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EAN : 9782846267908
154 pages
Au Diable Vauvert (13/03/2014)
3.96/5   14 notes
Résumé :
A. Davis, figure emblématique du combat égalitaire afro-américain, montre que l'incarcération est, aux Etats-Unis, fondée sur une économie d'exploitation. Elle argumente en faveur de la désincarcération et plaide pour une société sans enfermement.
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Interroger les logiques d'enfermement, du carcéral

« aujourd'hui, plus de 2 millions d'Américains (sur une population carcérale mondiale estimée à 9 millions d'individus) vivent en prison, en maison d'arrêt, en centre de détention pour mineurs ou en centre de rétention pour migrants ».

Il semble aller de soi que des individu-e-s reconnu-es coupables de crime par les procédures judiciaires soit enfermé-e-s. Mais qui décide socialement de la définition d'un crime, de la réduction d'une personne à son « crime », de l'enfermement comme organisation sociale ?

Hier la peine de mort, aujourd'hui la prison, « comme élément constitutif et immuable de nos sociétés ». Angela Davis ajoute : « On ignore trop souvent que le mouvement pour l'abolition carcérale est lui aussi riche d'une longue histoire qui remonte à l'époque où la prison est apparue en tant que principale forme de châtiment ».

L'auteure reprend les propos d'Elliot Currie : « la prison jette désormais une ombre menaçante sur notre société, à un degré inédit dans notre histoire ou celle de n'importe quelle démocratie industrielle. En l'absence de grands conflits armés, l'incarcération de masse constitue le programme social le plus assidûment appliqué par les gouvernements de notre époque ». Car c'est bien de cela qu'il s'agit un enfermement de masse, ayant peu ou pas d'effet sur les chiffres officiels de la criminalité. Cela devrait interroger sur la fonction sociale réelle de la prison. Sans oublier les questionnements sur qui sont majoritairement les prisonnier-e-s, sur l'articulation entre rapports sociaux inégalitaires, justice et ordre carcéral.

Prisonnier-e-s et main d'oeuvre carcérale, travailleurs et travailleuses ne bénéficiant pas des droits des salarié-e-s, main d'oeuvre sous-payée…

Sans oublier qu'avec le développement des idéologies néolibérales, du moins d'État « Cette vaste mobilisation de capitaux privés (des secteurs du bâtiment à ceux de la restauration ou des services de santé) autour de la gestion des établissements pénitentiaires rappelait si étrangement l'émergence du complexe militaro-industriel, que nous avons commencé à employer le terme de « complexe carcéro-industriel » ».

La prison est à la fois absente et présente de nos vies. « La prison fonctionne donc sur le plan idéologique comme un lieu abstrait où sont déposés les êtres indésirables afin de nous soulager de la responsabilité de penser aux vrais problèmes qui affectent les communautés dont sont largement issus les détenus ». Industrie du châtiment et trou noir « dans lequel sont déposés les détritus du capitalisme contemporain ».

En retour nécessaire sur l'histoire, Angela Davis analyse les liens entre esclavage, droits civiques et perspectives abolitionnistes. Hier l'esclavage, les lynchages, la ségrégation apparaissaient comme « naturels » aux yeux des dominants blancs. Quels liens y-a-t-il aujourd'hui entre le racisme et l'institution carcérale ? Elle rappelle au passage, que « le vagabondage était inscrit dans la loi en tant que crime noir ». de l'esclavage au système de servitude pénale pour les Noirs, avec louage des condamnés et chaînes pour les forçats…

« La prépondérance de la prison en tant que principale forme de châtiment, avec ses dimensions racistes et sexistes, pose cette continuité historique entre l'ancien système de louage et l'économie carcérale privatisée d'aujourd'hui ».

L'auteure traite, entre autres, de l'histoire des dimensions sexuées des châtiments, de la violence, du châtiment des femmes, dans la « sphère domestique », des fouilles au corps comme agression sexuelle, de l'internement en hôpital psychiatrique, des départages entre criminalité, pauvreté et maladie mentale, des liens entre couleur et sexualité, « Les idéologies liées à la sexualité – et notamment celles qui mêlent question raciale et sexualité – ont eu un impact profond sur les représentations des femmes de couleur et sur les traitements qui leur étaient réservés à l'intérieur comme à l'extérieur de la prison ».

Angela Davis souligne aussi la nécessité de « défaire le lien conceptuel soi-disant indestructible entre sanction et délit ». Elle insiste sur la racialisation de la population carcérale, sur le complexe carcéro-industriel, « La notion de complexe carcéro-industriel privilégie une analyse du processus de châtiment tenant compte des structures économiques et politiques et des idéologies qui l'entourent, par rapport à une focalisation myope sur les comportements criminels individuels et sur les démarches visant seulement à « inverser la courbe de la criminalité » », sur les bénéfices tirés par les complexes militaro-industriel et carcéro-industriel « des processus de destruction sociale », sur les privatisations « le modèle de privatisation est en passe de devenir le premier mode de gestion du châtiment dans de nombreux pays ».

