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Un-Cin Coñ (Traducteur)Jacques Batilliot (Traducteur)
EAN : 9782843045004
565 pages
Zulma (07/01/2010)
4.22/5   86 notes
Résumé :

Libéré après dix-huit années de prison, l'opposant politique O Hyônu apprend que Han Yunhi, la femme qu'il a aimée, est morte. Elle lui a laissé des lettres, son journal, des carnets et des dessins.

Désemparé, perdu dans une Corée qui a considérablement changé, O Hyônu se remémore ses années d'utopie et de lutte clandestine, sa rencontre avec Han Yunhi, leurs quelques mois d'idylle hors du temps, puis les années d'enfermement.
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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“Prisonnier politique”, un terme qui me donne la chaire de poule. On est puni, tout simplement parce que nos idées et convictions ne correspondent pas à ceux qui sont au pouvoir.....et pour ça Hyonu a dû faire dix-huit ans de prison, enfermé dans une cellule. On le rencontre dans les premières pages de ce magnifique roman alors qu'il se prépare à retrouver sa liberté. Nous sommes en Corée du Sud ( et non du Nord) fin années 90.

18 mai 1980 à Kwangju eu lieu un massacre sanglant de civils par les militaires, qui mit fin au " printemps de Seoul" , nom donné à la vague de contestation aspirant a la démocratie suite à l'assassinat du dictateur au pouvoir. La détention de Hyonu y est liée, étant arrêté comme " fomenteur de trouble et d'impuretés sociales ". A l'origine condamné à perpétuité il finira avec dix-huit ans, presque le quart d'une vie humaine, où le monde a beaucoup changé. C'est un retour à la vie, donc aux souvenirs, aux sentiments et à l'usage de la parole. Et les souvenirs sont amers, ceux des années avant et durant la détention, ceux des amis disparus et surtout celui de la femme aimée, morte, Yunhi, la vraie héroine du roman. On va la rencontrer à travers les souvenirs de Hyonu, mais aussi des carnets personnels et des lettres qu'elle a laissés dans sa maison à Kalmoe. Un personnage courageux et sincère que j'ai beaucoup aimé.

C'est une écriture puissante, doublée d'un magnétisme poétique qui nous révèle cette histoire douloureuse, étroitement liée à la vie de l'écrivain et à l'Histoire de la Corée du Sud. Entre vécu et fiction , l'histoire "de l'idéalisme d'une jeunesse, la sienne et celle de ses compagnons en quête d'une utopie, de ce "vieux jardin" toujours cherché et jamais atteint” , avec la présence de la patte de l'américain, comme toujours là où il y a bordel. Pour eux l'occasion à jamais de vendre leurs gadgets mortels, des montagnes d'armes, des avions de combat supersoniques, des vaisseaux de guerre et des porte-avions ( p.375 ). Quand à l'histoire de la Corée du Sud, elle n'a rien à envier aux dictatures sud-américaines ou autres par le monde, vu leur brutalité, leur inhumanité en tout genre de tortures, massacres et disparitions.

Malheureusement tout idéologie utopique, n'arrivant pas à dépasser le stade des idées, se termine en désastre, et on revient à la case de départ; car l'homme même idéaliste, une fois le pouvoir en main n'arrive pas à échapper à sa nature de despote inné. Et ceux qui ont suivi, souffrent ou meurent pour un idéal qui s'avère finalement qu'une illusion. Lutte ou pas lutte, les idéologies suivent leurs cours, naissent, vivent et meurent, laissant la place à d'autres. L'idéal qu'on cite comme liberté , fraternité, égalité pour tous, personnellement je n'y crois plus du tout, une belle phrase, qui reste une belle phrase. Mais l'auteur lui, à la question : y a-t-il encore de l'espoir ? , répond, " Tant qu'il reste possible de s'interroger ainsi, tout peut recommencer." J'espère qu'il a raison.

" Pour parler comme Ernst Bloch, " le Vieux Jardin" serait le portrait d'une génération qui a poursuivi le rêve d'une vie meilleure ". Très triste et très beau, une première rencontre époustouflante avec Hwang Sok-Yong.


