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EAN : 9782021395617
224 pages
Seuil (03/05/2018)
4.3/5   30 notes
Résumé :
« Ça m'a pris longtemps pour comprendre pourquoi le varan. Ça se voit ici, dans ces lignes-là. Je ne sens rien. Enfin, si, quelque part dans un espace auquel je n'ai pas accès, je sens. Je dois hurler de haine et de terreur, avec la bouche pleine de bave. Mais je ne m'entends pas. Je suis là, sur le bord du marigot, à épaissir encore, à durcir, à cuire au soleil et à la boue. Je raconte, je dis les faits, je les écris, je les relis, une fois. Je les fais lire. Il y ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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" Je me suis longtemps vue comme un Varan.
Je ne comprenais pas vraiment pourquoi. La boue, le secret, la tourbe chaude, s'enfouir, fermer les yeux et hiberner. C'est cela le syndrome du Varan: mon repli, la congélation, m'enfoncer dans la vase et attendre que ça passe à quel point je ne veux pas être là. ..."
Voici un roman choc qui fait dresser les cheveux sur la tête, à propos d'une enfance brisée, bafouée, fracassée dont on ne sortira pas indemne ...
Mais c'est aussi , heureusement , le récit douloureux d'une reconstruction. Personne n'est nommé au coeur de cette lecture crue , dure comme du silex, grinçante , glacée, difficile à lire et à appréhender , affûtée au rasoir à l'aide d'une écriture forte, violente, semblable à un cri rauque, primal, chair à vif et viande nue, tripes à l'air , boue et odeur de m.....e .
Comment dire les plaies purulentes , les blessures à vif?
Cette fìlle a enduré durant son enfance une mère à moitié folle,, à tendance pedophile , perverse , un pére alcoolique , égocentrique, collectionneur de pornographie nécrophile , de viol, bestiale et infantile .....
L'héroïne dont on ne saura jamais le prénom subit des actes de barbarie, de mise en danger de mort, souvent mal nourrie...Elle vit dans la terreur auprès d'agresseurs sexuels dépravés , détraqués : ses propres parents ,...
Plus tard ses blessures seront soignées, sa vie en morceaux recollée et vernie, auprès d'un compagnon.

Il lui a fallu beaucoup, beaucoup de temps ..
Ce sont des lignes criantes de vérité, rageuses ,au goût d'ironie amère, de douleur passée, un non- silence....une révolte ...une catharsis ?
Je souhaite que cela n'ait pas été vécu par l'auteur .
Aurait - elle trouvé cette maniére de régler ses comptes ?
Je ne sais pas....
Un livre que je n'oublierai jamais.
Ma soeur qui me l'a prêté m'avait prévenue ...
Je ne connais pas l'auteur ....
Aux éditions du Seuil.
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« Mon repli, c'est la congélation. C'est le varan. C'est m'enfoncer dans la vase et attendre que ça passe, en montrant à quel point je ne veux pas être là. »
Voilà, c'est ça le syndrome du varan.
Et il faut au moins ça pour supporter tout ce que cette fille a enduré dans l'enfance.
Une mère folle. Un père égocentrique. Tous les deux dépravés sexuels et faisant subir à leur fille ce qu'en enfant ne devrait jamais devoir endurer.
J'espère juste que ça n'a rien d'autobiographique. Et si c'est une pure fiction, elle a pour but de dénoncer l'innommable.
La narratrice a maintenant 37 ans et se débat comme elle peut avec ces souvenirs , avec le marasme de son enfance.
C‘est dur. C'est cru. C'est difficile à lire et à entendre, tout comme il est difficile de savoir que partout, dans tous les milieux, des enfants sont victimes de détraqués.
C'est un roman très fort, à l'écriture tranchante, imagée, glaçante.
Malgré la noirceur, j'ai envie de lire d'autres livres de Justine Niogret, que je ne connaissais pas.
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"Je suis quelqu'un qui aime mais qui reste loin"

Je vais une fois n'est pas coutume, mêler des tripes à mes mots. Mes excuses pour l'inhabituelle longueur et les violons.

J'ai déjà remarqué que ceux qui avaient eu une enfance souillée ne se reconnaissent pas.
Comme tout le monde on se dit "mais qu'est ce qu'il/elle a ?" Même quand ses réactions sont les vôtres. Alors on comprend trop tard.
On sait aussi que c'est dur de se construire.
D'être aimé. D'aimer. D'être. Parmi les autres êtres.
Qu'on a peur d'être un monstre pour ses enfants. Qu'on souhaite leur offrir une enfance exemplaire. Pour en faire des adultes sereins. Pour créer du beau dans la vie d'un autre, enfin essayer, à sa micropuscule échelle.