Si l'horizon reste bien « l'abolition de la prison en tant que mode de châtiment dominant », il faut immédiatement améliorer le cadre de vie des personnes en détention, « L'un des défis majeurs qui se présentent à lui est d'appeler à la création d'un cadre de vie plus humain pour les personnes en détention, sans pour autant encourager la pérennité de la prison ».

Les alternatives abolitionnistes passent, même si elles se s'y réduisent pas, par la revitalisation des systèmes scolaires, des systèmes de soins, par « l'éradication » des disparités de classe, de genre et de race, par la dépénalisation des drogues, la suppression de la notion administrative de sans-papier-e-s (ou migrant-e-s clandestin-e-s, par la « transformation radicale de nombreux aspects de notre société »…

« Si nous démontrons que les alternatives abolitionnistes perturbent ces interrelations et qu'elles s'efforcent de désarticuler les liens crime/châtiment, race/châtiment, classe sociale/châtiment et genre/châtiment, alors nous cesserons de voir la prison comme une institution isolée pour prendre en compte toutes les connexions sociétales qui favorisent son maintien ».

Plan :
1. Introduction : réformer ou abolir la prison ?
2. Esclavage, droits civiques et perspectives abolitionnistes
3. Emprisonnement et réforme
4. Comment le genre structure le système carcéral
5. le complexe carcéro-industriel
6. Alternatives abolitionnistes

« J'espère que cet ouvrage incitera les lecteurs à remettre en question leurs propres présomptions sur la prison. Beaucoup d'entre nous sont d'ores et déjà convaincus que la peine capitale est une forme de châtiment rétrograde et qu'elle viole les principes élémentaires des droits de l'homme. le temps est venu, me semble-t-il, d'encourager une prise de conscience similaire autour de la question carcérale ». En effet, comment encore accepter les enfermements de certain-ne-s. L'argument du juste châtiment relève de la pensée religieuse, il est par ailleurs, à géométrie variable (non-culpabilité socialement construite pour les patrons responsables d'accidents mortels du travail ou du non respect des législations, des pollueurs et des empoisonneurs agro-alimentaires, des fraudeurs du fisc, sans oublier les responsables d'actes et de violences racistes, de violences envers les femmes, ou l'impunité policière…).

