Un thriller que j'ai lu plutôt comme un roman . On est pas sur une intrigue très haletante. Mais j'avoue avoir ressenti beaucoup d'empathie envers le personnage principal, auquel je me suis attachée tout au long de l'intrigue et j'ai donc pris plaisir à la suivre tout le long de son enquête . Mais arrivé à la fin j'ai été négativement surprise, par le dénouement que j'ai trouvé bâclé. le dénouement ne tient qu'en très peu de pages et est très zélée en coïncidences. Une chaîne de coïncidences trop énormes. j'ai trouvé que ça gâchait toute la crédibilité de l'histoire . Dommage car sans cette fin expéditive et rocambolesque, j'avais passé un bon moment de lecture.
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Eleanor Wilder avait huit ans lorsque l’événement se produisit. Elle jouait à la marelle pendant la récréation dans la cour de l’école avec sa meilleure amie, Morgan, quand sa maîtresse de cours élémentaire vint la chercher. Eleanor comprit tout de suite qu’il était arrivé quelque chose d’affreux, parce que les yeux inquiets de miss Robbins débordaient de vagues ondulantes couleur violet foncé. Eleanor demeura immobile, serrant entre ses doigts le morceau de craie vert pâle, tandis que la maîtresse se dirigeait vers elle. Même Morgan comprit qu’il se passait quelque chose ; elle atterrit jambes écartées dans les deux carrés de la marelle et demeura pétrifiée.
Miss Robbins, une très grande femme mince aux cheveux orange coiffés en chignon serré, arborait en général un large sourire, mais à cet instant ses lèvres disparaissaient à l’intérieur de sa bouche, comme si elle allait les avaler. Elle se pencha, prit gentiment Eleanor par les épaules et lui dit, d’une voix tellement douce : « Eleanor, ta mère a eu un accident. »
Deux heures et quart plus tôt, Abby Wilder rentrait chez elle à pied, toute seule, après avoir joué au tennis avec sa meilleure amie Daphné Andrews. Même en ce mois de mars, en cette fin d’hiver, le célèbre soleil de Californie se montrait fidèle à son rendez-vous quotidien, lui réchauffant bras et jambes dont le bronzage était souligné par le T-shirt et le short blancs.
Le club de tennis se situait à cinq pâtés de maisons de la résidence des Wilder, dans un quartier résidentiel tranquille au milieu des collines de Berkeley. À mi-chemin, Abby prit sur la gauche, en direction d’un virage en épingle à cheveux que bordaient de chaque côté des propriétés à vendre, vides. À l’approche de l’unique maison située dans la courbe en U, balançant son sac de tennis, elle s’arrêta pour dénouer le sweat-shirt qu’elle portait autour de la taille. L’enfilant par-dessus sa tête, elle n’entendit pas le crissement des pneus s’engageant dans le virage, ni n’eut le temps de voir, le sweat-shirt une fois tiré sur ses yeux, l’éclair sombre du véhicule qui se rapprochait à toute vitesse, le pneu avant gauche montant sur le trottoir. Elle n’eut pas le temps de réaliser l’impact de l’acier sur sa chair, ni de la trajectoire de son propre corps projeté dans les airs. La première et la dernière chose qu’enregistra son cerveau avant de sombrer, ce fut son sac de tennis rouge qui s’envolait comme un cerf-volant pris dans une tornade, tourbillonnant à toute vitesse et pulvérisant une fenêtre de l’étage du 29 Crescent Drive.
À l’instant même où son corps atterrissait puis roulait au centre d’une pelouse fraîchement tondue et bordée de rosiers couleur pêche, une vieille dame à l’expression effarée apparut à la vitre brisée du premier étage.
Les yeux grands ouverts dans le noir, Eleanor attendait patiemment, le dessus-de-lit remonté jusque sous le menton, par-dessus le jean, le pull et la paire de Nike déjà éraflée que sa mère lui avait offerte pour son anniversaire, à peine deux semaines auparavant. Le réveil électronique d’adulte sur la table de chevet affichait 8 h 37 pm. Huit est un chiffre bleu, se dit-elle comme par automatisme. Le trois est rouge, et le sept jaune. Elle passa la main sous son oreiller, et en retira un bonbon qu’elle enfourna dans sa bouche.
