Autrefois, les meurtres me donnaient la pêche ; je me sentais investie d’une mission : retrouver le coupable, rendre justice. Mais la lutte contre le crime est un sport de jeunes, et j’avais vieilli. N’empêche que cette femme qui s’était enfuie par l’escalier de secours m’intriguait ; c’était plus fort que moi.
Les chapitres avaient des titres tels que : Choisir sa proie ; Les bons appâts ; Mise en place du piège à hommes ; N’hésitez pas à être cruelle ; Tirer les ficelles ; Du bon usage des larmes (et des armes que Dieu nous a données) ; Se faire désirer. Ce bouquin était la dernière parution de toute une gamme d’ouvrages destinés aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Pour les femmes, ces manuels expliquaient comment s’y prendre, sans coucher, pour obtenir d’un homme son engagement ; pour les hommes, il s’agissait de mettre les femmes dans leur lit sans s’engager.
En temps normal, un tel désastre aurait été une bonne excuse pour m’enfiler quelques vodkas en m’apitoyant sur mon sort. Pourtant, pour l’instant, je n’étais pas trop ébranlée. Peut-être étais-je encore sous le choc. Ou peut-être était-ce justement parce que je venais de passer deux mois sur quatre continents que plus rien ne me déstabilisait. Peut-être avais-je pris conscience que la « normalité » et la réalité ne sont que des concepts relatifs, relatifs au carré de terre sur lequel vous vous trouvez et aux personnes qui vous entourent.
Visiblement, cette fille était sous l’emprise de la Folie, cette hallucination induite par les hormones, qui pousse les jeunes gens à s’accoupler, enfanter et acheter des tonnes de biens de consommation pour combler la misère d’un mariage précoce.
C’était très désagréable. C’est toujours très désagréable de voir des gens dans la première phase teintée de rose de l’amour, comme Nadia, qui perdait complètement les pédales et se figurait que le monde était magique.
Il était facile de se plonger dans le passé, car le hall, au fil des ans, n’avait guère subi de changements. Sa déco et son mobilier hétéroclites lui conféraient un caractère atemporel.