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The Dark Star tome 1 sur 2
EAN : 9782226442499
704 pages
Albin Michel (28/09/2022)
3.87/5   63 notes
Résumé :
Dans un lointain royaume d’Afrique orientale, Pisteur est connu de tous pour ses extraordinaires talents de chasseur. « Il a du nez », dit-on de lui. Ce don lui vaut d’être recruté, aux côtés de huit mercenaires hauts en couleur, pour retrouver un mystérieux garçon disparu trois ans plus tôt. Mais très vite, de cité en royaume légendaires, les obstacles se multiplient et d’étranges créatures semblant bien décidées à leur barrer la route. Pisteur ne peut alors s’empê... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
3,87

sur 63 notes
Comme une blague, Marlon James s'était amusé à présenter son roman comme un « Games of thrones africain », surpris ensuite de voir son expression reprise par les journalistes. Oui, Léopard noir, loup rouge s'inscrit bien dans le genre fantasy, oui il y a bien en arrière-plan des querelles dynastiques entre prétendants au royaume, mais la comparaison s'arrête vraiment là. Ce premier tome d'une trilogie annoncée ( Black star ) est l'oeuvre d'un lecteur vorace qui a digéré tant son Tolkien que les contes folkloriques africains et les légendes de ce continent, mais aussi celle d'un brillant inventeur qui ne contente pas de recycler mais forge un récit détonnant aussi singulier que puissamment dopé à l'adrénaline et la testostérone.

On ne vas se mentir, j'ai mis à peu près deux cents pages avant d'arriver à saisir le fil du récit raconté à la première personne par Pisteur, mercenaire doté d'un odorat phénoménal qui lui permet de retrouver à des kilomètres à la ronde la trace d'une personne. Lorsqu'on fait sa connaissance, il est soumis à la question par un Inquisiteur qui veut lui arracher des confessions sur une précédente mission. Nous sommes dans une Afrique antique et païenne, pré-islamique, pré-colonisation. La complexité de la trame narrative est vertigineuse ; sans compromis, elle évite toute propulsion facile, gorgée de milles digressions, de milles contes secondaires initiées par l'arrivée d'un des très nombreux personnages rencontrés par Pisteur, sans aucune délimitation discernable par rapport à l'intrigue principale. J'ai mis longtemps à l'identifier, et pourtant c'est la boussole de fer au centre des six cents pages : la quête d'un mystérieux enfant disparu depuis des années, Pisteur et d'autres mercenaires ayant été payé par un esclavagiste pour le retrouver, ce ne sont pas les seuls …

Tour de force, cette épopée fantasy picaresque compose un univers cohérent, à la fois totalement imaginaire et pourtant réaliste, des cités ( incroyable Dolingo ) et des royaumes dans lesquelles évoluent des protagonistes en perpétuel déplacement. Pour retrouver l'enfant, Pisteur est entouré d'une bande hétéroclite de super héros dotés de pouvoirs : Sogolon la sorcière de la Lune, Léopard un métamorphe mi léopard mi humain ( personnage le plus « sexy » et le plus drôle de la bande ), Sadogo le géant ou encore une Bunshi une déesse de la rivière. Autour d'eux cela grouille de créatures toutes plus dangereuses les unes que les autres : Ipundulu, l'oiseau-foudre, une créature vampirique ; les frères cannibales Asanbosam et Sasanbonsam, un mangeur de chair humaine et un suceur de sang ; les Omoluzu qui apparaissent sur les plafond attirés par le sang de ceux qu'ils vont pourchasser sans fin pour les dévorer ; ou encore les Savants blancs, effrayants nécromanciens.

Evidemment, avec de telles rencontres, le danger est permanent, l'ultra violence éclate dans chaque page, cruelle, gore, horrifique, confinant dans de nombreuses scènes de viols, tortures, combats. La sexualité est également omniprésente dans ce monde de passions et d'appétits bestiaux : il y a beaucoup d'orifices, de fluides corporels et d'organes génitaux en érection. Cependant, même si on sent une certaine jubilation de l'auteur à décrire les scènes les plus brutales, la violence n'est jamais totalement gratuite car chaque acte violent à des conséquences qui propulse l'intrigue, résonnant en de longs échos.

Dans ce chaos infernal, les plus effrayants ne sont pas les monstres qui assument, eux, leur agressivité sanguinaire, et avancent, eux à visage découvert. Ce sont les personnages humains qui portent tous des masques, cherchant à dissimuler leurs intentions, à tromper, tricher, corrompre, trahir dans un récurrent jeu de rideaux. En fait, derrière la violence dantesque, la fantasy épée et sorcellerie bien brutale, la grivoiserie rabelaisienne de certaines situations, ce roman kaléidoscopique est une oeuvre queer explorant la nature changeante de l'identité. Presque tous les personnages, à commencer par Pisteur, ont une sexualité fluide ou ouvertement homosexuelle, à l'image de la cérémonie initiatique ku qu'il raconte : les êtres humains naissant avec deux identités, male et femelle, il convient de trancher pour devenir homme ou femme, ce qui n'empêche l'individu de se questionner sur la part occultée qui subsiste en lui et peut ressortir à tout moment. « Nique les dieux » scande en permanence Pisteur pour rappeler son affranchissement à tout déterminisme, divin ou pas.

