Au début des années 50, dans la grisaille provinciale, un homme tente d'écrire le roman de sa vie, mais il est découragé par sa propre médiocrité: "0n n'écrit pas des livres avec ça. Je ne sais que regarder ma vie, et c'est un spectacle sans agrément. Ma vie ou les vies niaises, affairées et peureuses qui côtoient ma vie....."
" Même servitude, même décomposition dans la vacherie quotidienne.
Mêmes joies aussi, des joies courtes, des joies furtives humiliées et mutilées."
Le ton est donné, "
le wagon à vaches" est une dénonciation..... de toutes les suffisances et les imbécillités....,il peut se définir comme le journal de l'après guerre,un homme quelconque, enfermé dans son petit métier, dans des fréquentations médiocres....
Il décrit Bourdalou, son voisin, triste comme un prédicateur,conformiste dans son petit confort vaseux, son bonheur fleuri, dans sa vie ronde, morale et grasse d'entrepreneur en maçonnerie, avec gourmandise,une ironie féroce et un grand talent de portraitiste....
Il jette un regard désenchanté, sans concession, très dur, révolté sur la littérature de l'époque:
"La littérature française, Dieu merci, peut se passer de mes services, elle ne manque pas de bras, la littérature française, ça fait plaisir...."
"On a des anxieux, des maux du siècle, des durs et des mous, des bien fringués, des chefs de rayon.....
"Et les psychologues, et les pédérastes, et les humanistes, et les attendris, et les enfants du peuple à qui ça fait mal au coeur de posséder tant de culture à eux tout seuls, et les moralistes nietzschéens qui ont été élevés dans une institution de Neuilly....."
"On a de tout , on n'en finit pas. On a ceux qui giflent les morts et qui conchient l'armée française,et puis se rangent, qui ne plaisantent pas avec la consigne..."
"Les travailleurs de choc qui vous édifient des trente volumes de roman, et toute l'époque est dedans, il y a des tables et des index méthodiques pour qu'on s'y retrouve...."
"Et les petits jeunes gens qui parlent tout le temps de leur génération.
"Et s'ils racontent en deux cent vingt pages qu'ils ont fait un enfant à leur bonne, cela devient le drame d'une génération......"
Georges Hyvernaud jette un regard méprisant et ulcéré sur le monde des lettres....qui le lui rendit bien....
C'est un récit de révolte où il cultive à dessein, une certaine aversion envers ses semblables, ces petits marquis, une chronique de l'absurde, de ce même absurde vécu au niveau de la misère quotidienne par les individus les plus ordinaires.
Mais c'est bien plus que cela, le regard d'un véritable anti- héros, un narrateur à l'humour très noir,un portrait acéré des miséres et des désillusions de l'aprés guerre, la petitesse de son entourage, son désespoir suite à l'enfer vécu au stalag: voir "
La Peau et lesOs" du même auteur.....
L'ancien prisonnier de Poméranie croque les hypocrisies, les faux semblants en forme de plaidoyer amer.....
Quelle épopée construire à partir de tant d'existences détruites, de morts vivants,un gardien de square, une bouchère,un ex- collabo,un chanoine, un collègue, un voisin,tant de solitaires, de pauvres, d'oubliés.....?
Le titre de cet opus vachard et enlevé, "
Le Wagon à Vaches,"un symbole" est à l'image de ce train de prisonniers qui l'emportait autrefois, il n'y a pas si longtemps, en Allemagne,ce troupeau humain en route vers le Néant , dont beaucoup ne revinrent pas ou abîmés dans leur chair et dans leur âme.....
Cette dénonciation amère, poignante et désenchantée nous rappelle qu'un monument ne suffit pas aux morts si la mémoire fait défaut aux vivants.....
Mais ce n'est que mon avis.