“Quel monde avez-vous tant espéré sans qu'il vous soit donné avant de partir ?”

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« le vieux jardin »…que de riches évocations émanent de ce titre… le vieux jardin, celui de l'utopie égalitariste, sans cesse cherché, jamais atteint, le jardin des rêves brisés de toute une jeunesse, en l'occurrence la jeunesse coréenne ici dans ce livre, mais de toute jeunesse du monde en réalité, broyée par la dictature militaire. Une jeunesse qui imaginait une caverne s'ouvrant sur un autre monde, ne connaissant ni la douleur, ni la violence, ni les inégalités, ni la pauvreté, ni la faim. Un monde plus harmonieux où pourrait fleurir toutes sortes de fleurs aux couleurs splendides.
Le vieux jardin, celui des souvenirs aussi, fleurs d'un rose de tissu fané mais bien vivaces, ce jardin aux feuilles veloutées, telles des mains protectrices et caressantes, dans lesquelles venir se blottir quand vous vivez l'insoutenable. le cachot. La privation. L'humiliation. L'horreur. Celle d'un prisonnier politique en Corée. Tel est l'objet de ce gros livre absolument magnifique. Appréhendé à travers le prisme d'une histoire d'amour de toute beauté et d'un portrait de femme fort. Femme qui est en vérité le personnage central du roman. Un livre de Sok-Yong Hwang que nous pouvons qualifier de chef d'oeuvre qui m'a laissé hébétée et les larmes aux yeux. Inoubliable. Beau et triste à la fois.

Libéré après dix-huit années de prison, l'opposant politique O Hyônu apprend que la femme qui l'a caché, l'a aidé autrefois et qu'il a profondément aimée, est morte relativement jeune. Elle a laissé de nombreuses lettres, son journal, des peintures et des dessins que O Hyônu découvre à sa libération. Désemparé dans une Corée qu'il ne reconnait plus, l'homme nous raconte ses années de lutte idéaliste, sa rencontre avec Han Yunhi, leur histoire d'amour, parenthèse enchanteresse dans la ville pittoresque de Kalmoe puis l'emprisonnement, les humiliations, les grèves de la faim, la solitude. S'entremêlent à ces souvenirs les écrits de Han Yunhi qui a dû apprendre à vivre sans lui, à travailler, à lutter à sa manière dans un réseau de résistants. Elle relate également son séjour en Allemagne et la chute du mur de Berlin. C'est l'itinéraire d'une peintre coréenne des années 1970 aux années 1990. L'alternance des voix de l'un et de l'autre des deux amants, souvenirs pour l'un, écrits et peintures pour l'autre, nous donne un sentiment d'union, d'entrelacement malgré la séparation et la brièveté de leur union.

J'ai été littéralement émerveillée par ce livre, véritable pépite coréenne. Sa façon de nous décrire les conditions d'incarcération tout d'abord, les sentiments éprouvés par O Hyônu pendant ces dix-huit années d'emprisonnement, est très marquante. Plusieurs images fortes sont gravées à jamais en moi. Notamment les liens d'affection des prisonniers noués avec les animaux, multiples chats errants, pigeons, fourmis, rats et souris qui rodent dans les prisons, ou encore, les sensations corporelles, sensorielles, éprouvées lors de ses nombreuses grèves de la faim des semaines durant.

« le tube fluorescent était tellement usagé que ses extrémités étaient noircies et qu'il émettait un bourdonnement de plus en plus fort. Quand dans mon insomnie nocturne je me retournais, j'avais l'impression que ce bruit traversait mon crâne en y faisant naitre des ondes. La lumière du tube allumée jour et nuit se transformait en bruit pour envahir mon cerveau. Les sensations du corps laissaient place à une conscience de plus en plus vive. Entre le troisième et le quatrième jour, c'était la frontière, une sorte de feuille blanche à la fin d'un chapitre. A partir du cinquième jour et surtout une semaine plus tard, les protestations indignées du corps commençaient à s'apaiser, à disparaitre. Les excrétions s'arrêtaient pratiquement pour n'être plus qu'un filet de liquide blanchâtre. A ce stade-là, toute odeur de cuisine me donnait la nausée. de mon corps émanait une légère puanteur de poisson saumuré, fermenté, ou de sauce soja mijotée, dont s'imprégnaient mes vêtements et ma couverture (…) Pourquoi un estomac vide rend-il les événements du passé si nets ? Prendre ses trois repas par jour, c'est appartenir au présent, c'est appartenir à ce monde. Sans cela, est-ce qu'on est du présent ? »