Je referme mon egotrip.
Car on est au delà.
On est dans la vie de quelqu'un que les parents ont souillé.
Sciemment.
Avec joie. Délectation.
On est au delà.
Au delà de tout.
D'habitude je suis émue à en pleurer à lire les horreurs des autres. Je crois que le chimique, cette parenthèse qui en ce moment me protège du réel, me laisse assez froide. Ça me touche mais... de loin.
Alors... Connement, je louerai l'écriture. Simple, incisive. Agaçante en première partie du roman parce que répétitive. Je l'ai lu d'une presque traite (j'ai tabassé des zombies entre), happée, alors que je voulais juste attendre qu'un petit faune s'endorme pour faire plus de bruit. Alors d'une traite on remarque très bien les effets de style. Ici les répétitions. Grr.
Je me suis demandé. Pourquoi parler de haine dans ce livre, j'ai cru, par ce récit cru, qu'au contraire Justine Niogret vomissait et chiait d'amour. D'amour non reçu, d'amour contrarié, d'amour non dit. D'amour trouvé. Perdu. Myope. D'amour.

Je n'ai pas tout lu de l'auteur. Mais. Medieval, historique, autobiographique... Qu'importe le genre, le récit est maîtrisé et on y retrouve sa patte. On prend plaisir à la lire.

Ça paraît un peu dégueulasse pour un tel récit, mais je voulais vous dire Madame Justine Niogret, bravo, quel talent. Quel plaisir (et horreur) de vous lire.  Je souhaite, très Égoïstement, que vous écriviez encore beaucoup.
Je souhaite moins Égoïstement que vous vous aimiez adulte. Que vous allez bien, mieux qu'Eleanor Oliphant. Ça prend du temps paraît il mais j'ai envie de croire, en ce début d'année, que ça vaut le coup.

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D'une enfance horriblement maltraitée à une survie puis à une construction bien différente, le bouleversant roman d'un itinéraire de salut – notamment par la grâce de l'imaginaire.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/04/22/note-de-lecture-le-syndrome-du-varan-justine-niogret/

Récit d'une enfance violemment saccagée (selon le terme très juste utilisé par Chloé Delaume, et l'on sait que l'autrice du « Cri du sablier » s'y connaît en la matière) – on oserait presque méthodiquement saccagée, si le mère et la mère de la narratrice ne se distinguaient, en dehors notamment de la pédophilie (très) mal réprimée de l'un et de la perversité (éclatant à l'occasion en syndrome de Münchhausen par procuration) de l'autre, par leur extrême bêtise, évidente et abyssale -, « le syndrome du varan » n'est pas seulement un roman suffocant (selon le mot de Raphaëlle Leyris dans le Monde des Livres), un hurlement construit de rage et de colère – dont on trouverait de puissants échos du côté de la « Chienne » de Marie-Pier Lafontaine, de « L'inamour » de Bénédicte Heim, ou du « Dans ta sévère fontaine » de Véronique Emmenegger – : il s'agit aussi – et peut-être même surtout – d'un roman qui explique, paradoxalement presque sereinement, bien des années après les faits, le chemin d'une échappée et d'une construction, face aux abus des deux parents, ensemble ou séparément, et face aux graves manquements des institutions censées protéger (un passage particulièrement cruel traite ainsi des empathies honteuses allant du côté des bourreaux plutôt que des victimes).

« le syndrome du varan », avec cette métaphore centrale si puissante, si sauvage, est un récit de survie, de survie reptilienne, qui se transforme, du haut des bientôt quarante ans de la narratrice, en celui d'une éclosion progressive, où la musique, le jeu et l'imaginaire jouent un rôle déterminant. Contre toutes les censures conscientes ou inconscientes, mais toujours bien-pensantes, qui brocardent le jeu vidéo et la littérature dite d'évasion, quelque chose de fort – de résistant et de progressivement souverain – prend forme sous nos yeux, contre toutes attentes raisonnables face à une telle débauche de bêtise et de méchanceté dirigées contre leur proie initiale. Discrètement, au fil des reprises de souffle face au déferlement de l'horreur domestique, des références s'installent, une culture et une personnalité se construisent – et un talent littéraire magnifiquement hybride émerge. Et l'on pourra alors, comme le suggère malicieusement l'autrice dans un bel entretien de 2018 avec le Triangle Masqué (à lire ici), lire le roman une deuxième fois en écoutant Amon Amarth ou les Hatebreed.

