Paula Rego, portugaise, école de Londres, peinture narrative et autobiographique...
Avant d'aller voir l'expo "les Contes cruels de Paula Rego" à l'Orangerie, pour moi : inconnue au bataillon.
Sur l'affiche, La Danse: des couples, des groupes et une femme seule tournoient au bord de la mer, sous un ciel nocturne.
Les personnages massifs, taillés à la serpe, étrangement dérangeants, me font penser à un tableau de Balthus. Et la scène, irrésistiblement, à la très onirique Nuit d'été de Winslow Homer , qui est, elle, nettement plus gracieuse.
A l'intérieur, un festival de surprises: un univers cohérent , une recherche farouche qui trace son sillon avec une force et une détermination étonnantes.
Comment une telle peintre a-t-elle pu être ignorée en France?
Des premières toiles, où de petites filles jouent avec des chiens qu'elles manipulent comme des jouets - transposition de la souffrance de Paula qui voyait se dégrader la santé de son compagnon, le peintre Wiĺling, atteint d'une sclérose en plaques , au point de devenir entièrement dépendant d'elle - aux grands pastels vigoureux où des danseuses identiques, massives et maladroites, évoquent le ballet des autruches dans Fantasia; qu'il s'agisse des aquatintes d'une incroyable finesse, pleines d' étrangeté et de sarcasme comme celles de Goya, ou de ses statues en tissus , en plâtre, en toutes sortes de matériaux glanés, travaillés, recomposant l' univers fantasmatique et enfantin qui peuple son atelier , et constituant un petit théâtre personnel où elle puise son inspiration, tout affirme une même personnalité : celle d'une femme indépendante, puissante, créative, qui transforme les fragilités de sa vie en forces nouvelles.
Le catalogue, très intéressant, éclaire et confirme les impressions de l'exposition.
Plusieurs leit-motiv y trouvent leur explication: certains sont autobiographiques, comme la place du père, dépressif et tendrement aimé, celle du mari, admiré et malade , l'emprise néfaste de la mère, l'horreur de toute forme de dictature -Paula a fui le régime de Salazar..et la tutelle cruelle de sa mère.
D'autres sont à la fois intimes et culturels: on découvre son attachement aux livres illustrés de l'enfance- et particulièrement aux gravures de Benjamin Rabier( les fables, Gédéon) Tenniel ( Alice au pays des merveilles) Castelli ( Comtesse de Ségur), Gustave Doré, Grandville, Braquemond...- à son tour, elle illustre contes, fables et nursery rimes...à sa manière, toujours percutante, incisive, originale.
Elle revisite ses livres de chevet, détourne et réinterprète les héros romanesques - et surtout les héroïnes- . Elle se crée un bestiaire bien à elle à l'instar des Grands: Louise Bourgeois, Odilon Redon, Francisco de Goya- mais le tribut de l'admiration jamais ne la lie ou ne l'inféode: on sent chez elle une souveraine liberté, une affirmation courageuse de soi.
Un catalogue qui se dévore comme un roman, et qui propose aussi nombre d'autres oeuvres, absentes de cette belle rétrospective, parfois accidentellement détruites comme ce Départ , poignant, des articles, nombreux, qui éclairent , dans un bel accord, un parcours magnifique, et pas clos: Paula Rego vit toujours, peint toujours, et, à la fin du catalogue, enlève le masque qui la cachait pour découvrir un beau visage, expressif et mobile, et un rire éclatant.
Comme si elle nous disait: "cherchez moi dans mon oeuvre, ce masque que vous voyez, ces toiles que vous admirez, c'est moi, comment ne l'avez-vous pas compris? "
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Il existe un fil qui relie directement la chambre de l'enfant à l'atelier de l'artiste. Et Paula Rego n'est pas la seule dans sa catégorie à faire de l'atelier le lieu de cristallisation et d'aboutissement des expériences esthétiques premières. (..) En rassemblant dans son atelier et donc aussi dans sa peinture des artefacts, en inventant des dispositifs scéniques, en créant des personnages, Paula Rego transpose dans son lieu de travail -celui créé à l'âge adulte- la vie dans la chambre d'enfant.
...Paula Rego, par son art, nous secoue profondément car elle renverse les jeux de pouvoir et les hiérarchies : elle veut tout changer, chambouler l'ordre établi, remplacer les héroïnes et les idiots, comme elle le dit souvent elle-même. Ses tableaux subversifs sont souvent indéchiffrables, mais ils suscitent effroi, malaise, peur, dégoût, admiration, compassion. Seule l'émotion, qui est le point de départ de toute création, l'interesse, tout comme Louise Bourgeois, car pour ces grandes artistes femmes, toutes deux exilées et dont l'oeuvre est autobiographique , le personnel est politique. Elles nous donnent ainsi de belles leçons de révolte , d'anticonformisme, de liberté.
Les contes traditionnels sont des équivalents de notre enfance. L'enfant, dans sa perspective, le comprend naturellement et l'illustrateur ne peut aborder le conte que dans cette même perspective qu'il a retrouvé en lui-même. Pour cela il doit retourner au monde de l'enfance. Mais il est peut-être possible que, au lieu d'y retourner, il se serve de l'enfant qui vit toujours en lui pour instruire son monde adulte.
Paula Rego, 1978
Pour Paula Rego comme pour de nombreuses artistes ( Dorothea Tanning, Leonora Carrington , Rosemarie Trockel..) , la femme est proche du devenir animal, revendiquant la position de l'horizontalité contre l'Homo erectus et se ressourçant à ses racines sauvages et naturelles, archaïques et primitives. Femme, mère, maîtresse, sorcière, folle... la plupart des archétypes de la femme sont revisités de façon révolutionnaire par Paula Rego, qui est avant tout la femme peintre, la créatrice.. .
De #MeToo à "Black Lives Matter", les bouleversements de notre société s'invitent dans la sphère culturelle. À l'heure où les sociétés occidentales questionnent leur héritage, comment les musées s'adaptent-ils ? Pour en parler, Guillaume Erner reçoit Cécile Debray, conservatrice générale du patrimoine et présidente du musée national Picasso-Paris, et Christophe Boltanski, grand reporter au "Nouvel Observateur".
#culture #musée #blm
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