Bref, tout est surprenant dans ce livre-monde qui rebat les cartes du genre fantasy avec force et brio. Pour ma part, je suis encore en mode digestion de ces plus de 600 pages folles, encore grisée par cette expérience littéraire hors-norme qui demande un engagement ferme du lecteur, aussi bien exténuée par la densité des excès formels et romanesques de l'oeuvre que revigorée par son électrisante énergie.
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Foisonnant, sensoriel, sensuel, horrifique, poétique, magique, envoutant, protéiforme, kaléidoscopique…tant d'adjectifs me viennent immédiatement à l'esprit pour qualifier ce livre que j'ai tour à tour détesté et adoré…Dans tous les cas hors norme, ce livre de Marlon James, auteur jamaïcain connu pour son roman "Brève histoire de sept meurtres" qui a remporté le Man Booker Prize en 2015.
Des semaines de lecture à petites doses pour le déguster comme il se doit, me demandant par moment ce que je faisais là, m'extasiant à d'autres moments, écoeurée parfois tant par les images, très dures, que par les odeurs, très fortes, souvent éblouie par la beauté des paysages et la philosophie universelle qui émerge de cette histoire…

En fait ce livre m'a fait l'effet d'une immersion brutale et sans crier gare dans la brousse africaine. Une chaleur humide m'a immédiatement fait transpirer tout au long de cette errance jusqu'à l'hébétude, voire le malaise. Des fleurs blanches s'ouvraient à mon arrivée, et se fermaient aussitôt que je me penchais pour mieux les observer, tentant de déchiffrer leur message, tout étant tellement ésotérique dans ce voyage, rien ne se livrant facilement, envoutée néanmoins par leur fort parfum musqué. Certaines lianes pendaient, d'autres remontaient s'enrouler dans les arbres, d'autres encore m'effleuraient pour mieux m'attirer dans leurs entrelacs desquels j'avais du mal à m'extirper. Il faisait sombre, les feuilles cachant la plus grande partie du ciel. Des sons se répercutaient et surtout des odeurs, mille odeurs inconnues et exotiques, m'assaillaient de toute part. J'ai croisé des mingis, ces enfants différents, déformés, albinos ou sans peau, présages de malheur, menacés de massacre pour en revendre les différents membres ; j'ai vu des êtres terrifiants et sanguinaires, les Omoluzu, qui apparaissent au plafond pour mieux se jeter sur leur victimes, assistant ainsi à des spectacles d'une cruauté innommable. J'ai été témoin de la transformation d'un homme en animal et vice versa, l'ami du héros étant un métamorphe, personnage aussi viril que drôle, j'ai fait la connaissance d'une fille fumée, d'une déesse de la rivière, d'une femme-foudre mise en cage, d'un géant (un Ogo), de la Sorcière de la Lune vieille de plus de trois cent ans.…tout s'emmêle dans ma tête quant aux étapes du voyage, quant aux richesses rencontrées, c'est confus et foisonnant, ça pétille de vie et de mort, mais j'ai su dès le départ qu'elle était clairement la ligne directrice de cette épopée : la recherche d'un enfant.

« J'ai porté le tissu à mon nez – une année de soleil, de nuit, de tonnerre et de pluie, des centaines de journées de marche, des douzaines de collines, de vallées, de sables, de mers, de maisons, de villes, de plaines. Une odeur si forte qu'elle est devenue un soupir, un son, une caresse. Je pouvais avancer la main et toucher le garçon, le saisir par l'esprit et vaciller sous le coup de sa distance, tant il était loin. Trop loin, et ma tête se hâtait, sautait et coulait sous la mer puis volait de plus en plus haut, plus haut, et sentait un air sans fumée. Une odeur qui me poussait, me tirait, me traînait au travers de jungles et de tunnels, me faisait dépasser des oiseaux, de la chair déchirée, des insectes mangeurs d'hommes, de la merde, de la pisse et du sang. le sang a afflué en moi. Tant de sang que mes yeux sont devenus rouges, puis noirs ».

« Léopard noir, loup rouge » est un roman de fantasy historique et de réalisme magique qui se déroule dans un univers imaginaire inspiré de l'Afrique précoloniale et préislamique, une Afrique païenne. Il suit les aventures de Pisteur, un chasseur engagé pour retrouver un enfant disparu dans une contrée peuplée de créatures surnaturelles et de magie. En effet Pisteur est doté d'un odorat d'une puissance inégalée lui permettant de retrouver à des kilomètres à la ronde la trace d'une personne. Vous l'aurez compris, le roman est rempli de références à la mythologie, à la culture, aux rites et à l'histoire de l'Afrique, mais il est également un roman d'aventure et de quête personnelle pour le personnage principal. Et cerise sur le gâteau, le livre ne manque pas d'humour. Il est narré par Pisteur lui-même qui raconte alors qu'il est fait prisonnier, soumis à la question par un grand inquisiteur.

Bi oju ri enu a pamo : « L'enfant est mort. C'est tout ce qu'il reste à savoir »
Voilà ses premiers mots.

Tous ces ingrédients sont terriblement attirants, certes, mais que ce livre est complexe dans sa flamboyance ! j'avais le tournis au milieu de toutes ces digressions, toutes ces histoires racontées parallèlement à l'histoire centrale à laquelle je m'accrochais comme je pouvais, celle de la recherche d'un mystérieux enfant par plusieurs personnes dont Pisteur, toutes ces personnes ayant été payées par un esclavagiste pour le retrouver…Comme si au milieu de la brousse dans laquelle j'errais, cette recherche de l'enfant était le chemin à suivre et que très souvent je me perdais sur des pistes secondaires, rendant le récit éminemment épique et picaresque, c'est vrai, mais confus aussi. Sans savoir parfois si vraiment le chemin de l'enfant était le chemin à suivre, ne sachant plus ce que je cherchais, tournant sur moi-même, pour retrouver enfin la piste, plus large, de celle menant à l'enfant.

Étonnée, parfois dérangée, aussi par la permanence de la sexualité, notamment de l'homosexualité, soulignée sans cesse, tout au long de ces presque 700 pages. Beaucoup de sexes, de sexes en érection, de fluides, de sueur, de sperme, de sang, d'instincts primaires, de bestialité. Mais en même temps une sexualité libre, ouverte, où les genres se mélangent et se confondent, Pisteur étant à la fois homme et femme n'ayant pas pu participer à la cérémonie ku de la virilité. Ceci étant,la sexualité pose toujours question, les êtres humains s'étant fait retirer leur part féminine (circoncision) ou masculine (excision) ne cessent ensuite d'être hantée par leur part coupée, perdue…Enfin, j'ai eu parfois l'impression d'un énorme chaudron dans lequel Marlon James avait pris un malin plaisir de déverser tout ce qu'il pouvait dedans, toutes les mythologies, tous les rites, toutes les bêtes imaginaires, donnant un brouet certes délicieux à petites doses, quelque peu indigeste dès qu'on le déguste plus longtemps. Impossible pour moi de lire plus de 30/40 pages d'affilé.