Publié en mai 2018 aux éditions du Seuil, première incursion de l'autrice hors des littératures de l'imaginaire étiquetées comme telles, « le syndrome du varan » propose aussi, dans la douleur et dans la sérénité finale, malgré les cahots, une formidable grille de lecture des autres romans de Justine Niogret.

On ne peut plus tout à fait considérer de la même manière les magnifiques « Chien du Heaume », « Mordre le bouclier », « Gueule de truie », « Mordred », « Coeurs de rouille », ou même « Bayuk » (avec son étiquetage jeunesse). Une bonne partie des motifs d'enfance saccagée, d'inamour, de mensonge parental fondamental et de revanche indispensable s'y nourrissent logiquement de ce qui surgit, explicité, dans « le syndrome du varan ». Et le superbe « Quand on eut mangé le dernier chien » de 2023, en comparaison et malgré sa dureté féroce et glacée, apparaît bien comme une forme paradoxale de sortie du tunnel.

Roman foncièrement bouleversant, dont la fureur et la crudité sont en permanence comme rendues opératoires par le recul salutaire qui les environne et leur donne sens, « le syndrome du varan » mérite vraiment toute notre attention.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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En général, je laisse passer du temps avant de poser des mots sur les livres que je termine. Pas tellement parce que je sais pas quoi en dire, mais plutôt parce que parfois, j'ai tendance à être grave méchant, et c'est pas forcément judicieux.
Toujours se méfier des réactions primales après une lecture qui ne laisse pas de traces.
J'ai lu, en quelques heures, le dernier roman de Justine Niogret.
Tu sais déjà ce que je pense de la dame si tu as jeté un oeil sur une chronique qui s'appelle « La viande des chiens, le sang des loups ».
Après la lecture de ce roman, il n'y a pas vraiment de raison pour que je change d'avis…
Comment dire les blessures de l'enfance, je sais pas.
Ce que je sais, parce que des chiffres te le disent, c'est que plus d'un enfant sur dix a été victime de maltraitance.
C'est un mec, ouvrier au chômage, qui tente d'expliquer ce qu'il lui est arrivé, et puis c'est un couple qui sort de cet immeuble avec une couverture sur la tête, pour ne pas être reconnu. C'est le secret qui entoure ces actes et dont les familles ne parlent pas, ne veulent pas parler, ou ne peuvent pas dire. Ces actes liés à la sexualité contre lesquels « les héros » hurlent dans la rue « sans jamais foutre le feu à la maison qui abrite les pédophiles ». Les chiffres, encore eux, disent que plus de la moitié des victimes n'en parlent jamais. Comme un tabou, une tare de notre société humaine qu'il faut taire à tout prix.
Si tu crois que c'est seulement chez les « pauvres » que ça se passe, t'as tort. C'est partout. Dans tous les milieux. C'est sans doute juste à côté de chez toi, ce môme que tu croises et qui te regarde jamais dans les yeux. Tu crois qu'il est timide, tu crois que cette gosse est bien élevée, mais non. Ils ont peur des adultes. Ils ont peur de ceux qui les blessent et qui les empêchent de vivre leur enfance. Ils ont peur de ces hommes, de ces pères ou de ces oncles, qui viennent la nuit, et qui ouvrent les portes de l'enfer.

La suite, sur le blog :





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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
J’ai toujours beaucoup rêvé.
Cauchemardé, en fait, mais c’est si souvent que je les appelle des rêves.
Je me bats. En général contre des fauves ou des ours. A mains nues. Je ne suis pas en colère, je n’ai pas peur. C’est simplement exténuant. Je gagne à chaque fois, mais c’est exténuant. Chaque nuit.
Chaque matin j’ai le nez pris, du sang coagulé.
Parfois, je rêve que le monde est mort. Les gens sont enfin tous morts, ou bien atteints d’une maladie qui se transmet par contact. Une peste, une moisissure. Ils grouillent. Je leur échappe. Je n’ai toujours pas peur. Je grimpe, je me défends, je trouve des endroits stratégiques.
Le monde est beau, sans les humains. Les villes, grignotées par l’herbe, les forêts, rendues à elles-mêmes. Dans ces rêves, je n’ai aucun regret de l’humanité disparue. Je frappe les zombies avec des planches, des tubes d’acier. Ils ne comptent pas. Je veux juste être seule dans un monde qui ne fait plus de mal.
Quand je joue à Doom, à Dead Space, à Silent Hill, je suis bien. Plus les jeux sont censés faire peur, être angoissants, violents, nerveux, plus je m’y détends. L’angoisse et la méfiance sont mes états naturels.

