême violence de l'époque concernée.

Une très bonne lecture.
Commenter  J’apprécie          10
Un peu à la manière d' Emmanuel Carrère, sortant d'une malle une sorte de fresque commémorative de la Révolution bolchévique ,Christian Salmon nous promène dans les neuf vies de ce héros supposé qu'aurait été Blumkine. C'est l'occasion d'évoquer un grand nombre de figures et de situations autour de ces circonstances, des actions héroïques, des réflexions sur les courants de renouveau artistique de l'époque. Bien sûr, les grands poètes, compagnons de route pour un temps, sont au premier plan de cet épatant kaléidoscope , aux côtés d'explorateurs plus inattendus , le temps et l'espace s'y estompent. Au delà du factuel, une revisite de l'histoire qui ouvre bien des réflexions et des recherches , bravo, j'ai été séduit.
Commenter  J’apprécie          20


critiques presse (2)
NonFiction
06 novembre 2017
Une biographie croisée du révolutionnaire russe Iakov Blumkine et de l’écrivain Christian Salmon, par lui-même.
Lire la critique sur le site : NonFiction
LeMonde
25 août 2017
Christian Salmon mène une fascinante enquête sur les nombreuses vies de ce révolutionnaire à la biographie incertaine mais qui fut proche, un temps, de Trotski.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
À huit ans, il entre au Talmud Torah. Il en sort quatre ans plus tard. À douze ans, il lit Martin Eden de Jack London et rêve d’horizons lointains : Moscou, Saint-Pétersbourg, Berlin, Jérusalem, c’est la litanie qu’il se récite chaque soir en s’endormant. Son premier larcin, c’est une carte de géographie qu’il vole dans les vestiaires de la compagnie maritime d’Odessa et épingle sur un mur en face de son lit. Il est fasciné par les pointillés des voyages transatlantiques. Le soir, il s’entraîne à mémoriser le tracé des frontières, le contour des océans et des déserts. Le relief des montagnes. Il gravit en pensée les plus hauts sommets du Tibet, et redescend du côté opposé pour se perdre en Perse, en Chine. La mer Noire ? Un sas vers la Méditerranée qui lui ouvre les portes de l’Orient, de l’Afrique, Constantinople, Marseille, Tanger, le détroit de Gibraltar…
En attendant, il doit gagner sa vie. En 1913, Iakov est élève dans le bureau électrotechnique de Karl Franck, puis dans l’atelier d’Inger où il gagne vingt à trente kopecks quotidiens. Le jour, il monte les fils électriques dans les maisons privées et dans les entreprises. La nuit, il répare l’éclairage des trams au dépôt Richelievski pour une société belge. Parfois, il travaille comme assistant électricien au Théâtre russe d’Odessa. En 1916, on le retrouve à l’usine de conserves des frères Avitch et Izraïlson. Il saute d’un emploi à l’autre sans qu’on puisse déceler une logique à cette instabilité.
Il a quatorze ans à la déclaration de guerre, dix-sept, l’année de la Révolution. Un an plus tôt, il a rejoint les socialistes révolutionnaires de gauche, auréolés du prestige de l’Organisation de combat d’Azev et Savinkov, qui sème la terreur dans la Russie tsariste depuis le début du siècle. Iakov lit beaucoup. Il écrit lui-même des poèmes, assez mauvais, dit-on. Cependant, ses vers sont publiés dans la gazette Kolossia, dans le journal pour enfants Goudok et même, une fois, dans le journal le plus important de la ville, « La feuille d’Odessa ». Dans la chambre du jeune Blumkine, il y a des brochures aux couvertures rouges dont les titres dessinent un itinéraire intellectuel tout autant qu’un chemin vers l’action. La nuit, il déchiffre péniblement Le Capital de Marx et récite à haute voix des passages entiers du Catéchisme révolutionnaire de Netchaïev.