Ces écrits sur la prison sont d'autant plus troublants lorsque nous savons que Sok-Yong Hwang a lui-même été emprisonné pour des raisons politiques et qu'il a fait huit grèves de la faim. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser que certains passages étaient sans aucun doute autobiographiques. Et cela se sent tant les descriptions sont réalistes, puissantes, quasi hypnotiques par moment, souvent poétiques par pudeur et délicatesse. Entre vécu et fiction, ce livre mêle l'histoire personnelle de l'auteur au sein de l'Histoire de la Corée du Sud, et la tragédie romancée d'un couple séparé. C'est ainsi que, par le biais de ce récit, Hwang nous raconte également les conditions ouvrières inhumaines durant le boom économique des années 80 alimentant nos marchés, notre surconsommation. Rouage du capitalisme.

Le portrait de femme que nous offre l'auteur est également saisissant tant ce portrait nous dévoile une femme courageuse, forte, indépendante et amoureuse. C'est elle, l'héroïne du roman. La mère courage. Celle qui porte un regard lucide et sage sur la vie.

« Pendant les mois précédant sa mort, mon père et moi en étions arrivés à nous comprendre rien qu'en croisant nos regards. J'avais fini par défaire tous les noeuds. Ma mère avait sans doute compris cet homme beaucoup plus tôt, quand il était dans la montagne. Comme je n'étais pas sa femme mais sa fille, il m'avait fallu plus de temps. C'est vrai, la vie ne fait pas de cadeau. Quand j'y pense maintenant, la vie ne donne les réponses à ses énigmes qu'à ceux qui acceptent les épreuves et les douleurs. C'est normal ».

« le vieux jardin » est un roman politique, un roman historique sur la Corée du Sud de la fin du 20ème Siècle, un roman d'amour, un livre profondément humain, puissant, ambitieux, d'une finesse, d'une pudeur, et d'une intelligence rare. Un chef d'oeuvre de la littérature coréenne sur les illusions perdues de toute Révolution.

« La révolution…et après ? Cela ne devait être possible que dans un hameau perdu sur une montagne sans âme, desservi par un chemin primitif seulement accessible à un chariot ou à un âne. (…) Je décidai de vivre en aimant mon travail, d'une façon encore plus simple et tranquille que Chônghi. le gaz lacrymogène ne me fera plus pleurer. Comme les arbres d'un campus, je resterai calme, sans rien éprouver, gardant simplement quelques feuilles ».
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"Nous changeons comme une montagne de terre peu à peu usée par le vent et la trace que nous laissons dans le monde est bien différente de celle que nous avions imaginée au départ."

***

Figure majeure du paysage littéraire sud-coréen, Hwang Sok-yong a produit une oeuvre abondante qui ausculte l'histoire tumultueuse de son pays.  Une histoire contemporaine, rappelons-le, marquée par l'occupation japonaise (1910-1945), la libération puis la partition de la péninsule au sortir de la seconde guerre mondiale (1945), la guerre de Corée (1950-1953) et pour finir la succession de dictatures militaires (jusqu'en 1987). Fervent partisan de la démocratie et d'un rapprochement entre les deux nations, l'écrivain dissident a connu l'exil ainsi que l'emprisonnement (1993-1998).

Avec le vieux jardin (paru en 2000), il signe un roman d'inspiration autobiographique puissant, profond, sensible, absolument remarquable. Il y est question de combat politique, d'idéalisme,  d'attentes déçues et d'existences brisées mais aussi d'amour transcendant l'adversité. Ses quelques sept cent pages d'une beauté souvent tragique, se lisent avec intense émotion.

