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EAN : 9782363081858
118 pages
Arléa (04/04/2019)
4.1/5   5 notes
Résumé :
Le 7 juin 1961, l'écrivain Yehiel Dinur se présente comme témoin à la barre du procès d'Adolf Eichmann. Après quelques phrases saisissantes qui évoquent son séjour à Auschwitz et la disparition de ses proches, il se lève, tente de s'éloigner et s'effondre, sans connaissance.
L'Évanouissement du témoin explore la portée et la signification de cet événement singulier.
Le 7 juin 1961, l'écrivain Yehiel Dinur se présente comme témoin à la barre du procès d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
TOUS LES IMPOSSIBLES, N'ÉTAIT L'ÉVANOUISSEMENT.

Comment résumer, sans en trahir le contenu, et les implications et le subtil déroulé cet ouvrage minuscule (surtout par sa brièveté) et majeur à la fois ? Pour en comprendre un tant soit peu le point de départ, se souvenir du célèbre procès Eichmann qui se tint à Jérusalem du 11 avril 1961 au 11décembre de la même année et qui se soldera, chacun s'en souvient, par la condamnation à mort par pendaison de cet ex-SS convaincu de quinze chefs d'accusation dont au moins quatre relevant de "Crimes contre l'Humanité". L'un des meilleurs "résumé" de ce procès fut l'oeuvre, salutaire, de la grande philosophe Hannah Arendt qu'elle intitula Eichmann à Jérusalem et où elle développa sa thématique qui fit tant couler d'encre tout en connaissant un développement mondial) de "banalité du mal".

Il n'est pas question, ici, de refaire ce procès. Il n'est même pas question de revenir sur la violence et la sidération que provoquèrent ces milliers de témoignages de survivants, contant, souvent dans la douleur mais avec une sorte de calme confondant, toute l'horreur de la fameuse "Solution Finale" dont Eichmann fut à la fois un des architectes tout autant qu'un des plus appliqués exécutants.

Pour comprendre - un peu - ce dont Christian Doumet, avec tout son art du mot, de la phrase, de l'image juste essaie de nous parler, il est bon de se replonger, pour quelques minutes (les dix premières de cette extrait du procès), dans ce moment qu'il essaie de décrypter (plus que d'expliquer à proprement parler. Car, d'explication totale, y en aura-t-il jamais ?) de cet écrivain juif d'origine polonaise, Yehiel Dinur, rescapé d'Auschwitz où il aura séjourné plusieurs mois avant la libération du camp (et qu'importe s'il n'y s'est trouvé que six ou sept paires de mois plutôt que deux années pleines, de son propre témoignage : l'indicible ne se mesure pas ainsi lorsque la mort veule peut y survenir à n'importe quel instant, sans raison, ni but). Ces quelques instants d'une rare intensité - songeons que le regard de ce survivant croisait, une fois de plus, celui de son bourreau -, l'écrivain de 52 ans signant  ses récits d'un Ka-Tzetnik ou Ka-Tzetenik 135633, en référence à son numéro de déporté, il faut les voir pour comprendre la profonde réflexion qui est ici donnée à lire : https://youtu.be/m3-tXyYhd5U

C'est donc dans ce silence total de l'évanouissement d'un de ses doublement semblable - être infiniment humain & écrivain - Christian Doumet cherche à creuser le sillon lugubre et douloureux auquel nous invite le témoin de cette fameuse "banalité du mal", par delà les décennies, qu'il tente, sans aucune espèce de certitude définitive, sans a priori ni force autre que celle de qui tâche, à son tour, de porter témoignage de ce qu'il ressent au plus profond de son être et de son verbe, au visionnage de ce moment minuscule et immense, violent au-delà de toute violence et pourtant tellement peu face à la monstruosité du Crime commis quelques années auparavant.

« Je ne suis pas comme un écrivain, prévient Yehiel Dinur au début de sa déposition. Ce que j'écris est une chronique de la planète Auschwitz. » Il poursuit : « Cette planète des cendres, Auschwitz, se situe en face de notre planète Terre, et l'influence. ». Cette évocation d'une planète de cendre juste en face de la nôtre, c'est celle de ce corps retombant en silence face à l'impeccable fonctionnaire du mal que Christian Doumet, convoquant tour à tour la lucidité d'un Maurice Blanchot, l'esprit visionnaire d'un Franz Kafka ou encore le témoignage tellement poignant d'un Primo Levi, examine au plus juste, avec une intelligence et une modestie rares.