Jeté à la rue très tôt, il découvre en même temps les luttes sociales et le monde des bandits de la Moldavanka, l’élite juive d’Odessa et les combats de rue. Son frère Isaïe et Léo, le cadet, étaient journalistes pour les journaux d’Odessa, un autre de ses frères, Nathan, deviendra un auteur dramatique reconnu sous le nom de plume de « Basilevski ». Léo est anarchiste. La sœur, Rosetta, sociale-démocrate. On imagine les discussions le soir autour de la table. Depuis 1905 cela ne cesse pas. Il y a la paysannerie et le prolétariat. Grèves. Occupations. Manifestations. Les brochures du parti bolchevique. Les articles compliqués de Lénine. La théorie de l’impérialisme. Dans les bistrots grecs du port, les discussions vont bon train autour des billards. Mencheviks, bolcheviks, populistes de Volonté du peuple, socialistes révolutionnaires s’affrontent. Iakov cherche encore sa voie.
Commenter  J’apprécie          10
Dans la salle de jeux, les hommes jouaient aux échecs, aux dames ou aux dominos, à la lueur des bougies. Des pièces taillées dans la roche de chaque côté du tunnel principal servaient à loger hommes et femmes. À l’intérieur, des niches creusées dans la paroi et garnies de foin faisaient office de lits. L’aile médicalisée était équipée de vrais lits et d’une salle d’opération. Les femmes cuisinaient au moyen de fours à bois construits en calcaire jaune, dont la fumée était évacuée vers un tunnel supérieur. Par un puits à ciel ouvert donnant sur un village, les habitants, feignant de chercher des seaux d’eau au puits, leur descendaient des paniers de nourriture…
Des profondeurs d’Odessa remontent depuis toujours toutes sortes d’histoires et de légendes : des disparitions restées inexpliquées, des rumeurs de crimes rituels. Difficile de faire la part du vrai et du faux dans tous ces récits venus des profondeurs, une histoire en creux de faux souvenirs et d’aventures formées en partie par la rumeur, l’imaginaire et la réverbération mystique. Des gangs y détenaient des femmes pour les vendre en esclavage. Un rescapé du Titanic, sauvé par un navire de brigantin qui se rendait à Odessa, aurait sculpté une maquette du bateau en or massif qu’il aurait cachée dans les catacombes de peur qu’elle soit confisquée par les bolcheviks qui avaient pris le contrôle de l’Ukraine six ans après le naufrage. Un siècle après, certains espèrent encore retrouver ce trésor. D’autres histoires parlent d’un esprit – ou même un dieu – qui veille sur les catacombes. Parfois appelée « Bout », cette divinité vengeresse protège les trésors qui y sont cachés. Il est dit que si quelqu’un essayait de voler des trésors enfouis dans les catacombes, Bout les emprisonnerait dans l’obscurité froide. Selon ces croyances, il est interdit de rapporter à la surface ce que l’on trouve sous la terre. Et si l’on transgresse cette loi, alors il faut au moins laisser quelque chose en échange.
Odessa est une construction à trois étages : la ville proprement dite, avec ses monuments néobaroques, ses parcs fleuris et ses larges avenues. En contrebas, la ville portuaire, avec sa baie en demi-lune et ses longs quais hérissés de grues. Enfin, la ville souterraine des catacombes. Le psychanalyste Mosche Wolff, disciple de Freud, qui s’installa à Odessa au cours de la première décennie du siècle, voyait dans cette architecture à trois niveaux une représentation de la maison du moi que Freud élaborait à la même époque à Vienne, avec ses trois étages : le ça, le moi et le surmoi. Est-ce pour cette raison que la psychanalyse y a fait son nid très tôt avant de se répandre jusqu’à Moscou ? En 1912, Freud écrivait à Jung : « En Russie (Odessa), il semble y avoir une épidémie locale de la psychanalyse. »
Le « ça » d’Odessa est constitué d’un labyrinthe de tunnels, refuge des bandits et des enfants livrés à eux-mêmes qui trouvaient dans ses profondeurs un terrain d’aventure. Pour les dissuader d’y descendre, on racontait que certains s’étaient perdus dans ce labyrinthe, morts de déshydratation ou de chutes de pierres. Un reporter du Wall Street Journal a trouvé des cassettes audio VHS brisées jonchant le sol : des bandes servant de repères pour ne pas se perdre dans le labyrinthe des tunnels. L’histoire de Thésée et du Minotaure réinventée…
Au-dessus des catacombes, la ville portuaire, le lieu des échanges et des transactions, représentait, selon notre psychanalyste, le moi d’Odessa où régnait le principe de réalité, relié à la ville d’en haut – le surmoi – par les fameux escaliers rendus célèbres par le film d’Eisenstein. La ville d’en haut s’élevait au-dessus de la mer Noire comme une utopie et une vision stratégique. Un rêve géométrique dont témoigne son plan de rues en damier construit par des architectes français à l’image des utopies urbaines des Lumières. Au début du siècle, le surmoi d’Odessa, perché sur sa falaise surplombant la mer Noire, s’éclaira soudain de mille feux. On venait de découvrir l’électricité.