Si je suis contente d'avoir découvert ce livre de réalisme magique africain, ce premier tome de la Dark Star Trilogy sera pour moi la seule expérience tant j'ai peiné à lire ce livre en entier alors que j'aurais tant aimé être davantage emportée. Un amour-haine que j'ai du mal sans doute à expliquer, une note de 2,5 qui ne veut pas dire grand-chose mais qui traduit sans doute cette ambivalence…il faut sans conteste se faire sa propre expérience pour savoir ce qu'il en sera pour vous, la rencontre est dans tous les cas, avec un tel livre, unique et singulière. J'en suis certaine, jamais vous n'avez lu un tel livre. Je remercie chaleureusement Marie-Laure (@Kirzy) pour cette lecture, si je suis moins enthousiaste qu'elle (je vous invite à découvrir sa somptueuse critique), je suis consciente d'avoir découvert un livre qui fera parler de lui, c'est certain ! Des personnes ici, comme Just a Word, parlent même d'une saga monumentale et unique d'une fantasy qui fera date. Un livre à expérimenter !
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Comment révolutionner la fantasy ?
Peut-on désormais faire autre chose que du Game of Thrones-like après le succès monumentale de la saga de George R.R. Martin ?
Genre balisé où les plus gros succès ne sont souvent que des décalques des schémas habituels, la fantasy semble sur le déclin depuis quelques années.
C'est dans ce contexte qu'un auteur jamaïquain ambitieux décide d'écrire un Games of Thrones africain… une plaisanterie qui va pourtant l'amener à écrire une trilogie fantasy dont le premier volume, Black Leopard, Red Wolf, subjugue la critique américaine.

Marlon James : écrivain et griot des temps passés
Cet écrivain, c'est Marlon James, auteur de trois autres romans jusque là dont le très remarqué Brève histoire de sept meurtres, un pavé de 856 pages articulé autour de la tentative d'assassinat de Bob Marley et ses conséquences. Récompensé par le Man Booker Prize en 2015 et listé par le Time comme l'une des 100 personnes les plus influentes de l'année en 2019, Marlon James décide d'écrire une trilogie de fantasy qu'il décrit d'abord en plaisantant comme un « Games of Thrones africain » (chose qui sera souvent prise au premier degré par les critiques et journalistes par la suite) avant de le présenter comme un projet à la Tolkien, créant un monde imaginaire entier mais à partir du continent africain cette fois et, plus spécifiquement, de l'Afrique sub-saharienne. Mixant des influences venues d'Afrique de L'Ouest (Mali, Ghana…) et d'Afrique Centrale, Marlon James brasse mythes et légendes pour raconter une histoire protéiforme et brutale dans laquelle les hommes vivent et meurent pour l'honneur et les traditions.
Ainsi né Black Leopard, Red Wolf, premier volume de la Dark Star Trilogy, première pierre d'une saga monumentale et unique d'une fantasy qui fera date.

Bi oju ri enu a pamo*
« L'enfant est mort. C'est tout ce qu'il reste à savoir »
Voilà les premiers mots prononcés par Traqueur, narrateur de ce Black Leopard, Red Wolf et prisonnier soumis à la question par un grand inquisiteur. Captif, l'homme rechigne d'abord à livrer son histoire et préfère nous en livrer trois autres à la place : l'une dans laquelle il traque une femme qui a fuit son mari violent pour la rapporter vivante audit mari non sans lui donner les armes pour se défendre, une autre où il raconte son face-à-face avec son père qu'il laisse pour mort ou à peine vivant avant d'abandonner sa mère pour partir à la recherche du village de ses ancêtres, et une dernière où il s'aventure dans l'autre monde pour mettre la main sur un Roi réclamé par sa Reine éplorée et pour laquelle Traqueur va affronter les « Roof walkers » , les terribles Omoluzu. Trois histoires, trois fables orales transmises à l'écrit par Traqueur et retranscrites par la plume virtuose de Marlon James.
Un seul chapitre et toute l'essence du roman capturé d'un seul trait.
Un roman violent, brutal, impitoyable, tissé de récits oraux et de fables, hanté par les monstres d'un Afrique ancienne et fascinante, porté par la voix d'un personnage unique, splendide et charismatique en diable.
Car Traqueur n'est pas un homme comme les autres et chaque personne qui croise sa route lui en fera la remarque : Traqueur a du nez. Et quel nez !
Grâce à lui, il peut sentir l'odeur d'une personne ou d'une bête et la trouver à des kilomètres de distance, peu importe le nombre de jours qu'il faut. Traqueur a du nez…mais aussi une bouche ! Élevé par un père violent qu'il rejette brutalement, Traqueur est un gamin trahi, blessé et en quête d'une figure paternelle qu'il croit d'abord trouver dans son village natale en pays Ku, au bord de la rivière. Là-bas, il vit un temps avec son oncle avant de rencontrer le plus étrange des hommes, et pour cause, puisqu'il n'en est pas un lui-même.
Léopard entre dans la vie de Traqueur et le marque immédiatement au fer rouge. Ce change-forme capable de se transformer en léopard lorsqu'il le souhaite, va l'attirer dans une mission de la première importance : sauver des enfants mingis et les mettre à l'abri auprès d'une Sangoma, une anti-sorcière.
Car l'Afrique dans laquelle vit Traqueur n'est pas une Afrique agréable et facile mais un territoire barbare où la superstition et les traditions ont le cuir épais.

