Ignorant que je suis, je m'imaginais que "Tristan et Yseut" était une oeuvre majeure de… Chrétien de Troyes: quelle erreur ! J'ai au moins appris que ce thème avait été largement développé – dans diverses variantes – par plusieurs auteurs du XIIème siècle, notamment ce mystérieux Béroul dont je n'avais jamais entendu parler. Tout le monde connait, peu ou prou, cette « histoire de passion, de désir et de mort » (ainsi qu'elle est joliment définie dans le quatrième de couverture). Le roi Marc est marié à la belle Yseut; mais le neveu du roi Tristan, ayant bu avec celle-ci un philtre magique, est indissolublement lié à Yseut par un amour réciproque, charnel et non "courtois" – ce qui ne empêche pas les amants de cacher habilement leur passion, pour échapper à la jalousie du roi et de ses barons.
Surprise pour moi: la version de cette oeuvre que j'ai lue est écrite dans un français absolument moderne, sans aucun indice du texte original rédigé en vieux français. Qui plus est, le sublime de la passion amoureuse et les nombreuses apostrophes à Dieu côtoient constamment des précisions terre-à-terre, des allusions égrillardes et des ruses assez simplettes. Les épisodes se succèdent et ne se ressemblent pas. Par exemple, à un moment décisif, Marc découvre les deux amants, semblant dormir chastement, séparés par une épée, et il décide de les épargner: noble scène ! Mais, un peu plus loin, Yseut s'arrange pour se faire porter à califourchon sur le dos d'un soi-disant lépreux (en fait, c'est Tristan !), ce qui lui permet ensuite de jurer solennellement que « entre mes cuisses n'est entré aucun homme, si ce n'est ce lépreux et le roi Marc »: ici, bizarrement, on n'est pas loin du vaudeville ! Cet étonnant mélange de genres fait toute l'originalité de cette oeuvre, qui a connu un très franc succès au Moyen-Age et qui a laissé des traces dans notre culture moderne. En tout cas ce texte, dans la forme qu'on lui a donnée, se lit facilement.
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Regret d'avoir trahi son lien de vassalité, vers 2161 :
Ha ! Dex, fait il, tant ai traval !
Trois anz a hui, que riens n'i fal,
Onques ne me failli pus paine
Ne a foirié n'en sorsemaine.
Oublïé ai chevalerie,
A seure cort et baronie.
Ge sui essaillié du païs,
Tot m'est failli et vair et gris,
Ne sui a cort a chevaliers.
Dex ! tant m'amast mes oncles chiers,
Se tant ne fuse a lui mesfez !
Ha ! Dex, tant foiblement me vet !
Or deüse estre a cort a roi,
Et cent danzeaus avoques moi,
Qui servisent por armes prendre
Et a moi lor servise rendre.
Aler deüse en autre terre
Soudoier et soudees querre.
Et poise moi de la roïne,
Qui je doins loge por cortine.
En bois est, et si peüst estre
En beles chenbres, o son estre,
Portendues de dras de soie.
Por moi a prise male voie.
A Deu, qui est sire du mont,
Cri ge merci, que il me donst
Itel corage que je lais
A mon oncle sa feme en pais.
Le beau couple endormi, vers 1816 :
Oez com il se sont couchiez :
Desoz le col Tristan a mis
Son braz, et l'autre, ce m'est vis,
Li out par dedesus geté ;
Estroitement l'ot acolé,
Et il la rot de ses braz çainte.
Lor amistié ne fu pas fainte.
Les bouches furent pres assises,
Et neporquant si ot devises
Que n'asenbloient pas ensenble.
Vent ne cort ne fuelle ne trenble.
Un rais decent desor la face
Yseut, que plus reluist que glace.
Eisi s'endorment li amant,
Ne pensent mal ne tant ne quant.
Béroul précise que cette chasuble existe vraiment : des gens l’ont vue et leur témoignage mérite d’être considéré. « On dit que », « on raconte que », « je l’ai entendu dire » : à chaque fois, le conteur mentionne un témoignage oral qu’il serait parfaitement déplacé de mettre en doute. Il trouve dans l’anonymat de la rumeur légendaire une caution indiscutable pour son récit.
Jadis, il me semblait que ma mère aimait beaucoup la famille de mon père. Elle disait que jamais une épouse ne pouvait tenir à son mari si elle n’aimait pas aussi la famille de celui-ci. Assurément, elle disait vrai. Seigneur, à cause de lui, je vous ai beaucoup aimé et j’ai perdu pour cela ses faveurs.
Comment peut-on sauver un homme mort ? Il est bien mort celui qui persiste dans le péché ; s’il ne se repent pas lui-même, personne ne peut faire remise à un pécheur de sa pénitence ; accomplis ta pénitence !
TRISTAN & ISEUT – Grande introduction au mythe par Michel Cazenave (France Culture, 1977)
Une émission spéciale des "Samedis de France Culture", par Michel Cazenave, diffusée le 1er octobre 1977 sur cette même radio. Lecture : Catherine Laborde.