En toile de fond, se trouvent les grands bouleversements politiques et sociaux ayant secoué la Corée du Sud depuis les années 80, et plus particulièrement le soulèvement populaire de Kwangju qui fut réprimé de façon sanglante par les autorités. Un traumatisme individuel et collectif toujours béant.

*

Corée du Sud, fin des années 90.

"Mille quatre cent quarante-quatre, c'était depuis longtemps mon nom. J'avais presque oublié le vrai."

Condamné à perpétuité pour avoir mené des activités clandestines sous l'ancien régime dictatorial, l'opposant politique O Hyônu est finalement libéré après dix-huit ans de détention. Une fois dehors, il découvre que le monde connu jadis a fortement changé, brouillant ainsi ses derniers repères et que la femme dont il était amoureux s'est éteinte des suites d'un cancer quelques années plus tôt.

Après un court séjour chez sa soeur aînée - soutien indéfectible, il prendra la route en direction de Kal­moé. Au coeur de ce petit village perdu entre collines et montagnes, se trouve la maison où tous deux ont vécu leur passion. Lui, en cavale. Elle, sa protectrice. Des mois idylliques arrachés à une vie en sursis, avant que la réalité ne les rattrape et les sépare.

"Comme un navire qui s'éloigne du quai après avoir hissé la toile, notre amour s'apprêtait à traverser un océan où il affronterait d'innombrables vagues et tempêtes. Il venait pourtant à peine de s'éveiller."

Les murs portent encore les traces de leur passage et parmi les affaires d'Han Yunhi figurent, entre autres, de nombreuses lettres et carnets manuscrits. Un leg précieux, inespéré, salutaire. Des écrits intimes retraçant le quotidien face au gouffre de l'absence. Professeure et artiste-peintre, elle lui raconte les différents combats menés tête haute depuis son départ jusqu'à ce que la maladie l'emporte.

"Je reste cette existence vague qui attend que tu reviennes à la vie dans cet univers de poussière. Alors j'irai bien."

Gardés enfouis au fond de sa mémoire, "parce-que les entretenir n'aide pas à survivre", les souvenirs et sentiments d'O Hyônu eux aussi ressurgissent. Son parcours d'activiste et de fugitif, les idéaux poursuivis, sa rencontre avec celle qu'il n'oubliera jamais, son arrestation puis l'épreuve carcérale et son cortège d'humiliations, les grèves de la faim…

À travers ce personnage, nous le ressentons, l'auteur dévoile un pan important de sa propre expérience. Des passages criant de vérité, amenés avec pudeur et retenue, qui  enserrent le coeur. En parallèle,  il nous offre également d'inspirantes réflexions sur les affres du temps et de la perte, l'engagement, le sens du sacrifice pour une cause plus grande que soi,  la désillusion…

"Un détenu traverse des moments critiques : quand il se met en route vers la prison après la sentence; au bout de trois d'emprisonnement dans une cellule d'isolement; au début de la dixième année; quand sa femme refait sa vie; quand un membre de sa famille décède, surtout sa mère; quand son enfant est malade; quand un gardien qu'il haïssait revient; quand il est puni injustement; quand, dans un cachot plongé dans les ténèbres, sans la moindre fenêtre, il doit manger les mains menottées dans le dos et les pieds enchaînés en rampant comme un animal. Dans ces moments-là, il peut passer de l'autre côté. Son âme abandonne son corps pour se créer son propre univers."

*

Chapitre après chapitre, les deux voix s'alternent, s'entrelacent, se confondent, s'interpellent, se complètent, se répondent. Aussi brève que fut leur relation,  nous en mesurons  progressivement toute la force et la profondeur. En dépit des années écoulées, bravant la mort, un dialogue semble s'instaurer entre eux.

"Tu dois avoir un certain âge, toi aussi, à présent. Les valeurs pour lesquelles nous nous sommes battus ont été atomisées, mais elles brillent encore parmi la poussière de ce bas monde. Tant que nous vivrons, nous devrons recommencer, encore et encore. Qu'as-tu trouvé dans cette obscurité et cette solitude encerclées de murs? N'as-tu pas aperçu par hasard, en te glissant entre deux rochers, un monde plein de fleurs aux multiples couleurs dans la splendeur du soleil? As-tu trouvé notre vieux jardin?"