Les trois coups brefs sur les portes-fenêtres situées juste en dessous de sa propre fenêtre, laissée entrouverte, résonnèrent enfin. Le courant d’air vif qui gonflait les rideaux ornés de motifs représentant Chewbacca – la température s’était rafraîchie ces derniers jours – lui refroidissait la joue. Elle se força à patienter un bon quart d’heure, jusqu’à ce que les gloussements familiers augmentent d’intensité, que leur écho s’élève le long de l’escalier recouvert de moquette, et s’insinue sous la porte de sa chambre. Certains soirs, elle ne faisait plus la distinction entre le son de la télévision et le bavardage stupide de Rebecca. Les gens passaient leur temps à bavasser sur cette idiotie de télévision, pensait-elle, et Rebecca, la baby-sitter (Eleanor détestait ce mot), passait son temps à essayer de les imiter. Elle s’entraînait probablement à devenir actrice.
Eleanor repoussa le dessus-de-lit d’un coup de pied, attrapa le réveil, sortit rapidement de la chambre et remonta d’un pas alerte le couloir de l’étage jusqu’à son extrémité, où elle ouvrit une porte en noyer aux reflets patinés. Elle se dirigea sans hésiter dans l’obscurité jusqu’au milieu de la bibliothèque, et s’arrêta devant le bureau Louis-Philippe. Elle alluma la lampe à l’abat-jour vert foncé posée sur le plateau de cuir de même couleur encadré d’arabesques gravées à l’or.
Le sanctuaire de sa mère baignait dans une lumière douce et chaleureuse. Dans un coin de la pièce, un violoncelle reposant sur son support attira le regard d’Eleanor. Une des larges hanches de l’instrument effleurait d’un côté les bibliothèques en chêne, tandis que l’archet reposait fièrement de l’autre. Légèrement en retrait se dressait un pupitre avec une partition.
Se dirigeant vers la bibliothèque, Eleanor, pinça au passage, la basse de son pouce. La vibration riche et grave la poussa à fredonner à l’unisson. Elle alla tout droit à un Atlas si lourd et si grand qu’il avait été posé sur le flanc au-dessus d’une rangée de livres. C’était une ancienne édition française que sa maman et elle avaient dénichée dans un marché aux puces dans le centre de Berkeley. Elle sortit le volume et le posa par terre. Il s’ouvrit presque comme par enchantement à la carte de France. Une liasse de billets et un mince bloc-notes étaient glissés près de la côte nord de la Bretagne. Elle prit un billet de cinq dollars qu’elle fourra dans la poche arrière de son pantalon, et se pencha pour déchiffrer : Finistère Nord. Maman lui avait dit que cela signifiait : « le nord de la fin du monde ». Comme si le nord du monde avait explosé, ou quelque chose dans ce genre. Sa maman lui avait alors expliqué que, dans ce contexte-là, le monde était la terre, au sens physique, et que finis pouvait également signifier « extrémité ».
« L’extrémité nord de la terre ». Eleanor préférait cette définition-là, plus magique. Elle aimait la sensation de ces mots français résonnant dans son esprit. Du noir, du brun et du rouge mêlés.
Elle s’empara du bloc-notes, et lut à voix haute les mots tracés sur la dernière page : « Mon petit canard, je t’aime plus que n’importe quoi d’autre, plus que le soleil, plus que le ciel ou la plus haute des montagnes, et plus profond que l’océan ! Maman. »
Eleanor emporta le bloc sur le bureau, attrapa un crayon et écrivit sous le message de sa mère : « Ma maman, je t’aime aussi, plus haut que le soleil, et plus loin que l’extrémité nord de la terre, où tu as promis que tu m’emmènerais un jour. J’ai pris cinq dollars pour pouvoir aller te voir tout de suite, et tu auras ce message quand tu iras mieux et que tu rentreras à la maison ! »
Elle replaça le bloc-notes dans le gros volume, qu’elle remit dans sa niche sur l’étagère. Elle ramassa le réveil, éteignit la lampe et ressortit sans refermer complètement la porte derrière elle. Sur la pointe des pieds, elle atteignit le haut de l’escalier puis, retenant son souffle, entreprit de descendre avec précaution, agrippant à chaque marche la rampe noire cirée. En passant à toute vitesse devant la porte ouverte du salon de télé, elle jeta un œil à l’intérieur. Le cuir du canapé grinçait. Rebecca et sa copine, la bouche pleine de pop-corn, rigolaient en bondissant dessus. Elles ne la virent pas passer ; les lumières du hall étaient éteintes.
