Avec Les femmes de Zygmund, j'ai retrouvé avec plaisir un nouveau livre de Patrick Kurtkowiak. Voilà un auteur qui me sort systématiquement de ma « zone de confort », qui me fait toujours réfléchir et me donne toujours l'occasion de mettre de l'ordre dans ma pensée.
C'est de nouveau vrai, même si cette fois-ci, le livre est un peu différent. On peut en faire deux lectures totalement opposées.
La première, sans doute la plus évidente, consiste à constater une fois de plus que tous les personnages pensent au sexe, continuellement, racontent leur vie et leurs pensées en commençant exclusivement par leur vie sexuelle, avec force mots crus et descriptions non moins crues, voire vulgaires. C'est bien évidemment ce qui me sort de ma zone de confort, et je me suis déjà interrogée, notamment au sujet de Danger, verglas, sur ce que pouvait bien signifier pareille obsession, du point de vue du lien entre pensée et écriture. Je n'y reviens pas.
La deuxième, que la première ne doit pas masquer, c'est qu'il y a une vraie maîtrise de la structure du roman. Il est construit en faisant progressivement converger des histoires croisées dont on ne comprend que petit à petit la manière dont elles s'imbriquent. Les personnages sont liés, mais on ne sait pas tout de suite comment. On le comprend petit à petit, on ne peut pas tout deviner dès le début. Et le livre finit d'une manière très pessimiste d'un côté, très tournée vers la vie et le futur de l'autre : de manière complexe, donc.
Il serait facile de se dire que la crudité du propos entrave l'accès à la structure de l'histoire, et empêche d'en profiter pleinement. Mais lire un livre de Patrick Kurtkowiak, c'est aussi accepter que c'est son style. En revanche, il y a un troisième aspect que j'ai trouvé particulièrement saisissant : c'est celui de la recherche des origines. C'est cela, le vrai thème du livre. Origines de Zygmund, dans les pays baltes mais dénouées entre l'île Maurice et Saint-Malo. Origines de ses enfants, dont il a abandonné les mères et qui peinent à s'en remettre, chacun dans son genre. Origines des personnages secondaires aussi, qui ont tous quelque chose à régler avec leur enfance. Mais tout cela est généralement dit au détour d'une phrase, comme au vol, comme si c'était anodin, comme si ce n'était pas ça, le coeur du problème. Comme si c'était plus difficile de dire des sentiments et de parler du manque d'amour, que de parler de pratiques sexuelles…
Je me suis alors demandé quel était le véritable sens du mot « pudeur », et s'il est souhaitable d'être pudique en littérature. Est-il plus impudique de raconter sa vie sexuelle ou de parler d'une mère qui ne nous a pas aimé ? Est-il plus pudique de taire une dépendance au sexe tarifé ou de taire ses sentiments ? Que faut-il raconter, que faut-il taire ? La réponse est certainement qu'en littérature, il ne faut pas se mettre de barrières, ni d'un côté, ni de l'autre. Je vois donc Les femmes de Zygmund comme une oeuvre de transition dans les romans de Patrick Kurtkowiak, suite à laquelle l'impudeur pourrait changer de camp. A suivre...
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Parcours chaotiques, gugusses déboussolés, catins délurées.