Yehiel Dinur ne reviendra jamais témoigner, après s'être remis de son évanouissement. Comme si la parole n'était ni suffisante ni plus nécessaire après que le corps ait engagé son ultime message, face au monstre, face à ceux qui voulaient savoir, face à l'éternité sidérée.

Un texte fort, profond, posant plus de questions qu'il ne prétend apporter de réponse. Et d'approcher un peu de ce que pu être le sens d'une existence vouée à l'extermination proche par la volonté démesurément délirante et abjecte d'une poignée d'individus éperdus de folie furieuse. Un de ces ouvrages à reprendre plus d'une fois.
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Qui était Yehiel Dinur ? Interné pendant deux ans à Auschwitz, l'homme a écrit plusieurs livres sous le pseudonyme de Ka-Tzetnik, en référence au surnom donné aux détenus des camps de concentration pendant la deuxième guerre mondiale, KZ (Konzentrationslager). le 7 juin 1961, appelé à témoigner au procès Eichmann, Yehiel Dinur prononce quelques paroles, puis  s'évanouit alors qu'il est interrogé par le magistrat Landau. Il est la figure centrale de ce livre.

L'évanouissement du témoin s'ouvre sur cette image : celle des hommes trouvant refuge dans le corps des chevaux éventrés, lors de la retraite de Russie. Comment, à l'horreur de cette vision, l'écrivain alors petit garçon substitue celle d'une grotte chaude et accueillante. Comment, par la suite, nous nous bâtissons tous des refuges pour échapper à l'horreur.

Christian Doumet questionne cette absence momentanée au monde, qu'elle soit amnésie, métaphore littéraire, syncope ou évanouissement. Dans tous les cas, il s'agit d'une perte de connaissance salutaire, salvatrice. Elle pallie aux tentatives d'énonciation impossibles. « Ce qui de l'entreprise nous reste sous les yeux – un corps abandonné, un visage éteint, des lunettes en bataille – témoigne à la fois de l'ampleur de la tâche et de la faiblesse des moyens ».

L'évanouissement va là où la parole ne peut atteindre, lorsque la ligne de partage entre morts et vivants a disparu. « L'évanouissement est un appel du profond de l'être – mais inarticulé » . On pense ici aux figures de chute explorées par Pascal Quignard dans Les Désarçonnés, à ces états de stupeur ou de sidération momentanés. Des instants sans mots, mais d'une portée signifiante extrême. Parce qu'ils disent l'impossible narration de certaines expériences. Il faut alors perdre le contrôle, lâcher la bride pour exprimer l'indicible.

C'est un livre à la fois modeste dans ses moyens (pas de théorie, le livre procède plutôt par questionnements, doutes, tentatives d'approche et recoupements), d'une grande clarté d'écriture et d'une grande portée. Christian Doumet croise la figure du témoin évanoui avec celles d'autres défaillants, Kafka, Rousseau, Flaubert notamment. S'appuyant sur de célèbres figures de la littérature : Semprun, Primo Levi, Perec, Jankélévitch, il creuse aussi une réflexion sur le regard et son absence, sur le statut du témoin, celui de l'écrivain  et sur la vérité qu'on peut attendre de l'un et de l'autre. Finalement, c'est le pouvoir du langage, ce sont ses limites et ses défaillances que Christian Doumet nous donne à comprendre à travers la figure emblématique de Yehiel Dinur.
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critiques presse (2)
NonFiction
27 juin 2019
La poésie nous sauve de l'oubli. Pour Christian Doumet, l'évanouissement de Dinur est geste poétique.
Lire la critique sur le site : NonFiction
LaCroix
27 mai 2019
Le titre pourrait être une métaphore… Non, c’est une réalité précise, datée et située. Le livre paraît court, enlevé… Non, il est lent, rigoureux, obstiné.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Sans doute les grandes failles d'existence confèrent-elles aux angles de notre mémoire une acuité particulière qui les rend à la fois mieux observables et plus douloureux. Les rescapés des camps, des attentats et des catastrophes de toutes sortes en témoignent : les images qu'ils rapportent de leur expérience ne connaissent pas le sort habituel des matériaux mentaux. Étrangement lacunaires par endroits, ailleurs incandescentes jusqu'à l'obsession, elles n'entrent pas dans la fluidité ordinaire du souvenir. Leurs jeux d'apparition et de disparition ne participent pas du même écoulement temporel : elles n'ont rien du primesaut de la réminiscence. Il manque à cette archive les mille filaments ordinaires de l'enchaînement causal qui la rattachait au présent. Masse inerte de clichés gelés qui ne passent pas, qui encombrent la vie, la rendent malaisée par leur présence muette. D'où l'impérieuse soif d'oubli chez nombre de survivants.
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Le propre de toute bureaucratie (son ambition ? sa fin ultime ?) revient à dissoudre les visages de ses agents en les rendant interchangeables, afin qu'elle perdure. Au fond de son activité et l'animant toute entière, gît une aversion pour les traits, les expressions et tout ce que signale, dans un visage, l'accident du singulier. Derrière des fonctions, des numéros, des sigles, l'entreprise d'anonymat bureaucratique remplace les volontés par des mots d'ordres, les choix libres par des canaux décisionnels, les consciences par des tâches ponctuelles, les affects par des gestes mécaniques.
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La haine est un horizon étroit, qui simplifie les paysages mentaux. Tout y devient limpide, transparent, cristallin. On ne peut nier que cette passion ait un pouvoir logique et esthétique d'éclaircissement autant que de monotonie. À force de majorer la présence d'un objet, elle réduit à néant tous les autres. [...]

