Février 1987 – Filippo, petit voyou sans envergure emprisonné à Rome, se retrouve par un concours de circonstances embarqué dans
l'évasionDe Carlo, prisonnier politique et membre des Brigades Rouges, dont il a partagé la cellule. Pendant ces mois d'enfermement commun, le flamboyant Carlo lui a raconté les révoltes ouvrières de la fin des années 1960, la découverte de la solidarité et de l'espérance, cette volonté farouche d'enterrer l'ancien monde et la dislocation des illusions dans la violence, à partir de l'attentat de la Piazza Fontana du 12 décembre 1969.
«Filippo écoutait, haletant. Il sentait chaque mot vibrer dans ses muscles. L'usine, il n'en avait jamais voulu, les ouvriers, un travail d'esclave, très peu pour lui. Mais le groupe soudé, solidaire à la vie à la mort, la révolte et la violence collective comme mode de vie, l'espoir de tout foutre en l'air un jour, il en avait toujours rêvé, et il n'avait jamais trouvé dans les petites bandes romaines qu'un écho lointain et déformé de ses rêves, la lutte pour la survie de tous contre tous, et la désespérance, sans jamais avoir les mots pour le dire.»
Abandonné en rase campagne par Carlo à la suite de
l'évasion, Filippo parvient à rejoindre Paris, devient avec l'aide de Lisa, la compagne
De Carlo, gardien de nuit dans une tour de la Défense, où il peut, tout en arpentant les plateaux déserts de la tour ou en fixant des écrans vides, ressasser les mots
De Carlo sur le refus de la misère et la rage, et espérer, lui, le petit truand méprisé, gagner enfin sa part de reconnaissance et d'amour par l'écriture.
«Tu as cru que ton codétenu, un prolo et fier de l'être, prisonnier politique, instruit, beau parleur, et grand lecteur était devenu ton ami, l'ami d'un petit voyou qui sait à peine lire, incapable d'aligner trois phrases. Quelle connerie. Ces choses-là n'arrivent jamais.»
Vingt ans plus tard, «
L'évasion» raconte, dans les yeux des refugiés politiques italiens de Paris, un nouvel épisode de l'écrasement de l'extrême gauche italienne, visant à apporter la preuve de sa «dérive mortifère et inexorable vers la grande criminalité», et peut-être à détourner l'attention d'une autre actualité, le blanchiment par la justice des responsables identifiés des attentats de 1969.
En dépit d'un personnage de Filippo peu crédible, ce roman (Série noire Gallimard, 2013) est l'un des plus poignants de
Dominique Manotti, sur les idéaux brisés de l'extrême gauche italienne, au travers du parcours
De Carlo et du destin subi de sa compagne Lisa, l'un des plus beaux personnages féminins imaginé par l'auteur.