Au fur et à mesure que nous reconstituons le puzzle de ces destins en prise avec les soubresauts de l'Histoire, apparaissent de magnifiques portraits, sculptés avec finesse et précision. Des rencontres qui me marqueront durablement et auxquelles j'associe les mots courage, grandeur, abnégation, exemplarité. 

Pour quel combat, serions-nous prêts aujourd'hui à donner notre vie? 

Décrit comme un "roman politique et d'amour", l'ouvrage rend également un émouvant hommage à toutes les générations portées par la flamme de la résistance; celles qui ont survécu et celles qui furent sacrifiées sur l'autel de la dictature.

Sa chronologie éclatée et les petites longueurs observées en cours de lecture, n'auront à aucun moment affaibli mon intérêt. J'ai tourné les pages avec fascination et admiration, littéralement séduite par la prose envoûtante, poétique, subtilement évocatrice et éclairée d'Hwang Sok-yong

Un coup de coeur.

***

"Toi au-dedans et moi au-dehors, nous avons vécu ce monde. Ce fut parfois difficile, mais réconcilions-nous avec les jours passés."

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Hwang Sok-yong est un écrivain coréen, lauréat de nombreux prix internationaux découvert grâce à la superbe critique de HordeduContrevent que je vous engage à aller lire.

"Le vieux jardin" est l'histoire d'une révolution, d'un engagement pour une cause, mais c'est aussi une belle histoire d'amour et de sacrifice.
Récit engagé, il rend compte des évènements qui ont entouré le massacre de Kwangju en 1980.

En partie autobiographique, « le vieux jardin » est un roman saisissant de vérité. Surtout lorsque l'on apprend que l'auteur a écrit ce récit après avoir été lui-même incarcéré pendant cinq ans pour atteinte à la sécurité nationale.

*
« Pour parler comme lui, la caractéristique la plus importante de l'homme et de ce monde, c'est le changement. Nous allons vivre les changements de ce monde, moi dehors et lui dans son obscurité. J'ai envie de vivre. »

En Corée du Sud, à la fin des années 90, O Hyônu, un prisonnier politique sud-coréen, est libéré après dix-huit ans de captivité. Il découvre alors que le monde dans lequel il vivait n'existe plus et que Han Yunhi, la femme artiste peintre dont il était amoureux, est décédée depuis quelques années.

« Une fleur fanée continue à être belle, mais pourquoi le corps humain se décompose-t-il de façon si cruelle ? »

Il décide alors de retourner dans la petite ville de Kalmae, loin de l'agitation de Séoul. Là, se trouve une vieille maison de campagne où sa compagne et lui vivaient ensemble autrefois.
L'épreuve carcérale l'a fortement marqué et c'est dans cet environnement calme et rassurant qu'O Hyônu va reprendre pied dans une Corée en pleine mutation.

« Si tu as peur, laisse la porte ouverte. Il y a une brise agréable et tu pourras même admirer les étoiles. »

La maison a été laissée en état depuis le décès de Yunhi, et parmi les affaires abandonnées, il va retrouver des journaux intimes, des lettres non envoyées, des lettres reçus, des tableaux et des carnets à dessin.

« Même si on admet qu'elle existe toujours quelques part, la personne qui a disparu d'un lieu laisse le poids de l'absence à celui qui y est resté. J'avais l'impression que tous les objets, même les étoiles, allaient s'évanouir pour laisser la place à un nouveau décor, comme dans un rêve. »

Après avoir emprisonné au plus profond de son coeur, ses sentiments, ses émotions, la lecture de la correspondance qu'il n'a pas pu recevoir et du journal qu'elle lui adresse comme un testament va faire rejaillir des souvenirs de sa vie, avant, pendant et après elle.