"Hais-moi !" tout autant que "Aime-moi !" est une injonction paradoxale. Pour y obtempérer, il faudrait reconnaître à celui qui la profère une autorité incompatible avec la haine qu'il réclame. «Je te dénie ta capacité de m'ordonner de te haïr en raison même de ta nature haïssable», devrait répondre le sujet mis en demeure. Mais ce refus signifie que je te hais, donc que je t'ai déjà obéi. Tel est le paradoxe de la haine.
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"Toucher" est une autre équivoque, une autre hiéroglyphe à déchiffrer. Nous sommes touchés parce que nous ne pourrons jamais toucher. Touchés parce qui ne pourrait être réduit par aucun touché ; par un tact sans tactilité : par ce qui s'adresse à nous à travers le distance la plus infranchissable entre les corps ; ce qui fait appel à nous dans les lointains dy temps et de l'espace - certaines œuvres, le souvenir des morts...
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Deux moments, donc, Jérusalem 1961, Buchenwald 1944 : deux cérémonies du récit.Elles illustrent l'une et l'autre la nécessaire mise en scène, fruste ou grandiose, qui annonce et rend possible toute relation testimoniale.
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Videos de Christian Doumet (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Christian Doumet
Maison de la poésie (4 juin 2019) - Texte de Pierrette Fleutiaux, Lu par Pascale Roze, extrait du Dictionnaire des mots parfaits (dirigé par Belinda Cannone et Christian Doumet, éd. Thierry Marchaisse, parution mai 2019).
Le Dictionnaire des mots parfaits :
Pourquoi certains mots nous plaisent-ils tant ? S?adressant à notre sensibilité, à notre mémoire ou à notre intelligence du monde, ils nous semblent? parfaits. Bien sûr, parfait, aucun mot ne l?est ? ou alors tous le sont. Pourtant, chacun de nous transporte un lexique intime, composé de quelques vocables particulièrement aimés. Après ceux consacrés aux mots manquants et aux mots en trop, ce troisième dictionnaire iconoclaste invite une cinquantaine d?écrivains à partager leurs mots préférés. Il vient parachever une grande aventure collective où la littérature d?aujourd?hui nous ouvre ses ateliers secrets.
Auteurs : Nathalie Azoulai, Dominique Barbéris, Marcel Bénabou, Jean-Marie Blas de Roblès, François Bordes, Lucile Bordes, Geneviève Brisac, Belinda Cannone, Béatrice Commengé, Pascal Commère, Seyhmus Dagtekin, Jacques Damade, François Debluë, Frédérique Deghelt, Jean-Michel Delacomptée, Jean-Philippe Domecq, Suzanne Doppelt, Max Dorra, Christian Doumet, Renaud Ego, Pierrette Fleutiaux, Hélène Frappat, Philippe Garnier, Simonetta Greggio, Jacques Jouet, Pierre Jourde, Cécile Ladjali, Marie-Hélène Lafon, Frank Lanot, Bertrand Leclair, Alban Lefranc, Sylvie Lemonnier, Arrigo Lessana, Alain Leygonie, Jean-Pierre Martin, Nicolas Mathieu, Jérôme Meizoz, Gilles Ortlieb, Véronique Ovaldé, Guillaume Poix, Didier Pourquery, Christophe Pradeau, Henri Raynal, Philippe Renonçay, Pascale Roze, Jean-Baptiste de Seynes, François Taillandier, Yoann Thommerel, Laurence Werner David, Julie Wolkenste
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