C'est une saga ultramarine que nous livre là
Raphaël Confiant, homme de lettres martiniquais à l'oeuvre impressionnante. Nous sommes au début du siècle dernier, en 1900. Les Saint-Aubert sont une famille mulâtre vivant à Saint-Pierre, dénommé alors le « petit Paris des Antilles ».
Ferdinand Saint-Aubert, le patriarche, est un avocat prospère bénéficiant d'une bonne notoriété dans sa commune. Sa progéniture le préoccupe quelque peu :
Tertullien, le cadet, est étudiant en droit ; il est censé reprendre l'étude de son père le moment venu. St-Just, nommé ainsi en raison de l'admiration nourrie par son père pour la Révolution et
Robespierre, est l'aîné. Il est rédacteur à L'Echo de la Martinique, organe de presse qui pourfend les Békés, caste des possédants blancs, héritiers directs de l'esclavagisme .Leur petite soeur, Euphraise, souffre de crises d'angoisse.
Le roman commence par l'évocation d'un duel, qui doit avoir lié entre
Saint-Just et un puissant industriel blanc qui se juge calomnié par la parution d'articles de
Saint-Just dans L'Echo de la Martinique. Au cours du roman, l'auteur évoque les grands événements ayant marqué l'histoire des Antilles : le désastre de 1902, intervenu le 8 Mai, et qui vit disparaître Saint-Pierre et ses trente-mille habitants sous la lave et la cendre du volcan revenu en éruption ; C'est aussi la participation des Antillais à la guerre de 1914, « L'impôt du sang « ainsi que le nomme l'auteur. On y trouve des réflexions et observations nombreuses sur la vie économique et sociale des Antilles, sur le rôle que jouait alors, et que joue encore de nos jours, la couleur de peau .Selon que l'on est béké , mulâtre, indien caraïbe , métis, le sort est grandement différent : « A la vérité, chacun s'efforçait autant que faire se pouvait de demeurer dans sa chacunière : Blancs-pays d'un côté , Blancs-France de l'autre ; mulâtres par-ci, nègres enrichis par-là ( …) On avait là l'exacte cartographie de la société pierrotine , sauf qu'il y manquait les invisibles, les derniers débarqués à la Martinique , à savoir les Indiens, les Chinois, les nègres-Congo et les Syriens ».
Le style de
Raphaël Confiant est élégant, fluide ; il est mâtiné de nombreux néologismes et de trouvailles lexicales très riches et heureuses. Ce roman, tout en décrivant en détail ce qui arrive aux personnages principaux, les Saint-Aubert, accède à l'universel, à la prise de connaissance d'une histoire encore méconnue : celle des Antilles. A découvrir.
Je remercie Mass Critique et les Editions Ecriture de m'avoir permis de chroniquer ce livre .