Je joue, beaucoup. Des jeux de stratégie, jeux vidéo, jeux de figurines, de cartes. Je ne suis pas bonne en stratégie, il y a trop de monde, mais en tactique, je suis meilleure que les autres joueurs.
Alors ils refusent de jouer avec moi. Ce sont des garçons. Ils ne veulent pas être battus par une fille.
Quel que soit le jeu, l’armée, le personnage, je choisis, comme par hasard et d’après eux, toujours le plus facile. Alors j’en prends un autre, jeu, armée, personnage. Je les casse avec le nouveau jeu, armée, personnage. Ils me disent que c’est le second plus facile. Je prends leur personnage, leur armée, leur jeu, et je les bats. Ils se mettent tous contre moi, dès le premier tour, pour m’effacer de la partie. J’arrête de jouer.
Ma vie est une lutte. Je passe mes nuits en défenses, en batailles, en combats. Mes journées aussi, quand un de mes parents fait une crise. Mais je suis une fille, et pour ces garçons, une fille ne gagne pas. une fille ne les bat pas sur une table de jeu.
Un adolescent de vingt ans me dit un jour qu’il sait que je joue aux jeux vidéo. Qu’il va venir jouer contre moi pour voir si je me débrouille bien.
Quand il me dit ça, l’air presque triste de devoir me remettre à ma place, je joue depuis trente-deux ans.

Je pense savoir si je suis bonne dans ce que je fais. J’ai des photos de moi, incisives tombées, devant le Macintosh de mon père, dans sa chambre étrange.
Je sais si je suis apte à survivre. Je le sais, puisque je suis là. Pour eux ce sont des jeux, moi, c’est la famille.
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Je me suis longtemps vue comme un varan. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi. La boue, le secret, la bourbe chaude, s’enfouir, fermer les yeux et hiberner. La puissance des reptiles géants, des choses qui devraient être mortes mais qui vivent encore, de vieux poumons pour ventiler un air sableux à la place du bel air bleu dont on nous parle. Il n’y a pas d’air bleu dans les bayous, dans les marais ; du sable en suspension dans l’eau épaisse, des poumons qui grincent, qui saignent une buée collante, qui fait de la morve rouge sur les narines. Je me voyais comme ça, une tête aux yeux plissés, un komodo épuisé et haletant, à moitié sorti d’une purée primordiale, la gueule encroûtée de boue et de vieux sang.
Les varans rentrent dans le cul des cerfs pour y verser leur poison. Je ne me voyais pas comme venimeuse, mais je pense que cette histoire de cul, de tête dans le cul, de pénétration contre nature et morbide pour se nourrir de merde, je la comprenais. Après tout, le lait de ma mère a été de la merde pourrie.
Je ne me voyais pas comme une violence écailleuse, comme un reptile agressif. Je crois que c’était la survie qui me parlait, la chose remontée des débuts des âges, un cœlacanthe pulsant des jus qui n’avaient pas encore le nom de sang. Quelque chose de vert. Ou de bleu, comme un limule. Quelque chose d’inhumain, de trop vieux pour être humain.
Quelque chose de perdu, aussi, sans doute. Je suis né trop jeune dans un monde trop vieux, moi c’était pareil mais à l’envers. Le monde et ses timidités, le monde et ses rails déjà posés, le monde et sa tiédeur, sa répugnante tiédeur ; Et parce que tu es tiède je te vomirai par ma bouche. Je voulais vomir le monde et ses petits pieds frileux par ma bouche de monstre diluvien. Je l’ai fait. Je l’ai fait souvent. Les gens sont si peureux, petits, tendres dans le sens tendre comme une viande un peu moisie. Comme Vian, comme le gaz du steak dans lequel mord la mère de Joël, Noël et Citroën. Les gens sont comme cela. Leur ventre est mou, et si le nôtre est dur et grumeleux alors on est un monstre. Peut-être que je me voyais comme un varan parce que les gens me voyaient comme un varan.
J’ai failli tuer mon père, quand même. Ça s’est joué à quelques jours. Il fallait bien que ça s’arrête. Il y a des choses qui font s’effondrer le monde, qui font arriver l’apocalypse. Il faut un ventre dur pour les arrêter. On ne va pas me reprocher ça.
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Cette nuit, j’ai rêvé que mon père était mort.
Je rêve souvent que je le tue, mais là il était mort. Nous étions beaucoup, tous ses enfants, alors qu’en vrai il n’en a que trois. Nous étions dans une église, les gens coloriaient des vitraux dessinés sur du papier, il y avait une musique que j’ai toujours dans la tête en écrivant ceci.
Les gens étaient très sérieux. Nous, les rejetons, nous riions. Nous faisions connaissance. Nous disions : « Tout ça pour un connard pareil ! » et ça nous faisait rire.
Nous nous tripotions, les épaules, le cou, nous nous embrassions, parce que c’est bien ce que nous a appris mon père ; on se touche en famille.
Il y avait des boîtes de jeux anciens, coulissantes, minuscules, très belles, je savais qu’elles venaient de ma grand-mère, et mon père les avait mises sous clef, derrière des grilles. Bien entendu. Rendre la beauté et la joie inutilisables. Qu’aurait-il fait de jolies choses, ce pauvre type.
Je rêve souvent que je tiens mon père à distance avec un couteau.
Je cuisine, il s’approche, il n’a rien à faire là, il me frôle, dans mes rêves il me frôle toujours. Je me retourne, j’ai le couteau, je le tiens pour ne pas que mon père approche. Il approche. Je n’ai pas peur, que du dégoût.
Une pensée comme « Et en plus il va salir ma cuisine quand il m’aura forcée à le faire saigner ». C’est une pensée très enfantine, mais après tout, qu’est-ce que je peux dire de l’enfance, à part mon père que je voudrais loin de moi et qui me frôle quand même. Je tiens le couteau. Mon père approche. Il avance et s’égorge sur le couteau. Cette nuit, je l’ai égorgé cinq fois. À chaque fois, il avait l’air content.