La malédiction de l'existence
Dans Black Leopard, Red Wolf, pas une trace de peau blanche ou presque. Ceux qui ont la peau blanche, les enfants albinos, les mingis, sont impitoyablement recherchés. Les plus chanceux seront tués ou abandonnés dans la savane, les autres finiront entre les mains des terribles sorcières qui les dépèceront pour en faire des talismans et des poudres magiques.
L'Afrique de Marlon James ne ressemble en rien aux continents imaginaires de notre fantasy européenne habituelle. le lecteur attentif devinera les indices du monde réel caché de-ci de-là, avec des hommes au Nord qui mangent leur Dieu, une grande inondation qui a lavé le monde de ses péchés, un prophète à l'Est et ses suivants qui vénèrent un seul Dieu et craignent un seul Diable. Cette Afrique vit avant l'Islam et la Chrétienté, bat au rythme des dieux païens et des croyances ancestrales, dirigée par des rois et des reines tous plus fous les uns que les autres. Fous de gloire ou d'honneur, assoiffés de conquêtes ou de vengeances.
Ainsi, voici Traqueur et Léopard qui sauvent des mingis, des enfants maudits, certains déformés, d'autres à la peau sans couleur et d'autres encore sans peau du tout. Est maudit celui dont les dents du hauts percent avant celle du bas comme celui dont les jambes trop longues le font ressembler à une Girafe. Mais est-ce de l'un de ces enfants que Traqueur nous parle dans ses premiers mots ?
Non.
Traqueur affrontera ses premiers démons aux côtés de Léopard dont il tombe éperdument amoureux, prenant acte de son homosexualité et des risques que celle-ci lui font courir dans certains royaumes où l'on coupe le sexe de l'homme qui aime l'homme. Des années plus tard, Léopard reviendra pour lui proposer une nouvelle aventure dans le bush : trouver un enfant pour le compte d'un marchand d'esclaves.
Car cette Afrique est celle, aussi, de l'esclavage et du servage, de l'homme utilisé par l'homme et de la cruauté de la naissance. Même si l'on échappe à la malédiction mingi, on peut encore finir enchaîné dans la caravane d'un riche esclavagiste qui n'hésitera pas à nous castrer si bon lui semble.
Mais ceci, encore, est une autre histoire car celle qui nous intéresse, c'est celle de l'enfant. Et cet enfant cache bien des secrets.

De l'histoire orale au parchemin brûlé
Recruté par l'esclavagiste, Traqueur devient membre d'une Communauté pour mettre la main sur l'enfant. Mais de ce clin d'oeil à Tolkien, Marlon James en fait une compétition acharnée. Les « alliés » de Traqueur sont aussi sûrement des traîtres et des individus qui cachent mille cachotteries et cadavres. Traqueur part avec Léopard et Bunshi, un esprit de la rivière trompeur et rusé, mais aussi avec Sogolon, la sorcière de la Lune vieille de plus de trois cent ans, sans parler de Sadogo, un Ogo, c'est-à-dire un gigantesque guerrier qu'on pourrait facilement confondre avec un géant (mais ne l'appelez jamais ainsi en sa présence). Chacun recèle des secrets et des histoires pleines de morts et de tristesse, de victoires et de rêves de revanches. Très rapidement, la communauté se scinde et chacun cherche le garçon à sa façon. Pour le reste, nous n'en diront pas plus car Traqueur a beaucoup, beaucoup de choses à vous dire.
Black Leopard, Red Wolf est la prodigieuse mise à l'écrit d'un tissage ahurissant de densité de légendes orales, perpétuant et ressuscitant la manière de transmettre l'histoire en Afrique. Marlon James nous offrent des histoires, celle de Traqueur, de Sogolon, de Mossi, de Léopard…et de tant d'autres. Des histoires comme des perles sur un collier, des histoires dont on doute souvent et qui font de Traqueur un narrateur non fiable, car soumis à la question d'un Inquisiteur qui a, lui-même, entendu d'autres versions.
Avec un incroyable sens de l'enchevêtrement, Marlon James imbrique les histoires les unes dans les autres, transformant sa plume en quelque chose d'insaisissable, comme une forme de parole au coin du feu où le chasseur vous raconte les monstres qu'il a croisé dans l'obscurité et la forêt.
Et des monstres, Black Leopard, Red Wolf en regorge.

Vampires et oiseau-tonnerre
Si le roman de Marlon James épate son lecteur, c'est par son background fantasy unique et absolument fabuleux. Dans ce premier volume, vous croiserez les Omoluzu, les « Roof Walkers » qui apparaissent au plafond par la magie du sang et qui traquent sans relâche leurs victimes…pour leur échapper, dormez à la belle étoile !
Mais on croise aussi un mangeur de chair et son frère suceur de sang, un scientifique devenu une monstrueuse araignée, des sorcières des marais et des bultungins (ou hyènes change-formes), un boucher des Dieux capable de contrôler les masses par la pensée ou d'ouvrir la terre sous vos pieds, un impundulu qui boit le sang de ses victimes et les zombifient en le remplaçant par des éclairs, un singe fou et un buffle intelligent, des trolls des marais et un être fait d'insectes et de vers.
On croise tout cela et bien davantage dans Black Leopard, Red Wolf et chaque page, chaque chapitre réserve son lot de choses extraordinaires tirées des rêves et cauchemars d'une Afrique trop longtemps ignorée.
Marlon James n'oublie pourtant jamais le monstre suprême, la bête qui effraie toutes les autres bêtes : l'homme. Car son roman n'est pas fait pour les tendres ou les lecteurs fragiles, il est fait pour ceux qui sont prêts à affronter le réel en face, armé de courage et de beaucoup de ténacité. L'homme est un monstre mais lui seul peut cacher sa figure de monstre derrière un masque de chair en apparence humain. le roman figure une épopée barbare, au sens le plus strict du terme, dans une époque où la loi du plus fort prévaut, à la force de la hache et de l'épée. L'histoire nous emmène dans des lieux extraordinaires comme la cité des tunnels Malangika, ou la cité d'arbres, Dolingo où l'on croit d'abord apercevoir la reine Galadriel avant de découvrir l'horreur derrière la magnificence. Marlon James n'hésite jamais à montrer la brutalité et l'indicible. Meurtre, viol, torture et autres mutilations sont de la partie. Car le monde est une chose dure et l'aventure de Traqueur l'est encore davantage.