Certes le système carcéral en France est différent de celui des États-Unis, ce qui ne dispense pas d'interroger les logiques d'enfermement, les attributions sociales de la prison…
Lien : http://entreleslignesentrele..
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Angela Davis, militante historique des droits de l'homme, apporte une réflexion déroutante, dérangeante, et pourtant essentielle à l'analyse de notre société. Cet ouvrage de 160 pages s'appuie sur l'histoire de la prison américaine, intimement liée à l'esclavage, à la ségrégation et au racisme séculaire qui divise le pays.
[...] La prison va mal : les Noirs et les Latinos et les pauvres sont surreprésentés dans les prisons américaines (nous pourrions faire le même parallèle en France avec les Noirs, les Arabes et les pauvres), criminalisés par le racisme au faciès. Les femmes sont aussi de plus en plus nombreuses à se retrouver derrière les barreaux, victimes d'abus sexuels dont on ne parle quasiment pas. Être en prison signifie-t-il perdre tous ses droits, son humanité et sa dignité ?
[...] Au lieu d'être une institution d'auto-réhabilitation, le milieu carcéral est producteur de violences qui empoisonnent le « monde libre ».
[...]
Alors, à qui profite la prison ? Aux industries du complexe carcéro-industriel qui construisent les prisons (lesquelles se sont dramatiquement multipliées aux États-Unis), qui les fournissent chaque jour en biens et services et qui profitent des prisonniers comme une main d'oeuvre bon marché.
[...] Angela Davis encourage à repenser nos institutions et à déconstruire le lien idéologique entre le crime et le châtiment.
À tous ceux qui s'interrogent sur l'utilité et l'efficacité de la prison et de la peine de mort, à tous ceux qui croient en un monde plus juste, ce livre bouleversant vous est adressé.
L'article entier sur Bibliolingus :
http://www.bibliolingus.fr/la-prison-est-elle-obsolete-angela-davis-a116125456
Lien : http://www.bibliolingus.fr/l..
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Depuis la fin du 18e siècle, époque où l'emprisonnement s'est peu à peu imposé comme la norme en matière punitive, les femmes condamnées étaient considérées comme étant, par essence, différentes de leurs homologues masculins. Certes, les hommes qui commettent le genre d'infractions considérées comme punissables par la loi sont qualifiés de déviants sociaux. Néanmoins, la criminalité masculine a toujours été perçue comme étant plus "normale" que la criminalité féminine ; il y a toujours eu une tendance à considérer les contrevenantes punies par l'État comme singulièrement plus anormales et menaçantes pour la société que leurs nombreux homologues mâles.
Lorsqu'on cherche à comprendre cette différence de perception genrée envers les personnes détenues, il faut se rappeler qu'alors même que l'enfermement devenait la norme en matière de répression publique, les femmes ont longtemps continué à subir des châtiments non reconnus comme tels. Par exemple, les femmes ont été plus souvent enfermées dans des instituts psychiatriques que dans des prisons. Les études montrant que les femmes ont plus facilement été internées en hôpital psychiatrique que les hommes semblent indiquer que, si la prison jouait un rôle central dans le contrôle des hommes, l'asile a joué un rôle similaire pour les femmes. Autrement dit, les hommes déviants étaient perçus et traités comme des criminels alors que les femmes déviantes étaient perçues comme des malades mentales. Cette construction continue à influencer de nos jours les règlements intérieurs des prisons pour femmes : les psychotropes sont toujours administrés en plus grande quantité aux femmes qu'aux prisonniers masculins.
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Il faut dire que les personnes condamnées à des peines d'emprisonnement dans les établissements pénitentiaires de l'époque étaient majoritairement des hommes. Ce détail reflète bien la structure profondément genrée des droits légaux, politiques et économiques au sein de la société. Les femmes n'étant alors pas considérées comme des citoyennes à part entière, il était difficile de leur confisquer, par l'emprisonnement, des droits dont elles ne jouissaient pas. C'était notamment le cas des femmes mariées, qui n'avaient aucun statut devant la loi. D'après le droit coutumier anglais, le mariage équivalait pour les femmes à une "mort civile" statutaire, symbolisée par l'abandon du nom de naissance au profit du patronyme de l'époux. Par conséquent, la femme était plutôt punie pour s'être rebellée contre ses tâches domestiques que pour avoir failli à ses maigres responsabilités publiques. La relégation des femmes blanches à la sphère domestique les empêchait de jouer un rôle significatif dans le monde capitaliste, alors en plein essor. C'est d'autant plus vrai que le travail rémunéré était considéré comme masculin sur le plan du genre, et blanc sur le plan racial. La pérennité de la violence domestique est bien la preuve douloureuse du caractère historiquement genré des modes de châtiment.
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Pour comprendre la signification sociale de la prison au sein d'un système carcéro-industriel en plein essor, il nous faut défaire le lien conceptuel soi-disant indestructible entre sanction et délit. Dans quelle mesure la répétition inlassable de l'expression toute faite "crime et châtiment" dans la littérature, les programmes télévisés et dans nos conversations quotidiennes, ne nous empêche-t-elle pas d'envisager le châtiment sans son pseudo-corollaire ? Comment ces représentations, qui ont situé la prison comme induite de façon naturelle, nécessaire et permanente par la criminalité, empêchent-elles toute mise en cause sérieuse de la viabilité des prisons aujourd'hui ?
La notion de complexe carcéro-industriel privilégie une analyse du processus de châtiment tenant compte des structures économiques et politiques et des idéologies qui l’entourent, par rapport à une focalisation myope sur les comportements criminels individuels et sur les démarches visant seulement à "inverser la courbe de la criminalité". Par exemple, le fait que de nombreuses entreprises présentes sur le marché mondial s'appuient aujourd'hui sur la prison en tant que source non négligeable de profits explique la rapidité avec laquelle ces prisons se sont mises à proliférer alors que les études officielles montraient un taux de criminalité en baisse. La notion de complexe carcéro-industriel souligne également le fait que la racialisation de la population carcérale - et cela ne concerne pas que les États-Unis, mais aussi l'Europe, l'Amérique du sud et l'Australie - n'est pas une caractéristique anodine. Les mouvements de lutte contre le racisme et les injustices sociales en général ne peuvent pas se permettre de faire l'impasse sur la question carcérale. L'expansion des systèmes pénitentiaires à travers la planète s'appuie sur les structures du racisme et les renforce dans le même temps, même si les partisans de la prison affirment qu'il s'agit d'une institution racialement neutre.
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J’espère que cet ouvrage incitera les lecteurs à remettre en question leurs propres présomptions sur la prison. Beaucoup d’entre nous sont d’ores et déjà convaincus que la peine capitale est une forme de châtiment rétrograde et qu’elle viole les principes élémentaires des droits de l’homme. Le temps est venu, me semble-t-il, d’encourager une prise de conscience similaire autour de la question carcérale
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La prison fonctionne donc sur le plan idéologique comme un lieu abstrait où sont déposés les êtres indésirables afin de nous soulager de la responsabilité de penser aux vrais problèmes qui affectent les communautés dont sont largement issus les détenus
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