Il n’y a jamais de haine ou de violence dans ces rêves. Juste des gestes qui doivent être faits. Mon père ne me frôlera pas. Point.
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" Les parents ne nous élèvent pas avec des mots, ils nous élèvent par ce qu'ils font . "
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Je n'imagine pas un instant Mamie accoucher devant qui que ce soit, c'était une Viking, Mamie, son cancer a mis plus de dix ans pour la tuer, et elle m'envoyait des lettres où elle riait, elle me racontait les centaines de grammes de tumeurs et de la chair qu'on lui avait retirées, elle m'écrivait ; "Que trois cents grammes !" ou bien "Là ça tire un peu". Elle me disait qu'elle n'aurait pas le temps de finir de lire son livre sur les Celtes, qu'elle mourait bête et que c'était son grand regret. Elle me disait d'apprendre un sport de combat, que c'était important pour une femme, que c'était épanouissent. Elle avait tenu un magasin de bijoux pendant l'Occupation, le propriétaire était rentré du jour au lendemain, après la Libération, l'avait jetée dehors, physiquement. Elle avait monté son propre magasin de bijoux, avait vendu à des princesses japonaises, des femmes de présidents, avait racheté le magasin d'où on l'avait chassée. Mamie n'avait pas besoin de chocolat, Mamie n'aurait pas pleuré de peur en voyant des Allemands, Mamie n'aurait pas accouché devant des inconnus. Mamie n'était même pas morte devant son cancer, alors trois peigne-culs de vingt ans, elle leur aurait mouché le nez jusqu'à ce qu'il en pisse du lait.
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Vidéo de Justine Niogret
Présentation de Quand on eut mangé le dernier chien de Justine Niogret par l'autrice. Parution 24 août 2023. Découverte en littérature ! Un roman tranchant comme une lame dans l'étendue glacée de l'Antarctique. Inspiré par l'expédition Aurora dirigée et rapportée par l'explorateur australien Douglas Mawson en 1911 pour explorer et cartographier les confins de l'Antarctique, ce roman sous tension est une plongée immersive aux côtés de ces aventuriers dans un environnement grandiose et mortel, le froid, le blizzard, la neige et la faim, l'épuisement et l'implacable hostilité de la nature. L'écriture organique, d'une précision sans fard, de cette autrice révélée et suivie en imaginaire, transfigure l'histoire réelle pour restituer, hors du temps, la violence et la dureté des éléments et écrire un inoubliable roman de femme sur le courage de survivre.
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