Pour trouver qui je suis
Pourtant, au milieu de la barbarie et de la violence des hommes, Marlon James repêche une lueur d'espoir avec ce qui unit bientôt Traqueur et Mossi, un amour qui pourrait être rédempteur, la possibilité d'un homme de devenir un père quand lui-même n'a jamais pu connaître et venger le sien.
Tout du long, Black Leopard, Red Wolf s'interroge sur l'identité, le pouvoir et la tradition. Tout du long, Marlon James façonne un narrateur qui devient émouvant dans les fêlures qu'il refuse de montrer, sous la rage ou sous la peine. Derrière le Traqueur, derrière le combattant et le chasseur, se cache un individu plein de larmes et de remords, qui refuse de faire face à lui-même et tente la rédemption sans même en avoir conscience.
La beauté cruelle de l'entreprise permet de voir en cet homme faillible un être humain à la hauteur du réel. Un homme trahi par ceux qui l'aiment et qui hait parfois les mauvaises personnes. Un homme qui déteste les femmes et qui a peur d'elles dès qu'elles ont du pouvoir. Un homme avec d'immenses défauts dans sa cuirasse et pourtant l'infime espoir nourri d'un baobab et d'enfants qui ne sont pas les siens. La beauté fulgurante de la prose de Marlon James fait le reste, s'interrogeant sur l'identité faite en nuances de gris et non de noir et de blanc, de coupables et de victimes. Black Leopard, Red Wolf n'est pas qu'une aventure fantasy originale et aux mille monstres exotiques, c'est aussi une histoire poignante et émouvante, celle d'un homme forgé par la cruauté alors qu'il ne cherchait qu'à savoir qui il est.

Black Leopard, Red Wolf révolutionne la fantasy.
Livre de tous les superlatifs, sublime résurrection de la mythologie africaine qui pense l'humain et le monstre dans un même élan fait de fables et de chants, le roman de Marlon James est un chef d'oeuvre total, un miracle d'intelligence et de violence dont on ressort abasourdi et haletant. Une merveille qui fera date.

NB :
Le roman sera publié en Octobre 2022 en France dans la collection Terres d'Amérique chez Albin Michel et traduit par Héloïse Esquié… coïncidant ainsi avec la venue en France de Marlon James lui-même !
Lien : https://justaword.fr/black-l..
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Avant-propos

En premier lieu, je remercie très chaleureusement Gilles Dumay (Albin Michel Imaginaire) et Carol Menville pour m'avoir envoyé ce service de presse pour me permettre de découvrir cette incroyable oeuvre !

Premier tome d'une trilogie de l'auteur jamaïcain Marlon James, j'avais vu passer Léopard Noir, Loup Rouge sur Instagram et dès lors je n'avais plus eu qu'une envie : lire ce roman qui promettait d'être très différent de mes lectures habituelles. Ne serait-ce que parce qu'il s'agit d'une fantasy africaine.

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Introduction

Imaginez un monde ancien, une terre féroce maudite par la loi du plus fort. Une Afrique antique, sauvage et hallucinatoire, que les dieux semblent avoir abandonnée, laissant moultes créatures monstrueuses y faire leur nid. C'est un univers de dark fantasy qui se dessine, violent, riche et complexe, mais tout autant flamboyant.

Aux lecteurices de l'Occident assoiffé.e.s de lectures radicalement différentes, engagées, protéiformes, proposant personnages, décors et bestiaires d'autres cultures, arrêtez-vous sur ce roman. Si vous avez le coeur bien accroché, venez vous plonger dans les récits de Pisteur, lui qui ne croit pas aux dieux, bien qu'il combatte des êtres maléfiques, avant tout les hommes.

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La quête de Pisteur, narration protéiforme

D'emblée, nous entrons dans une narration orale, car Pisteur est interrogé par un Inquisiteur, accusé du meurtre d'un enfant. Car il y a plusieurs années, il avait été engagé pour retrouver un enfant, or l'on sait depuis le départ que celui-ci est mort. Toutefois, c'est loin d'être un récit linéaire que raconte Pisteur. Il mêle plusieurs histoires, dont celles d'autres pour, au final, dresser son évolution mais rapporter les visages changeant du monde dans lequel il vit, les horreurs et la cruautés humaines.

Ainsi, ce sont quêtes initiatiques, quête d'identité, de vérité, mission, rencontres, combats, tortures, métamorphes, sorcières, savants blancs, démons du plafond, vampire, oiseau-foudre qui ponctuent cet ouvrage coup(s) de poing. L'imagination de Marlon James se tisse avec une base de mythologies, légendes et folklores africains au point de ne plus les différencier.

Pisteur « a du nez », il est connu pour ça et d'ailleurs il vie à travers ce don, si on peut l'appeler ainsi. En effet, il est missionné : il est payé pour retrouver des personnes. Dès qu'il capte une odeur, il peut la suivre sur des distances incroyables et ce pendant des années. Au tout début roman, il revient sur quelques-unes de ces missions. Nous comprenons dès lors qu'il possède sa propre vision du monde, sa propre morale : ainsi il retrouve une épouse qu'il reconduit à son mari en lui ayant laissant une arme. Mais très vite, le récit bascule en incluant un bestiaire d'êtres et de créatures maléfiques, surnaturels, car les territoires où voyage Pisteur témoignent de mythologie vivante.

Cet enchevêtrement narratif, proposant à la fois plusieurs histoires et donnant voix à celles d'autres personnages, est lié à la magie, à la monstruosité, à l'imaginaire réel. Et si vous doutez de la véracité de tout ceci, venez écouter Pisteur raconter son histoire.

