« Rien n'existe ; tout n'est que rêve. Dieu… l'homme… le monde… le soleil, la lune, les champs infinis d'étoiles… un rêve, un vaste rêve ; tout cela n'a aucune existence. Rien n'existe, hormis l'espace vide et toi ! »
Cette profession de foi solipsiste s'insère dans l'épilogue d'une merveilleuse diablerie imaginée par
Mark Twain. En 1896, la fille de
Mark Twain meurt d'une méningite, sa femme décède en 1904. Il se fait vieux, ses amis meurent et les rudesses de la vie ne l'épargnent pas. Entre ces deux dates fatidiques,
Mark Twain écrivit plusieurs versions de ce texte étrange et un brin faustien qui n'use des artifices du merveilleux que pour déployer sous les yeux des jeunes lecteurs un tableau du monde peint sous ses couleurs les plus crues - par-delà le bien le mal. Il y dépeint une humanité fourbe et lâche qui se targue d'un « sens moral » que
Mark Twain éreinte par la voix suave de son héros - un ange absolument charmant qui répond au nom de Satan. Si la morale n'est pas sauve, pour Satan (qui n'est que le neveu de l'Autre) la conscience de notre responsabilité individuelle et de notre solitude au monde devraient nous permettre d'éviter l'abjection.
L'étranger mystérieux met à rude épreuve notre notion du bien et du mal mais n'excuse en rien la bêtise et la méchanceté.
Si la version choisie par l'éditeur n'est pas considérée comme la plus authentique (mais l'éditeur justifie son choix dans un avertissement) elle est par contre illustrée avec flamboyance par ATAK (alias Georg Barber) dont le pinceau halluciné enlumine le récit de tableaux chatoyants comme des planches de
William Blake. Ces vignettes truffées d'allusions à l'histoire de l'art (de Bosch à Star Wars) ajoutent une touche sublime à ce livre porté par un récit merveilleusement inspiré.
NB: Précisions pour rendre du compte du travail des éditeurs: le présent compte rendu porte sur l'édition Albin Michel (2012) de L'Étranger mystérieux (traduction de Valérie le Plouhinec, illustrations par Atak) qui n'est que l'une des différentes versions de ce récit. Babelio permet pas de distinguer celle-ci de l'édition Tristam (2011, traduction d'une autre version - alors inédite - du texte :
N°44 : le mystérieux étranger) et d'une autre traduction de la version dont nous avons rendu compte (publication posthume en 1916) aux éditions de l'Oeil d'or (2008).