L'Allemand, Janovski dit le rachitique, est assez mal vu de ses voisins de Folks, New Brunswick, depuis que sa femme est morte noyée dans la rivière gelée d'où elle a tenté de sortir ses jumelles de six ans, Rose et Marguerite. Les deux petites sont soudées l'une à l'autre par un lien indéfectible propre aux jumeaux. Alors, c'est une tragédie pour Rose quand son père vend Marguerite aux propriétaires du cirque Barnes, se vendant lui-même par la même occasion, après avoir soulagé une de leurs vaches de spectacle. Il a la main heureuse et l'autorité naturelle pour tout ce qui touche les animaux, même les lions vont se soumettre, y compris quand il aura le bras arraché lors d'un déraillement de train. Pour autant, il n'a aucune affection pour ses enfants qu'il laisse se débrouiller, trois petits garçons confiés à la garde leur « grande » soeur de six ans, Rose. Mais Rose, à son tour quitte la maison, sans regrets.
Ainsi commence ce roman étrange et attachant , sur fond de vie rude dans la campagne canadienne, avec trois générations qui se succèdent entre Québec et France, des personnages originaux tels cet Allemand manchot et cruel mais qui sait soigner les animaux de façon quasi magique,
Louis Hébert, cet espion canadien qui trompe la vigilance des Allemands grâce à des machines à écrire truquées, ces jumelles séparées par l'Atlantique et la vie, puis une deuxième équipe de jumelles, Emy et Lily, leurs descendantes, qui découvrent les secrets de famille. Quelques moments dérangeants, quoique évoqués avec discrétion, concernent l'inceste, les désirs transgressifs, l'enfance massacrée, les drames familiaux.
Le tout en une langue savoureuse qui lutte contre l'influence de l'anglais (un stationnement, une chaise berçante, des roussettes pour désigner un parking, un rocking-chair et des toasts). Mais on note surtout en fin de livre une écriture quasi photographique, qui joue des gros plans, des notations de lumières et d'angles de vue, tout à fait originale.
P295 : « Sous la lumière immobile du petit matin, Lavillete ressemblait terriblement à Lavillette. Avec la rosée, les buttes et les épinettes étaient encore plus éclatantes. Lavillette m'est étrangement apparue comme une peinture, comme une photo retravaillée.
Oui, c'est cela:comme une photo retravaillée. »
Une découverte, due à la gentillesse des éditions du Marchand de feuilles dont je vais continuer à explorer le catalogue !