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Face à la magie

Plus jeune, alors qu'il est en quête de se origines, de son identité, Pisteur va rencontrer un étrange jeune homme qui va le mener aux rencontres qui bouleverseront son destin. le Léopard apparaît dans sa vie, ce métamorphe homme/léopard ou léopard/homme, ainsi qu'une Sangoma (une « anti-sorcière ») et des enfants Mingi. Ces derniers sont considérés comme maudits, maléfiques, car ils sont différents, pouvant par exemple avoir des jambes trop longues, être albinos ou simplement avoir les dents du haut qui poussent avant celles du bas. Nourrissons, ils sont voués à être abandonnés, à être tués ou à être vendus à des sorcières, qui les dépèceront pour vendre leurs membres et leurs organes, pour préparer onguents et poudres soi-disant médicinaux.

Pisteur sauve des enfants Mingi avec le Léopard. Plus tard, par trahison, le refuge de la Sangoma est attaqué, alors qu'elle tentait de sensibiliser Pisteur à la magie ; d'ailleurs elle lui laissera une marque de protection ainsi qu'une ou deux formules. Elle l'aura davantage marqué, car son nom reviendra régulièrement dans ses récits ; l'on voit qu'elle a contribué à des changements dans sa perception de voir les mondes (la jungle des rêves pour ce citer qu'elle).

Dans cet univers, les hommes sont les proies de monstres, certains appelés par des sorcières, par la magie du sang (les Omoluzu), d'autres étant plus primairement prédateurs (Asanbosam et son frère Asanbonsam, l'un mangeur de chair humaine et l'autre buveur de sang). Mais il y a également des nécromanciens, dont les savants blancs qui mêlent l'alchimie à la nécromancie, ou encore le Mauvais Ibeji (jumeau difforme qui vous fera cauchemarder).

Ce folklore comporte lot de trahisons, d'alliances insoupçonnées, car dans chaque coeur bat la vengeance, la quête de vérité, de changement ; n'oublions pas que la loi du plus fort prévaut.

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Une drôle d'équipe

Le coeur du récit s'articule comme les plus épaisses lianes de cet enchevêtrement narratif autour de la mission de retrouver le garçon. le garçon, il n'a pas de nom, et, pendant la quasi entièreté du récit, on ignore pourquoi il est aussi important. Pisteur et le Léopard sont missionnés par un esclavagiste, ils feront équipe avec Nsaka Ne Vampi et Nyka, deux mercenaires, Sogolon, la Sorcière de la lune, Bunshi, sirène métamorphe de la rivière, Sadogo, un Ogo, homme très grand et fort (mais ne l'appelez pas géant) et de Bibi, un serviteur de l'esclavagiste. Tout le monde traîne des pieds face à cette inclusion forcée dans ce groupe, surtout Pisteur, qui a un passé avec Nyka, un passé qui lui a, entre autres, coûté un oeil ; la façon dont, à la place, il possède désormais un oeil de loup, d'où son surnom Oeil-de-Loup, est une histoire qu'il vous racontera plus loin dans le récit.

Toutefois, l'équipe est vite divisée, comme les tensions naissent parmi les membres autour de Pisteur. À commencer à cause de Fumeli, le jeune homme archer du Léopard qui se révèle jaloux et possessif. Pisteur ne fait pas confiance à Sogolon, il sait qu'elle ment à propos de leur mission, de l'identité du garçon. Alors que Pisteur et le Léopard se déchirent, Venin fait son apparition, cette fille qui était honorée de servir de sacrifice humain à des créatures monstrueuses. Elle ne cesse de vouloir regagner la forêt pour accomplir sa destinée, mais elle va changer, se rapprocher de Sogolon au point de savoir elle-aussi tracer des runes, et d'insulter la Sorcière de la Lune. Pisteur se rapproche de Sadogo, qui se révèle sensible et tourmenté par les innombrables meurtres qu'il a commis, même ceux datant de sa condition de bourreau.

Plus tard, s'ajouteront à cette drôle d'équipe le buffle, animal intelligent, et Mossi, bel officier du chef de l'armé de Kongor. Si la vérité sur les dessous de cette quête, à savoir l'identité du garçon, s'éclaircit, d'autres trahisons, combats et tortures n'épargneront pas les personnages.

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Monstres parmi les monstres

Comme je le disais plus haut, il faut avoir le coeur bien accroché pour se plonger dans les histoires protéiformes de Pisteur. L'ensemble ne tourne cependant pas au pathos, mais les thématiques n'en demeurent pas moins terribles. L'auteur traite de sujets durs et violents, non pas gratuitement, car il dénonce, il se révolte contre. Ainsi Pisteur, qui tue, déteste les esclavagistes, les hommes qui maltraitent leur(s) épouse(s), les pédophiles, les violeurs, les sorcières. de l'horreur, il y en a dans ces pages : carnages, corps démembrés, viols, enfants esclaves, tortures, ignominies des savants blancs, meurtres, festins de créatures maléfiques, incendie des archives de Kongor (la perte du passé), inceste…

Les véritables monstres, qui sont-ils ? Les enfants Mingi, anormaux ? Les diverses créatures qui ponctuent le récit ? Les métamorphes comme le Léopard, plus animaux qu'humains ? Les esclavagistes ? Les sorcières ? Les traîtres/traîtresses ? Les savants blancs (nécromanciens-alchimistes) ? Ou encore l'Aesi (cet être magnifique à la peau noire comme l'encre, aux yeux blancs et luisants, aux cheveux rouges comme des fleurs écarlates), surnommé roi-araignée ? Pour Pisteur, il n'y a que les hommes qui peuvent porter des masques, et pas les monstres… Les hommes sont les plus monstrueux en fin de compte (si vous en doutiez encore).