« Une des caractéristiques d'un détenu à l'isolement depuis longtemps est qu'il n'est plus capable d'exprimer ses sentiments, parce qu'il ne peut pas les partager. »

*
Ainsi, le roman se fractionne, alternant deux voix dans une construction chronologique complexe.

Dans ses écrits, elle lui relate sa vie intime, son quotidien, ses pensées, ses souvenirs de ces quelques mois de bonheur éphémère avec lui, son amour qui ne s'est jamais éteint malgré la distance et l'absence, ses engagements politiques et plus largement, l'histoire de la Corée. On découvre une femme forte, indépendante, sensible, condamnée à vivre seule.

« Comme un navire qui s'éloigne du quai après avoir hissé la voile, notre amour s'apprêtait à traverser un océan où il affronterait d'innombrables vagues et tempêtes. Il venait pourtant à peine de s'éveiller. »

En réponse à ses confidences, O Hyônu, considère l'homme qu'il a été et nous dévoile par flashbacks, sa vie, ses rêves, ses regrets, sa lutte révolutionnaire, ses désillusions, ses années passées en prison. On découvre un homme engagé, confronté à des choix, plein d'optimisme et de projets, luttant pour faire avancer son pays vers plus de démocratie, de justice, d'égalité et de liberté.

« Il ne faut pas avoir peur des vagues qui agitent votre âme. C'est ça, la vie. »

Alors qu'O Hyônu rêvait de révolution et de lutte contre le pouvoir dictatorial et l'impérialisme américain, Yunhi ne désirait qu'une vie simple, retranchée du monde où chacun aurait été le refuge de l'autre. Sa souffrance silencieuse m'a touchée.
Ce qui est aussi bouleversant, c'est ce sentiment d'absence qui imprègne chaque page, comme s'ils vivaient chacun dans la mémoire et les souvenirs de l'autre.

« En prison, les saisons sont comme les couches concentriques d'un arbre ; ce sont de minuscules évènements qui les gravent dans la mémoire. »

*
En alternant une narration à la première personne entre O Hyônu et Yunhi, le lecteur pénètre leurs pensées les plus intimes. Elles défilent, s'intercalent, bondissant d'une époque à une autre, donnant l'impression que les deux amants se répondent.
Je me suis laissée entraîner par ces va-et-vient incessants dans L Histoire, par ces changements de narration et de points de vue sans parfois aucune articulation.

« le rêve qui me hante finit par s'évanouir comme enveloppé de fumée, aucune image nette n'en subsiste, et c'est le flou que j'appelle amour ! »

« Maintenant que j'y pense, je regrette que notre vie à Kalmoe n'ait pas duré quelques mois de plus. Ou quelques semaines de plus. Un jour de plus. »

*
Avec beaucoup de sensibilité et de pudeur, Hwang Sok-yong offre de belles réflexions sur le temps qui passe, la solitude, la vie et le bonheur, la force de l'amour, le sacrifice, la liberté et la justice, le prix à payer pour pouvoir rêver d'un avenir meilleur. Beaucoup d'émotions sont retranscrites dans les silences, les non-dits.

« C'était sur le sentier du passé que je me faufilais quand j'étais assis sur ma paillasse. »

*
Ce récit très réaliste nous permet d'apprendre beaucoup sur l'histoire récente de la Corée, la vie quotidienne des gens du peuple, leurs coutumes.
A travers la magnifique voix de Yunhi, le lecteur découvre ses combats pour s'émanciper, son implication dans le mouvement étudiant. Il découvre aussi les changements dans la société sud-coréenne, la montée du capitalisme et le passage à une société de consommation.

*
L'écriture, à la fois poétique et descriptive, douce et amère, sentimentale et profonde se concentre davantage sur les idées politiques et les répercussions émotionnelles que sur l'intrigue que l'on connaît dès les premières pages.
Le rythme est assez lent, tourné vers l'introspection et les souvenirs du passé.

J'ai été happée par ces petits moments de vie partagés, un peu moins par les idées politiques que j'ai trouvées parfois trop répétitives, redondantes.