Commenter  J’apprécie          00
« L’enfance est géniale, a écrit Victor Chklovski, le père du formalisme russe, elle veut creuser jusqu’à atteindre aux confins du monde. » C’est sans doute vrai de toute enfance, mais ce creusement prend à Odessa un signification particulière. Victor Chklovski a écrit cette phrase dans sa préface, « Le forage des profondeurs », au livre de l’écrivain odessite, Iouri Ilecha, Pas de jour sans une ligne. Après l’énorme succès en 1927 de L’Envie, son premier roman, Olecha n’écrivit plus que pour le théâtre et pour le cinéma mais consacra ses dernières années à un livre de souvenirs resté inachevé. Après sa mort, Chlovski et son épouse ont composé à partir de ses manuscrits inachevés un livre de fragments qui a, selon lui, la « brillance des déchets d’uranium ». Les deux premières parties intitulées « Enfance » et « Odessa » offrent un témoignage irremplaçable sur les deux premières décennies du siècle à Odessa. Si je voulais me faire une idée de l’enfance de Blumkine, il me fallait en visiter les catacombes.
Bâtie sur une falaise surplombant la mer Noire, Odessa s’est édifiée en puisant dans son sous-sol les blocs de pierre qui ont servi à la construction de ses immeubles et de ses monuments. Le calcaire jaune qui s’étale sur les façades des édifices dans le centre d’Odessa a été découpé à la scie, chargé et tiré le long d’étroits tunnels par des boeufs et des mulets aveugles à force de séjourner dans l’obscurité. Plus la ville s’étendait, plus ses racines plongeaient profondément dans son sous-sol, creusant un labyrinthe de galeries qui s’enfoncent jusqu’à soixante mètres sous le niveau de la mer et qui ont fini par atteindre une superficie de 2 500 km2. Odessa possède le plus grand réseau de tunnels au monde, plus étendu et plus complexe que les célèbres catacombes de Rome (300 km) et de Paris (500 km). Mis bout à bout, il couvre la distance Paris-Odessa.
La ville est un colosse aux pieds d’argile. Quel que soit le problème de voirie – une canalisation d’eau qui éclate ou une route qui s’affaisse -, on accuse les tunnels souterrains d’Odessa. Si une brèche lézarde une façade, ce sont les catacombes qui s’affaissent sous l’immeuble. Après la Révolution, les bolcheviks ont mis un terme aux forages dans les catacombes pour éviter de fragiliser davantage les fondations de la ville et les mines abandonnées sont devenues le repaire des vagabonds, des bandits et des contrebandiers. Depuis les origines, les catacombes ont servi de lieux de stockage pour le matériel de contrebande, véritable caverne d’Ali Baba où s’entassaient toutes sortes de marchandises débarquées des bateaux, un trafic d’autant plus facile que certains tunnels donnent sur la mer, ce qui facilite les déchargements de marchandises illicites.
À l’entrée des catacombes on a construit, après la Seconde guerre mondiale, un musée à la gloire des partisans. Quand les troupes fascistes ont occupé Odessa, ceux-ci ont trouvé refuge avec armes et munitions dans les sous-sols : quelque 6 000 partisans ont harcelé les troupes d’occupation pendant treize mois. Jaillissant à la surface par des bouches d’aération, ils menaient des opérations au coeur de la ville avant de disparaître à nouveau sous terre. En réponse à cette terreur invisible, les troupes fascistes ont entrepris de boucher les accès aux catacombes, enfumant les tunnels pour les forcer à sortir. Mais ceux-ci s’enfonçaient plus loin encore sous terre. Valentin Kataïev a décrit, dans Les Vagues de la mer Noire, ces combats acharnés. Les tunnels en portent encore des traces : des murs creusés de fentes pour permettre le tir défensif, des balles et des éclats de grenade dans les parois. Une bouilloire. Les boutons d’un uniforme nazi. Les partisans y installèrent une base militaire souterraine, avec chambrées, cantines, blanchisseries et hôpitaux où l’on procédait à des opérations. Les innombrables cavernes servaient de dépôts de munitions.