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Pisteur et la/les femme(s)

Le fil rouge personnel de Pisteur demeure la quête d'identité. Il cherche ses origines, bien qu'il rejette sa mère et son père, apprend les coutumes ku pour partir. Toutefois, sa quête d'identité ne va pas sans identité de genre. Lors d'une cérémonie initiatique chez les ku, la partie femme des hommes doit être tranchée, de même que la partie homme chez les femmes ; c'est le passage à l'âge adulte. Pour les ku, les individus naissent femme et homme, ce n'est que lors de cette cérémonie que l'on devient véritablement homme ou femme. Nous parlons bien d'excision (circoncision comme clitoridectomie).

Pisteur est trop âgé lorsqu'il découvre ce rituel. Et dès lors, il va s'imaginer une dualité interne, entre sa part virile et sa part féminine. Pisteur aime les hommes, toutefois, certaines de ses attirances, il va les mettre sur le compte de sa part féminine. de même que ce sera son excuse lorsqu'il ressentira certaines émotions, jugées « faibles », toujours selon la loi du plus fort.

Cela va plus loin, car Pisteur hait sa mère, de même que l'ensemble des femmes en général, lui qui déteste les sorcières et insulte par ce nom bon nombre de femmes qu'il rencontre. Misogynie ? Eh bien, non. Et c'est là toute la complexité qui unit Pisteur au féminin. Aimer, fonder une famille, tout cela lui paraît impossible ; le Léopard lui ayant dit que personne n'aimer personne, et d'ailleurs, comment fonder une famille, avoir des enfants alors qu'il aime les hommes ? C'est la rencontre avec un personnage en particulier qui va faire évoluer intérieurement Pisteur, qui va le pousser à voir les choses sous un angle différent, à s'accepter, enfin.

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Oeuvre queer

L'oeuvre de Marlon James est résolu queer, et c'est un régal de suivre Pisteur, charismatique, flamboyant, de le voir au côté du Léopard, ce chat à l'humour caustique qui est toujours fourré dans les scènes les plus drôles. Un lien profond uni ces deux-là, dans un « je t'aime, moi non plus » tantôt agaçant tantôt émouvant.

Dans la représentation queer, n'oublions pas Ekoiye, le prostitué aux formes féminines, ou l'utilisation de l'inclusif avec un personnage possédé par un esprit.

L'histoire propose également des personnages féminins forts : Nsaka Ne Vampi, la mercenaire, Bunshi, la sirène métamorphe de la rivière, Sogolon, la Sorcière de la Lune qui dessine des runes et peut faire naître des tempêtes, la Sangoma qui protège seule des enfants Mingi.

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Les tambours de la jungle

Au sein des récits de Pisteur, le sang bat comme les tambours de la jungle. Menaces, trahisons, pistes mouvantes, détours, chaque minute rime avec survie, combat, tortures, souffrance, les plans sont souvent voués à l'échec. Toutefois, l'ensemble est émaillé de moments plus légers, amusants, parfois sexy, émouvants aussi (je pense à Sadogo, le Léopard, Mossi, le Pisteur). La narration est plutôt dénuée de pathos, mais les sentiments et émotions transparaissent : Pisteur n'est pas uniquement cet homme fort à la grande gueule qu'il prétend être.

Le sauvage transpire dans les pages : la violence et ignominies des hommes, les métamorphes mi-humains mi-animaux, le bestiaire des êtres dits maléfiques, la loi du plus fort, la prédation etc. Au-delà, l'auteur concocte des mélanges, rendant le sauvage horrible, intolérable : le progrès et l'alchimie au service de la nécromancie (je pense à Dolingo en particulier, où des scènes qui m'ont complètement révulsée). Les monstres, animaux comme créatures, tuent pour se nourrir, mais les hommes tuent par plaisir, pour dominer, pour écraser.

Le sang va battre dans vos veines et à vos tempes lors de votre plongée dans le monde Pisteur, dans cet ouvrage si délicieusement complexe dans lequel on s'immerge complètement. Peut-être se croisera-t-on dans la jungle des rêves ?
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En bref : Mêlant mythologies africaines à son imaginaire, Marlon James signe ici le premier tome de la trilogie Dark Star, récit coup(s) de poing et flamboyant. Dark fantasy, magie, monstres, queer : voilà les ensorcelants ingrédients de l'auteur !

La narration orale protéiforme donne vie à un enchevêtrement de récits, de monstres et de lieux spectaculaires, horribles, vertigineux, oniriques ; de palais et de champs de bataille/de lieux de carnages, à la jungle des rêves, à un royaume dans les arbres, des terres dans les souterrains. Plusieurs histoires, plusieurs voix, une galerie de monstres (souvent humains), de nombreux lieux, tout cela pour retrouver un garçon, cette énigme vivante.
Lien : http://maude-elyther.over-bl..
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J'ai mis une semaine pour le lire tellement qu'il est unique en son genre. Je ne peux pas dire que j'ai adoré, ni que j'ai détesté. C'est incontestablement une oeuvre grandiose, mais où il faut lire petit à petit et être très concentré pour être happé.

Pourquoi cela ? Parce que l'auteur a construit son récit d'une façon particulière. Nous avons une histoire directive où s'insèrent des multitudes d'histoires pouvant nous perdre si on ne suit plus assez le texte. le rythme est assez rapide et on trouve pas mal de descriptions.

L'immersion est directe et brutale dans cette Afrique mystérieuse et sans chichis. C'est crû, c'est violent, c'est triste, c'est joyeux, c'est traditionnel, c'est philosophique, c'est onirique... C'est tellement de choses &#xNaN

On y parle d'excision, de circoncision, de violence, de viol, de massacre, d'homosexualité, d'enfants mingis (enfants différents : maladies, albinos, déformations..), d'esclaves, et tant d'autres choses !

Le tout est raconté en parlant de sorcières, de fille fumée, de métamorphose... Et d'un pisteur capable de retrouver des gens grâce à son nez ! Ce dernier raconte son histoire à des inquisiteurs, c'est donc un récit oral que nous découvrons ici.

Il y a des scènes pouvant heurter les âmes les plus sensibles et les plus jeunes. Ce n'est pas un roman à mettre entre toutes les mains.

