Les Chemins de la gloire

"Quand vous serez jeune homme/Vous porterez vos armes/ Et vous n'aurez peur/ Ni des voltigeurs ni des gendarmes/.Et si vous êtes provoqué/Vous serez un rude bandit./Tous vos ancêtres/ Etaient des hommes fameux/ Ils étaient lestes, vigoureux/Sanguinaires et courageux." dit la poésie corse Les Chemins de la gloire à laquelle ce roman doit son titre.
C'est cette double facette de la Corse et des Corses qui parcourt ce roman d'un bout à bout, car si le Corse est courageux et passionné, il est violent aussi.
Bernard Lenteric, romancier, à l'imagination hors-normes, sachant mêler amour, haine et suspense pour tenir son lecteur en haleine (comme dans l'excellent triptyque Les Enfants de Salonique), nous conte ici Les Chemins de la gloire, parsemés d'embûches, d'Antoine Forte simple berger ("d'humeur égale, travailleur", généreux,ambitieux et intelligent) d'Alziprato, qui par amour pour Anna, son amie d'enfance, jolie fille passionnée et déterminée de riche propriétaire, montera une à une les marches de la notoriété parisienne: d'apprenti-maçon à plongeur puis directeur de restaurant à éditeur.
Le talent de Bernard Lenteric est d'introduire le mal (en l'opposant au bien, ce qui relance l'action) sous les traits de Livio, l'amoureux transi d'Anna soumis à plus fort que lui; d'Orso-Paolo, le frère possessif d'Anna; de quelques "mafiosi" et de la rivalité professionnelle de Dujardin qui utilisent tous les moyens en leur possession pour détruire Antoine.
Bernard Lenteric situe son action dans l'après deuxième guerre mondiale pour évoquer aussi le patriarcat corse qui subsiste (avec la notion de "déshonneur" à venger quitte à bafouer les interdits), l'émancipation de la femme qui commence,les syndicats qui se créent,le milieu de l'édition qui prolifère avec des secteurs comme les romans à deux sous,les romans d'amour à saisir puis plus tard l'émergence des bons romans plus littéraires.
Les Chemins de la gloire suivent les chemins d'une famille corse sur deux générations et l'exil de ceux qui tout en s'éloignant de leur lieu de naissance gardent des liens avec le passé et s'entraident sur le continent.
Les Chemins de la gloire seraient-ils tissés de bonnes rencontres? semble suggérer l'auteur. de flair, c'est sûr!

Par amour, Antoine va quitter sa Corse natale.
Son maquis nous imprègne avec ses odeurs de cédrat et de myrte.
Nous nous emparons avec grâce et délectation de l'intrigue et des situations où nous partagerions facilement le quotidien de ces bergers aux caractères bien trempés.
Leurs sentiments, bien traduits par l'auteur, même s'ils sont exacerbés ont une crédibilité qui ne peut être remise en cause.
Puis, Paris où l'on partage l'ascension professionnelle fulgurante de ce jeune homme grâce à sa fougue et son dynamisme. Cette ascension paraît aisée mais non usurpée.
Quand les ennuis surviennent par les rancoeurs accumulées des uns et la jalousie des autres, notre Antoine va sombrer dans un cauchemar d'où il ne ressortira pas indemne.
Nous sommes dans le schéma typique des romans de Douglas Kennedy, romancier que j'adore, cependant les racines des protagonistes ne sont pas d'outre-Atlantique et les lieux sont ceux où étaient dressées sur les tables, dans les années cinquante, les nappes à carreaux rouges et blancs et où les escaliers des immeubles haussmanniens fleuraient bon la cire d'abeille.
Pour Antoine, les « chemins de la gloire » seront-ils pavés de bonheur ?
Pour ma part, le « pavé » de Bernard Lenteric m'a emmené sur les chemins du plaisir.