Dans la tempétueuse symphonie de la planète, le vide sublime du désert, la solennité des hautes montagnes, la mélancolie lancinante des vastes landes, le mystérieux bruissement des hautes futaies, le miroitement rythmé des rivages marins forment des accords fondamentaux. Les ouvrages originels de l'homme y étaient enchevêtrés ou se confondaient avec elle comme dans un rêve.
Pour que débute le progrès scientifique des temps modernes, il a fallu que s'accomplisse le grand changement d'opinion, dont la modalité d'exécution se nomme capitalisme. (p. 53)
Nous ne nous trompions pas en suspectant le "progrès" d'absurdes appétits de puissance, et nous voyons que la démence destructrice n'est pas dénuée de méthode. Sous couvert de l'"utile", du "développement économique", de la "culture", il vise en vérité la destruction de la vie.
La plupart de nos contemporains, claquemurés dans les grandes villes et accoutumés depuis l'enfance aux cheminées fumantes, au vacarme des rues et aux nuits aussi claires que le jour, ne savent plus apprécier la beauté du paysage, imaginent apercevoir la nature à la vue d'un champ de pommes de terre et voient également leurs plus hautes aspirations comblées au gazouillement de quelques étourneaux et moineaux juchés dans les arbres de la chaussée.
Le « progrès » ne fait pas que ternir la vie, il la réduit également au silence. […] Pareil à un feu dévorant, il déferla sur la Terre, et aussi longtemps qu'il reste des hommes sur les lieux rasés par les flammes, là plus rien ne pousse ! Les espèces végétales et animales exterminées ne se renouvellent pas, la secrète cordialité qui régnait parmi les hommes s'est tarie, ensevelie a été la source intérieure qui nourrissait les chants merveilleux et les fêtes sacrées, ne laissant qu'un jour froid et maussade, habillé du faux clinquant des bruyantes distractions. Aucun doute, nous sommes à l'ère du déclin de l'âme.
Ludwig Klages as a Philosopher of Life. Sous-titres en français disponibles.