Quant au fait de lire la suite, je ne sais pas... Je verrais, peut-être un jour ! Mais ce n'est pas au goût du jour.
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critiques presse (2)
RadioFranceInternationale
12 décembre 2022
Il y a un homme-léopard changeant de forme à loisir, un géant, une sorcière, une déesse. Autant de personnages échappés d'un univers de fantasy. Mais dans le roman Léopard noir, loup rouge (éditions Albin Michel), ils évoluent, non pas dans une Europe médiévale comme c'est le cas dans Le Seigneur des anneaux par exemple, mais dans une Afrique de légende.
Lire la critique sur le site : RadioFranceInternationale
Elbakin.net
29 septembre 2022
En l’état, Black Leopard, Red Wolf (évidemment, j’avais pour ma part un biais favorable, avec un titre pareil) incarne un très beau roman de fantasy, porté de bout en bout par une imagination puissante et sûre de sa force.
Lire la critique sur le site : Elbakin.net
Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
La brume a divisé la lumière en bleu, vert, jaune, orange, rouge, et une couleur dont j'ignorais qu'il s'agissait de l'indigo. Cent ou cent un pas plus loin, les arbres se sont tous penchés dans une seule direction, se tressant presque entre eux. Des troncs qui poussaient vers le nord et vers le sud, l'est et l'ouest, s'élevaient, puis redescendaient vers le sol comme une cage sauvage pour enfermer quelque chose ou au contraire empêcher quelque chose d'entrer. Kava a sauté sur l'un d'entre eux, tellement bas qu'il touchait presque le sol. La branche était large comme un sentier, et la rosée rendait la mousse glissante sur son écorce. Nous sommes allés jusqu'au bout et avons sauté sur un autre tronc penché dessous, nous sommes remontés, puis redescendus, sautant de l'un à l'autre, montant haut puis allant bas, puis en cercle, tant de fois que ce n'est qu'à la troisième que j'ai remarqué que nous étions tête en bas mais ne tombions pas.
"Alors ce sont des bois enchantés, ai-je dit".
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Une odeur est arrivée de la forêt, qui s'approchait de plus en plus. Je l'ai reniflée - ocre, beurre de karité, aisselles, lait maternel - et il l'a sentie aussi. Nous savions tous les deux que le vent amenait quelqu'un, mais lui seul savait qui.
Elle est sortie des arbres comme si elle en était née. Une femme plus grande, plus âgée, le visage déjà émacié et bourru, le sein droit pas encore tombant. Le gauche, elle l'avait enveloppé dans un tissu passé sur son épaule. Un bandeau rouge, vert et jaune autour de la tête. Des colliers de toutes les couleurs sauf le bleu, empilés les uns sur les autres telle une montagne remontant jusqu'à ses lobes d'oreille. Une jupe en peau de chèvre avec des porcelaines sur un ventre rebondi par un enfant à naître.
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L'enfant est mort. Il n'y a plus rien à savoir.
J'ai entendu dire qu'il y a dans le sud une reine qui tue l'homme qui lui apporte de mauvaises nouvelles. Alors quand j'annonce la mort du petit garçon, est-ce que je signe en même temps mon arrêt de mort ? La vérité dévore les mensonges tout comme les crocodiles dévorent la lune, et pourtant mon témoignage est le même aujourd'hui qu'il le sera demain. Non, je ne l'ai pas tué. Même si j'ai pu vouloir sa mort. En avoir faim comme un glouton de la chair d'une chèvre. Oh, tendre un arc et lancer ma flèche dans son cœur noir et le voir exploser de sang noir, et observer ses yeux dans l'attente de l'instant où ils ne cilleraient plus, où ils regarderaient mais cesseraient de voir, et écouter sa voix se briser et entendre sa poitrine se soulever dans un râle mortuaire disant : Regarde, mon esprit mauvais quitte ce corps des plus mauvais, et sourire de cette nouvelle et danser de ce deuil. Oui, j'ai salivé à cette idée. Mais non, je ne l'ai pas tué.
Bi oju ri enu a pamo.

(INCIPIT)
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Le garçon a tressailli lorsque mon oncle a empoigné ses couilles et sa bite comme pour les soupeser. Regarde, a-t-il fait. La peinture cachait presque que la peau était partie, découpée, laissant nu le bout fleuri. Au commencement, nous naissons tous de deux, a-t-il dit. Tu es homme et tu es femme, tout comme une fille est femme et homme. Ce garçon sera un homme, maintenant que le prêtre fétiche a tranché la femme pour la couper de lui.
Le garçon était tétanisé, mais s'efforçait de porter beau. Mon oncle a continué de parler. "Et pour être femme, la fille doit se faire couper l'homme au fond de son neha. Tout comme les premiers êtres étaient de deux". Il a frotté la tête du garçon et l'a renvoyé.
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Contre l'enfant entier, ton collecteur peut obtenir un bon prix. Mais pour se faire une vraie fortune, il cède chaque partie au plus offrant. La tête au sorcier des marais. La jambe droite à la femme stérile. Les os broyés en poudre, de sorte que la queue de ton grand-père reste dure pour plusieurs femmes. Les doigts en guise d'amulettes, les cheveux pour ce qu'on voudra. Un bon collecteur de bébés peut gagner avec les parties cinquante fois qu'il ne se ferait en vendant l'enfant entier. Et le double pour un albinos. Ton collecteur découpe lui-même le bébé en morceaux. Les sorciers donnent davantage s'ils savent que le petit était encore en vie au début de l'opération. Le sang de la peur épice leurs potions. De façon à ce que les femmes nobles de ta ville puissent conserver vos hommes nobles et que vos concubines ne portent jamais d'enfants pour leurs maîtres. Voilà ce qu'ils font des petites filles comme elle dans la ville d'où tu viens.
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Vidéo de Marlon James
Author Marlon James talks about how winning the Man Booker Prize changed his life, planning out the trilogy of Black Leopard, Red Wolf and asking George R.R. Martin to write a blurb for his book.
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