Commenter  J’apprécie          00
Un jour, j’ai été bolchevik.
Un bolchevik de fiction. Mais un bolchevik en chair et en os tout de même, avec blouson de cuir, foulard rouge autour du cou, et une étincelle dans le regard. En ce temps-là, les murs de mon studio étaient couverts d’affiches de la révolution d’Octobre. On y voyait des fusils enlacés avec des marteaux, des cercles pénétrés par des triangles, des poings levés et des slogans en forme d’allégories : « Battre les Blancs avec un coin rouge ! » Les locomotives s’élançaient vers le ciel et des ouvriers en vareuse rouge pointaient du doigt l’ennemi de classe ou le déserteur. Juché sur une mappemonde, Lénine muni d’un balai nettoyait la surface de la terre de ses derniers exploiteurs. Et dans mes rêves, il y avait des onomatopées en lettres géantes qui se répétaient, comme dans les films d’Eisenstein :

HO, HO, HO.

Les masses accourues de toute part se transformaient en force matérielle au contact de la théorie marxiste de la plus-value. Dès le réveil, l’image collée au mur d’un homme au front ceint d’un bandeau taché de sang me communiquait son implacable énergie. La fée électricité illuminait le monde. Les soviets faisaient le reste.
Les masses se ruaient dans le grand théâtre de l’Histoire. En coulisse, les acteurs attendaient les trois coups pour se précipiter su scène et adresser à la foule les mots qu’elle attendait depuis toujours. Les slogans s’échappaient des bouches fumantes. Ce n’était plus seulement des orateurs qui s’adressaient au peuple, c’était l’Histoire en personne qui leur dictait ses mots. Comme si le but de ces bolcheviks aux nerfs d’acier était de se couler en elle et de s’y fondre.
« Pendant les révolutions le charme des femmes pâlit aux yeux des hommes, dit-on, l’Histoire leur ravit la première place. C’est elle qui hante leurs rêves. » Et dans ce rêve, Lénine de son balcon harangue pour toujours la foule de Petrograd, sa casquette à la main. Le train de Trotski se lance à la poursuite des armées de Koltchak et de Denikine, franchit les espaces immenses, les distances désolées.
Un jeune homme de dix-huit ans tire à bout portant sur un ambassadeur. « La révolution choisit ses amants jeunes », avait déclaré Trotski aux généraux allemands étonnés de devoir négocier la paix avec des adolescents. La raison en est simple : ils donnent la mort plus facilement.
Commenter  J’apprécie          00
Tous projetaient dans l"action" leur désir d'intrigue et leur quête de gloire. Une jeunesse en manque de récit piétinait au seuil du siècle. Le terrorisme leur offrait un récit possible, il leur rendait leur biographie perdue.
La jeunesse impatiente était la proie facile des littérateurs en chemises russes et en blouses noires qui faisaient commerce , comme des marchands de grain, de Dieu ou du Diable.
Commenter  J’apprécie          10

Videos de Christian Salmon (16) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Christian Salmon
“Ni communiste, ni dissident, ni de gauche, ni de droite”, l'auteur tchèque Milan Kundera a toujours refusé d'être assigné à une seule identité. Il se dit avant tout “romancier”. Comment alors écrire l'histoire de celui qui a toujours souhaité préserver son oeuvre de regards biographiques ?
Pour en parler, Guillaume Erner reçoit : - Florence Noiville, journaliste, critique littéraire, écrivain - Christian Salmon, écrivain et chercheur au CNRS
#litterature #biographie #kundera
_________________ Découvrez tous les invités des Matins de Guillaume Erner ici https://www.youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDroMCMte_GTmH-UaRvUg6aXj ou sur le site https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins
Suivez France Culture sur : Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture Twitter : https://twitter.com/franceculture Instagram : https://www.instagram.com/franceculture TikTok : https://www.tiktok.com/@franceculture Twitch : https://www.twitch.tv/franceculture
+ Lire la suite
autres livres classés : entre-deux-guerresVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (19) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3173 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}