Voilà un livre qui intrigue beaucoup les enfants et que je trouve tellement intéressant qu'il mérite certainement que je m'y arrête quelques minutes. D'ailleurs pour vous en bien parler, une fois n'est pas coutume, je vais vous le raconter entièrement sans quoi l'on ne comprend pas tout ce qui en fait le sel.
Nous voici donc avec quatre enfants, ou disons, quatre jeunes ados : Joseph, Daniel, Jeanne et Arsène. Les héros se rendent furtivement, à la nuit tombée, dans une sorte de terrain vague, loin des regards indiscrets, où l'on découvre un genre de sanisette ou de feu cabine téléphonique d'avant l'ère téléphone portable, affublée d'un casque à pointe à la mode Bismarck.
La sanisette Bismarck s'avèrent être en fait une machine à voyager dans le temps. Ni une ni deux, les quatre amis sautent dedans et actionnent les leviers si bien qu'ils se retrouvent entre Crétacé et Jurassique à coudoyer des flopées de dinosaures en pleine jungle sub-tropicale.
Les choses tournent court lorsqu'un vol de ptérodactyles s'en prend à eux kidnappant au passage l'infortuné Joseph. Arsène, le meneur de la troupe, se lance aussitôt à sa poursuite, mais les deux autres, Daniel et Jeanne, tout tremblants de peur se réfugient dans la cabine téléphonique de la Wilhelm II Deutsche Telekom et s'en retournent dans le calme et le confort de leur époque native.
Arsène se retrouve donc seul au milieu des brontosaures et autres vélociraptors à rechercher son ami qu'il finit tout de même par retrouver après un long périple au sommet d'une aire de ptérodactyles. Ils parviennent même à prendre la poudre d'escampette.
Mais que faire dans cet environnement ? Que vont-ils devenir ? Quand soudain, Arsène et Joseph voient arriver deux manières de cosmonautes adultes qui ont bien l'air d'appartenir à l'espèce humaine. Lorsque les deux adultes retirent leur masque de scaphandre, il s'agit de Daniel et Jeanne, devenus des grandes personnes d'âge mûr trente ans plus vieilles que les deux ados.
Daniel et Jeanne expliquent qu'ils ont été pris de remords à leur retour mais qu'ils ont mis trente ans à retrouver la piste de leur deux anciens amis. Donc tout se finit bien mais l'on retrouve nos quatre amis qui ont alors furieusement l'air d'être un couple avec deux enfants et c'est cela qui intrigue beaucoup les enfants lecteurs.
Disons-le tout de suite, cet album ne convient pas à des enfants trop jeunes. Je pense que huit ans est un âge acceptable pour commencer à le découvrir. Vous avez compris qu'il y est question de l'essence même du temps et que l'auteur,
Simon Roussin, réinterprète le paradoxe des jumeaux de Langevin, question scientifique débattue il y a un siècle environ et dont
Albert Einstein avait révélé le mystère logique.
Le scientifique français Paul Langevin avait proposé le cas de deux jumeaux qui voyageraient dans le temps à des vitesses différentes pour expliciter la théorie de
la relativité restreinte d'Einstein. Dans ce cas, si l'un des jumeaux reste sur la Terre, qui a sa vitesse de déplacement propre que nous connaissons, et que l'autre fait un voyage dans l'espace à une vitesse proche de celle de la lumière, alors après un certain temps, on constatera qu'ils n'ont pas vieilli à la même vitesse. Vingt ans pour l'un ne sont pas vingt ans pour l'autre et réciproquement.
Bref, captivante question qui interroge beaucoup les enfants. Ceux-ci demandent pourquoi les deux anciens amis sont devenus leur parents (car quand on les voit tous réunis, la confusion est possible), pourquoi deux seulement ont changé et pas les deux autres, etc., etc. C'est assez déstabilisant pour eux mais je crois que cela pose les base d'une réelle réflexion scientifique très intéressante.
Il me faut encore dire deux mots des choix picturaux audacieux de l'auteur qui prend 1) le risque d'un dessin non cerné ce qui n'est pas la norme dans l'illustration pour enfants et 2) le risque d'à-plats de couleurs hyper flashy car il utilise la magie de la trichromie (cyan, magenta, jaune) et de leurs seuls recouvrements pour réaliser des planches très colorées avec des rendus étonnants.
Bref, chapeau
Simon Roussin pour cet album osé et qui sort vraiment des sentiers battus, dans tous les sens du terme. Mais ce n'est bien évidemment que mon avis dont le relativité est restreinte, c'est-à-dire, pas grand-chose.