Ce livre ne peut se lire sans quelques prérequis, et d'abord celui, évident, d'avoir lu au moins un livre de Barthes. Il ne présente pas grand intérêt pour celui qui ne sait absolument pas de quoi il parle. D'autre part, il me semble qu'il requiert aussi un certain niveau de connaissance en matière de critique littéraire et/ou artistique.
Ce livre ne s'adresse donc pas au grand public, mais bien au public averti, et probablement assez restreint, de ceux qui connaissent son sujet. Jean-Marie Schaeffer ne fait pas ici oeuvre de vulgarisateur, car l'adresse - même fictive - à Roland Barthes fait qu'il s'adresse nécessairement à un récepteur disposant du même vocabulaire et du même langage que lui. le format l'impose clairement : écrire à Roland Barthes pour lui expliquer en quoi consiste son oeuvre n'aurait évidemment aucun sens. Il faut d'ailleurs préciser qu'il s'agit d'un ouvrage de commande, puisqu'elle s'insère dans une collection de livres étant tous des lettres à un auteur.
Passé cette première barrière, le lecteur averti trouvera dans cet ouvrage un hommage chaleureux à cet homme dont l'oeuvre a bouleversé durablement l'approche de la critique littéraire et artistique, en France et dans le monde. En particulier, on sent un désir de "réhabilitation" de la part de l'auteur ; j'emploie des guillemets car Roland Barthes est largement considéré comme une référence, voire comme un classique, puisque ses ouvrages sont étudiés sur les bancs de l'université. Pour autant, l'oeuvre de Barthes comporte un tournant qui a été trop souvent mal compris, selon Jean-marie Schaeffer, car Barthes a été considéré comme un des fers de lance du structuralisme, une méthode d'analyse qui fonde la plupart de ses ouvrages, et il s'en serait ensuite détourné complètement, reniant ce qu'on a appelé depuis sa "période structuraliste", comme s'il s'agissait là d'un passé gênant. Je schématise, bien entendu, ce ne sont là que de grossiers raccourcis.
Toujours est-il que Jean-Marie Schaeffer prend le contrepied de cette reconstruction a posteriori du sens global de l'oeuvre de Barthes et en présente sa vision personnelle. Selon lui, Barthes n'a jamais été structuraliste, au sens où le structuralisme est trop souvent considéré comme une doctrine. Il n'a été structuraliste que dans la mesure où il a utilisé cette méthode d'analyse pour établir ses propres critiques. de la même façon, l'auteur considère que Barthes ne s'est jamais complètement départi de la méthode structuraliste, même jusque dans ses ouvrages de la période "post-structuraliste" comme La Chambre claire. Je ne saurais me positionner là-dessus, je ne connais presque rien au structuralisme, et mes lacunes en ce domaine m'ont sans doute empêchée d'apprécier l'intégralité de ce livre à sa juste valeur.
Pour autant, les deux livres que j'ai lus de Barthes sont précisément témoins de chacune de ces deux périodes, Mythologies pour la première et La Chambre claire pour la seconde. Et il me semble que les différences sont bien plus d'ordre stylistique que méthodologiques, même s'il se trouvera sans doute beaucoup de spécialistes pour me contredire. Quand la rhétorique des Mythologies est très rigoureuse, logique et ne laissant de place à rien d'autre que l'analyse, celle de la Chambre claire est beaucoup plus digressive et laisse une large place à la voix et au ressenti de l'auteur ; mais l'étude que Barthes y fait de la photographie, si j'ai bien compris le propos de Schaeffer, utilise peu ou prou les mêmes outils que ceux de la méthode structuraliste.
Quoi qu'il en soit je n'ai jamais aimé cette façon binaire d'appréhender l'ensemble d'une oeuvre, comme s'il pouvait y avoir un "avant" et un "après" clairement définis. Je trouve cela trop simpliste. J'étais donc assez d'accord avec le propos de l'auteur, même si je n'en ai pas saisi toutes les subtilités, par manque de connaissances.
Pour revenir à la forme épistolaire, j'ai trouvé cela plutôt réussi au début, quand il parlait de l'évocation, avec le fait d'évoquer un mort qui faire revivre ce qu'il y a de lui en nous. Cela prenait tout son sens, alors, d'écrire une lettre. Et cela faisait très justement écho à La Chambre claire, où Barthes voit dans la photo des êtres décédés une sorte d'évocation, ou même de convocation des morts. Mais au milieu de l'ouvrage il m'a semblé que l'aspect épistolaire se diluait et qu'il n'était au fond qu'une sorte de prétexte ; la seule différence effective résidait dans le "vous dites" à la place de "Barthes dit". L'évocation n'est donc pas réussie du début à la fin, selon moi.
Pour autant, l'auteur raconte avec finesse comment Barthes l'a accompagné toute sa vie durant, et il y a tout de même un côté assez touchant à cela, même s'il disparaît parfois derrière des analyses critiques assez ardues. le tout est écrit dans un style assez proche de l'auteur de la Chambre claire, à tel point qu'on pourrait presque dire que c'est une lettre à Barthes "à la manière de Barthes".
Ce fut donc pour moi une lecture assez laborieuse, parsemée de nombreuses petites perles de compréhension que je tâcherai de garder en mémoire. le jour où j'aurai lu tout Barthes, je le relirai, et je l'apprécierai sans doute encore plus.
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