Eleanor se retrouva devant la porte d’entrée, impressionnante à la fois par sa taille et par sa splendeur, une arche sculptée de chérubins et de grappes de raisin ornant l’élégant linteau d’un blanc laiteux. Les deux serrures du bas ne présentaient pas de difficulté, mais lorsqu’elle leva la tête, elle se souvint qu’elle n’atteignait pas tout à fait celle du haut, qui était munie, en plus, d’un verrou en cuivre et d’une chaîne de sûreté.
Elle se retourna, et son regard aux reflets cuivrés se fixa sur l’épais annuaire téléphonique, posé comme un Bouddha suffisant sur le coffre en camphrier chinois incrusté d’argent à l’autre bout du hall dallé de marbre.
C'était une présence de tous les instants, une constante dans ma vie. Elle travaillait surtout à la maison, lorsque je rentrais de l'école, elle était toujours là pour m'encourager, m'inonder d'un amour infini. Je me souviens d'une chose en particulier, qui me revient sans cesse, et pour toi aussi, c'est vital, Sidney : elle me disait constamment de toujours suivre mon étoile, quoi qu'il arrive, de me battre pour mes idées, et de ne jamais, jamais renoncer. Elle était le fondement de mon ... de mon courage, je suppose. Je sublime peut-être tout cela aujourd'hui, mais elle représentait tout pour moi. Nous étions tellement proches. Pas un jour ne se passe sans que j'aille fouiller dans mon tiroir magique - c'est ainsi que je l'ai baptisé, ce tiroir métaphysique que je peux ouvrir, et dont ma mère sort pour m'aider. Elle est toujours là pour moi. Peut-être est-ce une des formes de ce que l'on appelle les fantômes, les esprits. Mais pour moi, elle est toujours vivante.
Lorsqu’elle joua un enregistrement de chansons enfantines, et demanda à Eleanor de fredonner en même temps, celle-ci fit de véritables efforts. Elle ouvrit la bouche, ferma les yeux, se concentra ; dans sa tête, elle percevait sa voix, s’entendait chanter parfaitement à la tierce, car elle était très musicienne, mais aucun son ne sortait. La seule chose qui jaillit, ce furent des larmes, qui se mirent à couler de ses yeux, suivies de sanglots silencieux si violents qu’elle s’en étouffa.
Marcher dans les rues de San Francisco était l’une des choses qu’elle aimait le plus au monde. Et peu importait où. Elle aimait le sentiment de liberté que cela lui procurait, étirer de façon délectable ses longues jambes à chaque pas. Elle appréciait particulièrement les jours venteux, où l’air se chargeait de sel. Elle aimait également la mer. Quelquefois, un simple coup d’œil à l’océan lui emplissait le cœur d’une telle émotion qu’elle devait fermer les yeux et respirer lentement par les narines, comme le lui avait enseigné son professeur de yoga lorsqu’elle avait du mal à s’endormir. Ou bien lorsqu’elle avait un de ses cauchemars, ces démons qui avaient empoisonné son enfance.
L’aphonie est en général le résultat d’une blessure, d’une opération chirurgicale, dans certains cas d’une maladie provoquant la paralysie, ou bien due à une tumeur cérébrale. Aucune de ces hypothèses ne s’applique à Eleanor. Dans son cas, on peut sans aucun doute l’attribuer à ce qui lui est arrivé. Elle a souffert d’un traumatisme psychologique très profond, qui a provoqué l’extinction des cordes vocales. Celles-ci sont incapables de se rencontrer, ou de vibrer, ce qui entraîne l’incapacité à produire des sons. La peur est un des facteurs qui contribuent à la maladie.