Sur le livre, une bande invisible: attention, prix Nobel! Oeuvre puissante, ample, parfois complexe, mêlant le roman à la grande histoire, et qui plonge aux tréfonds de l'âme d'un peuple, d'un pays. Formatée Nobel! En plus, ce serait bien le tour de ce petit pays africain mal connu qui s'appelle le Mozambique...
Mia Couto, personnalité intéressante, biologiste puis journaliste... puis biologiste. Entre temps, seul blanc accepté au sein du Frelimo. Sa famille, opposants communistes à Salazar, s'est installée en 1950 en Afrique, où il est né.
Nous sommes à la fin du 19eme siècle. Les Portugais occupent le Mozambique, mais les Anglais ont aussi des vues sur le pays. de multiples ethnies se partagent le territoire; le roi le plus puissant, Ngungunyane, gouverne le territoire de Gaza. du "Lion de Gaza", le Mozambique indépendant a fait un héros. Et pourtant, ce pittoresque personnage, affublé d'un nombre invraisemblable de femmes, d'une grande cruauté, en particulier vis à vis des autres ethnies, a surtout pensé à ses propres intérêts (le brave garçon a assassiné un de ses frères pour prendre le pouvoir). Il joue un rôle tout à fait trouble vis à vis des Portugais comme des Anglais. Et, lorsqu'il est enfin capturé, emmené au Portugal où il est exhibé...
Mia Couto nous le présente comme pleurnichard et parfaitement incohérent.
En face de lui, il y a celui qui finalement le capturera (alors que peut être les ordres du pouvoir n'étaient pas si clairs...) le lieutenant de cavalerie Mouzinho de Albuquerque, à la tête de ses reitres, "pacificateur" du Mozambique par la violence.
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L'auteur a immergé là dedans deux attachants héros qui vont s'aimer, faire un enfant (qui sera arraché à la mère) et être séparés, et qui ont en commun de ne plus savoir où ils habitent. le jeune sergent Germano, qui a eu les mains mises en pièces, qui est soigné par une guérisseuse et qui n'a même plus envie de retourner dans son pays natal qu'il ne reconnait plus; et Imani, jeune fille de 15 ans élevée dans une école catholique qui parle donc le Portugais, séparée de sa famille et ballottée au gré des combats entre ses deux identités; utilisée par les Portugais comme une espionne -mais c'est son seul espoir de retrouver Germano. Deux amoureux perdus dans des évènements qui les dépassent.
le roman avance, alternant entre les récits d'Imami et les lettres que Germano envoie à son lieutenant. On se déplace le long du fleuve, au milieu de nombreux personnages secondaires, prêtre à la dérive vivant avec une guérisseuse, patronne de bordel arrivée là par hasard, inquiétant médecin suisse, soudards..... Et surtout, on s'immerge dans cette âme africaine à laquelle même les conversions n'ont rien changé, où le fleuve, les arbres, la terre sont aussi présents, aussi vivants que les humains, où la vie se déroule au gré des rêves. Où les morts et les vivants c'est la même chose, où les enfants morts retournent dans le ventre de leur mère, où les contes font naître les nuages du vol d'un oiseau, c'est onirique et poétique mais, là est ma réserve, c'est presque trop: on a envie de reprendre pied; on se demande dans quelle mesure
Mia Couto restitue des histoires entendues, dans quelle mesure il affabule; l'homme blanc ne cherche t-il pas à être trop noir? de même, les lettres qu'échangent les différents officiers sont si intellectuelles, si élégantes, qu'elles nous semblent trop sophistiquées pour être vraies.
Cela dit, c'est fascinant, et très beau. C'est un voyage au long cours, car on ne peut le déguster qu'à petites gorgées....