*
Pour conclure, « le vieux jardin » est un récit émouvant, sombre et profond, dans lequel Hwang Sok-yong dessine deux magnifiques portraits.
Ce récit choral est, tour à tour, emprunt de douceur, de violence, de tristesse, de peur, d'amertume et de nostalgie.
Un beau moment de lecture.
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Je viens de terminer cette lecture dans des larmes, réelles, avec l'envie dans les dernières pages d'arriver à la fin et lorsque celle-ci est venue, l'envie de continuer, tout en sachant que la fin était là.
Ce livre que j'ai découvert tout à fait par hasard et au feeling, est sublissime. Oui j'ose cette entorse à notre langue.
Je ne vais pas le résumer, je ne vais pas découvrir toutes les histoires. Elles sont nombreuses, histoires et vies qui se croisent dans ce roman absolument fleuve, riche, dense, et qui m'a fait passer d'une froideur glaçante à des émotions d'une tendresse incroyable.
J'essaye de donner le cadre : il s'agit de l'histoire, de la vie d'un jeune coréen qui milite pour les droits démocratiques dans son pays, la Corée du sud, dont bon nombre d'entre nous ignore qu'elle a été une affreuse dictature soutenue, et même créée par les Etats-Unis. Des massacres, il y en a eu et ils sont absolument horribles : Jeju, gwangju....et ce sont des milliers de morts, torturés, exécutés, croupissant dans des prisons comme le héros de ce livre.
Il raconte son combat. Puis sa vie en prison. Ces pages sont magnifiquement atroces... comment il observe la vie d'une fourmi dans sa cellule qui l'isole de tout... Puis lorsqu'il recouvre la liberté, alors que la vie devrait renaître, il découvre tout ce qui a disparu. Comment la vie, l'espoir, l'envie, l'envie d'aimer, pourraient revenir ?
La Corée ? elle aura changé entre temps mais pour devenir quoi ? Un vaste marché commercial.
Il raconte au passage quelles ont été les conditions de vie des ouvriers et ouvrières coréennes pendant ce fameux boom économique des années 70 et 80.... Et encore des massacres pour les combattants des droits syndicaux. Et pendant ce temps on désindustrialisait ici pour profiter au sens fort, donc des milliers d'européens étaient mis au chômage pendant que des milliers de coréens étaient asservis et travaillaient dans des conditions inhumaines.
Hwang a une vision (étant donné les dates de rédaction du livre) très perspicace, très humaine, et globale. Mais il est désespéré. Comment aujourd'hui combattre ce monde de merde, basé sur la consommation, le profit, le gain alors qu'il suffirait de vivre près du "Vieux Jardin".
Ce roman est éminemment politique et d'une intelligence peu commune.
Conclusion, je m'apprête à lire ses autres oeuvres.
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Citations et extraits (37) Voir plus Ajouter une citation
Le cachot obscur prive même celui qui y est de la liberté de penser, essence de la dignité humaine. En effet, il ne pense plus. Ce n'est que lorsqu'il trouve un objectif sur lequel se concentrer qu'il peut s'assurer qu'il est toujours vivant. Ah oui ! j'ai un outil. Je dois ouvrir les menottes. Je tâtonne et je saisis le clou que j'ai caché entre deux lattes du plancher. La corde qui entrave les bras et les menottes coupent la circulation du sang, les doigts sont ankylosés. On commence par remuer patiemment ceux qui tiennent le clou pour bien en mémoriser la forme, pour les dégourdir en dessinant des lignes, des cercles, des x, en haut, en bas, à droite, à gauche. Puis on introduit le clou dans la serrure du bracelet qui emprisonne l'autre main et on tente de comprendre le mécanisme. On cherche à le crocheter en tournant et en tirant le clou, on multiplie les essais et chaque échec apporte un enseignement. Les doigts s'initient à des mouvements de plus en plus sophistiqués et tout en persévérant, les yeux fermés, le prisonnier court derrière une image.
Le vent soulève des vagues à la surface du champ d'orge. Sur une colline, de l'autre côté du champ, il y a des pins qui se penchent et un chemin sur lequel je marche. Il contourne la colline, traverse un ruisseau pour s'arrondir encore derrière la montagne. Il est bordé de deux rangées de grands saules et quand les branches ondoient dans le vent et que les feuilles révèlent l'éclat de leur ventre, on a l'impression de les entendre rire. Je marche, mais je ne sens pas les cailloux et les pierres sous mes pieds. Juste un chatouillement sous la plante au contact de la terre légèrement ramollie par l'humidité. Je glisse sur le chemin en silence, comme dans un rêve.
Un bruit métallique et cristallin et le pêne en dents de scie du bracelet se soulève. Précautionneusement, j'extrais ma main. A présent, c'est le tour de la corde.
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Un bruit de pas au loin.
Des talons martelaient le sol en ciment sur un rythme martial.
Le gardien-chef faisait sa dernière ronde.
- Rien à signaler! lançaient les gardiens.
Il lui fallait franchir deux grilles pour arriver jusqu'à moi. J'ai émergé de la couette qui me couvrait jusqu'aux épaules et je me suis redressé. Une fois assis, l'air froid de l'aube m'a transpercé le dos. (...) J'ai endossé ma défroque de prisonnier sur laquelle étaient inscrits le numéro de mon bâtiment, celui de ma cellule et mon matricule. Mille quatre cent quarante-quatre, c'était depuis longtemps mon nom. J'avais presque oublié le vrai. On me l'avait attribué quand, ce numéro ? À l'appel, à la distribution du courrier, au travail, quand j'avais une visite ou encore quand j'étais puni, c'était toujours à travers ce numéro, précédé ou suivi d'une insulte, qu'on voulait bien me concéder que j'existe.

