J'ai comme une impression de déjà-vu.
Cette pièce me fait furieusement penser à un repompage des Suppliantes. On a de pauvres hères qui se mettent en position de suppliants devant l'autel d'un dieu, un héraut de ceux qui les pourchassent cherchent à les en déloger, le roi du cru les défend, c'est la guerre, les hères sont sauvés, les pourchasseurs punis.
Vous voulez des noms je suppose. Les hères sont les enfants d'Héraclès, leur grand-mère Alcmène et le compagnon de jeu du demi-dieu, Iolaos. le dieu devant l'autel duquel ils supplient est Zeus. Les pourchasseurs sont les soldats d'Argos et leur roi Eurysthée – celui qui a imposé les fameux travaux à Héraclès. le cru est Athènes et son roi est Démophon, fils de Thésée. Ces Suppliantes-le-retour concernent donc
les Héraclides quand l'épisode 1 traitait des Labdacides (la famille d'Oedipe).
A l'appui du sentiment de déjà-vu, l'analyse de
Victor-Henry Debidour qui flingue bien la pièce encore pire qu'il ne l'avait fait pour les Suppliantes « Cette pièce-ci est sans doute la plus mal venue que nous ayons conservée d'
Euripide », dit-il. Evidemment, lire cela avant la pièce influence la grille de lecture. Et comme pour les Suppliantes, je la trouve moins désastreuse qu'annoncée.
La raison principale est que je ne connaissais pas l'histoire racontée. Ainsi, non content d'avoir éprouvé Héraclès durant toute sa vie, Eurysthée roi d'Argos s'est acharné sur sa famille, poussant les villes où ces derniers cherchaient asile à les chasser sous peine de représailles. Mais Athènes et le fils de Thésée ne se laissent pas intimider comme ça et Eurysthée trouvera sa fin dans cette aventure.
Plusieurs choses m'ont gêné cependant. D'abord au niveau du mythe lui-même. Les Athéniens demandent un oracle avant d'engager le combat contre Argos. La victoire ne leur sera assurée que s'ils sacrifient « une vierge issue d'une noble origine » (encore du déjà-vu, cf. Iphigénie). Et c'est apparemment la déesse Coré – également dénommée Perséphone – qui réclame ce prix élevé.
J'aimerais bien qu'on m'explique pourquoi une cité si moderne par certains égards – je pense à certaines valeurs qu'elle représente comme l'idéal de démocratie – accepte d'obéir à une demande aussi barbare et apparemment gratuite, même venant d'une déesse. Les dieux tutélaires de la cité ne sont-ils pas là pour la soutenir et la protéger au lieu de lui mettre des bâtons dans les roues ? Ces dieux sont vraiment incompréhensibles parfois.
Démophon refusant de sacrifier une athénienne (faut pas pousser le dévouement non plus), c'est Marcarie, la fille d'Héraclès, qui va s'y coller, de sa propre volonté. Un sacrifice qui d'ailleurs semble bien arranger Iolaos dont on sent le soulagement sous le discours admiratif. Marcarie, de son côté, en rajoute sur l'espoir de postérité qu'elle porte ; il y a une forme de narcissisme même dans ce sacrifice.
En deuxième lieu, je suis d'accord avec
Victor-Henry Debidour pour dire que la pièce elle-même multiplie les comportements bizarroïdes. Eurysthée, qui se comporte en couard pendant la bataille, fait face à sa mort debout et sans regret, avec une certaine forme d'honneur. Il va même aller jusqu'à proposer aux Athéniens de reposer sur place, son âme les protégeant dorénavant (mais pourquoi fait-il cela alors qu'il voulait les punir d'avoir donné asile aux suppliants ?). Alcmène porte le fardeau d'une vieille grand-mère pourchassée mais devant son ennemi vaincu devient âpre et revancharde, ne voulant plus qu'une chose : qu'il soit réduit en charpie.
Il faut dire qu'
Euripide ne perd pas de vue la politique contemporaine. Et si Argos est l'ennemi dans la pièce, elle est l'alliée dans la vie. Sûrement, cela méritait de redonner un peu de grandeur à Eurysthée et de réduire l'aura des Héraclides dont descendent les Spartiates honnis.
C'est peut-être ce qui nuit le plus à la pièce.