(Incipit)
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À présent, me voilà en route. Il y a dix-huit ans, par une nuit de tempête, j'étais parti pour Séoul. Abritée sous un parapluie, Yunhi m'avait suivi jusqu'au pont. Sa jupe à fleurs de paysanne était trempée et elle avait perdu ses caoutchoucs à bout pointu. Les phares du dernier bus ont troué l'obscurité comme les yeux d'un fauve; à mesure qu'ils se rapprochaient, on voyait dans leurs faisceaux la pluie qui tombait. Avant de monter dans le bus, je m'étais retourné. Yunhi semblait vouloir dire quelque chose, mais elle s'est finalement contentée d'agiter timidement la main, sans même tendre le bras. J'étais monté, le bus allait redémarré et je m'étais précipité en vacillant vers la lunette arrière. Sa silhouette sous le parapluie un instant entrevu avait été happée par l'obscurité.
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A présent, me voilà en route. Il y a dix-huit ans, par une nuit de tempête, j'étais parti pour Séoul. Abritée sous un parapluie, Yunhi m'avait suivi jusqu'au pont. Sa jupe à fleurs de paysanne était trempée et elle avait perdu à plusieurs reprises ses caoutchoucs à bout pointu. Les phares du dernier bus ont troué l'obscurité comme les yeux d'un fauve ; à mesure qu'ils se rapprochaient, on voyait dans leurs faisceaux la pluie qui tombait. Avant de monter dans le bus, je m'étais retourné. Yunhi semblait vouloir dire quelque chose, mais elle s'était finalement contentée d'agiter timidement la main, sans même tendre le bras. J'étais monté, le bus avait redémarré et je m'étais précipité en vacillant vers la lunette arrière. Sa silhouette sous le parapluie un instant entrevue avait été happée par l'obscurité.
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Je me suis levé. Je me suis étiré et, comme d'habitude, j'ai écarté les bras à l'horizontale pour pousser sur les deux murs, les mains bien à plat. Ils étaient couverts d'une couche blanche de givre. Il en allait de même pour le plafond, sauf à l'endroit où ma respiration nocturne avait formé des gouttelettes. La cellule était de deux empans plus large que l'étroit matelas et d'un pas plus longue, d'un pas qui amenait à la porte des toilettes. Devant cette porte, il y avait un seau d'eau ; sur le mur, trois étagères en plastique où l'on rangeait ses bricoles et la vaisselle. Une mince couche de glace recouvrait l'eau du seau.
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